« Il est capital de faire comprendre à la population la différence entre la météo et le climat »
La météo maussade du mois écoulé a fait resurgir du placard certaines dérives climatosceptiques. L’absence relative d’effets visibles et palpables du réchauffement climatique entrave l’adhésion de la population à lutter contre ce dernier. D’où l’importance d’intégrer la dimension psychologique dans ce combat collectif, estime Vincent Yzerbyt, professeur à l’UCLouvain.
Treize degrés en plein mois d’août. Des trombes d’eau à perte de vue, des bourrasques de vent et même… de la grêle. Jusqu’ici, l’été belge s’est avéré particulièrement cafardeux. Il n’en fallait pas plus pour agiter la sphère climatosceptique qui, sur les réseaux sociaux, s’en donne à cœur joie pour remettre en question le réchauffement global de la Terre. Les clichés de thermomètres affichant des températures bien en deçà des normales saisonnières, souvent accompagnés de commentaires ironiques sur le dérèglement climatique, font florès. Au même moment, le sud de l’Europe est en proie à des canicules et des feux de forêt dévastateurs, et la Terre a enregistré son record absolu de chaleur pour un mois de juillet.
Pour Vincent Yzerbyt, professeur en psychologie à l’UCLouvain, le manque de proximité de la population belge avec les effets du dérèglement climatique freine les prises de conscience. « Durant la pandémie de Covid-19, les conséquences de la maladie étaient très palpables, débute l’expert. Chaque famille était touchée, de près ou de loin, par un décès ou un cas grave du virus. Ici, les effets sont davantage abstraits, donc il est plus difficile pour la population de prendre la mesure de l’urgence du problème. »
« Un défi majeur »
D’où l’importance de continuer à informer et à sensibiliser. « D’abord, il est capital de faire comprendre à la population la différence entre la météo et le climat », insiste Vincent Yzerbyt, qui rappelle que les épisodes météorologiques récents – fraîcheur, pluie, vent – ne remettent pas en cause le réchauffement climatique global. Plus les citoyens seront correctement informés, plus ils seront enclins à adapter leur comportement et à adhérer aux éventuelles mesures mises en place pour lutter contre ce dérèglement. « On l’a vu durant le Covid. Au vu de l’urgence, de la proximité et de l’immédiateté des effets délétères de la maladie, la population a été capable de faire des choses extraordinaires, comme respecter le confinement ou participer massivement à une campagne de vaccination, rappelle le professeur de l’UCLouvain. La difficulté avec le réchauffement climatique, c’est qu’il va falloir mettre en lien d’éventuelles décisions politiques avec des ‘preuves’ relativement éloignées. Cela va représenter un défi majeur. »
Inclure la dimension psychologique dans la lutte climatique s’avère dès lors capital, estime Vincent Yzerbyt. « Les sciences du comportement ou de la psychologie sociale ne constituent pas la solution ultime, mais elles offrent des leviers intéressants pour épauler la population. » Notamment pour l’encourager à s’engager collectivement, au-delà de son intérêt individuel et immédiat : « Il faut dépasser cette grille de lecture – définie par la société individualiste et capitaliste – pour aller vers quelque chose de plus collectif et de plus solidaire, tant sur le plan géographique que générationnel », poursuit l’expert de l’UCLouvain.
Le mythe de la restriction individuelle
Sur le plan psychologique, il est également important de faire comprendre à la population que des mesures collectives ne sont pas forcément synonymes de restrictions individuelles. « Ces deux notions sont trop souvent opposées, déplore Vincent Yzerbyt. Pourtant, des injonctions, voire des obligations, peuvent en réalité amener à plus de liberté individuelle. Prenons le code de la route : l’ensemble des règles – feux rouges, limitations de vitesse, port obligatoire de la ceinture – nous permettent de nous déplacer librement et en sécurité dans l’ensemble du territoire. Il ne s’agit pas de menotter les gens pour les amener à faire quelque chose, mais bien de leur faire comprendre qu’adhérer à certains comportements est une façon beaucoup plus sûre de garantir notre viabilité à court et à long terme. C’est la même chose pour la lutte contre le réchauffement climatique. » Le défi pour la classe politique sera donc de parvenir à faire adhérer volontairement la population aux décisions. « L’adhésion volontaire sera la plus forte garante de la réussite du projet », résume le professeur en psychologie.
Face au réchauffement climatique, nous sommes dans la même tempête, mais pas tous dans le même bateau.
Cette adhésion permettra également d’éviter les problèmes de santé mentale, tels que le développement de l’éco-anxiété. « Dans le baromètre de la motivation que nous avons réalisé durant le Covid-19, nous avons vu que les gens se portaient mentalement mieux lorsqu’ils voyaient que des décisions censées, utiles et pertinentes étaient prises pour lutter contre le problème, rappelle Vincent Yzerbyt. Lorsque les décisions sont à la hauteur du défi, la population est en mesure de comprendre d’éventuelles restrictions, voire de s’en sentir rassurée car elle voit que le problème est pris à bras-le-corps. »
Embarquer tout le monde à bord
D’où la nécessité de prendre des mesures structurelles, car la modification des comportements individuels ne suffira pas à résoudre le défi climatique. « Faire reposer le poids du réchauffement climatique sur les seuls citoyens, c’est une forme démission par rapport à l’ampleur du défi, avertit Vincent Yzerbyt. Rien ne sert de continuer à inciter la population à trier son bac de déchets si le politique n’a pas le courage de prendre des mesures rapides et concrètes. » Auquel cas le citoyen risque de se sentir lésé, voire berné. Prendre en compte les inégalités sociales et économiques est également indispensable pour ne laisser personne au bord de la route. « J’ai souvent tendance à dire que face au réchauffement climatique, nous sommes dans la même tempête, mais pas tous dans le même bateau, illustre le professeur de l’UCLouvain. L’action collective doit passer par la prise en compte des réalités de chacun. » Par exemple, continuer à inciter la population à voyager en train alors que les prix des compagnies aériennes lowcost représentent le dixième du prix des compagnies ferroviaires risque de ne pas avoir l’effet escompté, peu importe la motivation de l’individu sur le plan psychologique.
Au vu de l’importance de la dimension psychologique dans la lutte contre le dérèglement climatique, Vincent Yzerbyt plaide – avec d’autres collègues issus du monde universitaire – pour une meilleure intégration des sciences sociales et humaines au sein du Centre d’Excellence sur le Climat, inauguré en novembre 2022. L’idée serait notamment de développer un baromètre de la motivation spécifique au climat, afin d’objectiver l’acceptation d’éventuelles mesures gouvernementales au sein de la population ou encore de suivre l’évolution de l’éco-anxiété au sein de la société. « Sans prendre le pouls de la population, il sera difficile d’avancer collectivement dans la lutte contre le réchauffement climatique », conclut Vincent Yzerbyt.
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