«Frankensteak»: pourquoi Gaia veut voir la viande in vitro dans l’assiette des Belges
L’association de défense du bien-être animal Gaia veut remplacer la viande d’élevage par de la viande cultivée en laboratoire, convaincue que cette transition aura un triple impact positif: sur la souffrance animale, sur le climat et sur la santé des êtres humains. Décorticage du «frankensteak», peut-être amené à devenir la viande de l’avenir.
Le concept de viande cultivée en laboratoire (ou viande in vitro) est sorti du frigo en 2013, sous l’impulsion du chercheur de l’université de Maastricht Mark Post, qui lui donna le doux nom de «frankensteak». Le principe? Prélever des cellules animales afin de les reproduire en laboratoire, et ainsi fabriquer de la viande sans que porcs, bœufs et poulets passent par la case abattoir. Une manière de réconcilier amateurs de viande et amis des animaux – selon Gaia – qui promet: «Cela ressemble à de la viande. Cela a le goût de la viande. Mais de la viande qui n’entraîne pas de souffrance animale.»
«Imaginez: avec 150 vaches, on pourrait produire l’équivalent de 20.000 vaches.»
Sébastien De Jonge, directeur des opérations de Gaia en Belgique
Le triple argument de Gaia en faveur de la viande in vitro
L’argument utilisé par la tribu de Gaia pour demander que la Belgique (et l’Europe) investissent plus dans la viande in vitro est triple. Un: l’association rappelle qu’environ 70 milliards d’animaux terrestres sont tués chaque année en vue de garnir les assiettes des dix fois moins nombreux êtres humains habitant la planète. Et comme l’ONU prévoit que la consommation de viande grimpera de 70% d’ici 2050, l’élevage intensif – si le modèle n’évolue pas – continuera de constituer la norme. Deux: Gaia, toujours en citant une source onusienne, rappelle que 14,5% des émissions de gaz à effet de serre sont imputables à l’élevage – qui pollue donc davantage que les transports – et qui accapare 83% des terres cultivables mondiales. Trois: l’élevage, de par l’entassement des animaux et l’utilisation massive d’antibiotiques qui favorisent le développement des bactéries, virus et parasites, menacerait gravement la santé humaine.
Selon Sébastien De Jonge, tête pensante de Gaia en Belgique, franchir le pas permettrait de relancer un secteur agricole à bout de souffle. «Imaginez: avec 150 vaches, on pourrait produire l’équivalent de 20.000 vaches.»
La viande de synthèse coûte deux à trois fois plus cher que la viande traditionnelle
Thomas Demonty, conseiller à la FWA
Selon la FWA, le modèle agricole n’est pas prêt
Sans surprise, la Fédération wallonne des agriculteurs (FWA) ne partage pas la volonté de Gaia de développer la filière ‘viande cultivée’. «Ce n’est pas l’avenir de l’agriculture, recadre Thomas Demonty, conseiller à la FWA. La viande de synthèse coûte deux à trois fois plus cher que la viande traditionnelle, et on nous demande de ne pas augmenter son prix pour préserver le pouvoir d’achat des consommateurs. Produire de la viande en laboratoire est complètement hors-sol.»
Pour savourer les 142 grammes du premier burger cultivé ex vivo, il fallait débourser à l’époque 250.000 euros. Soit deux millions d’euros le kilogramme. Un coût exorbitant, dû à la mise en place nécessaire d’une chaine de production onéreuse. Qu’en est-il aujourd’hui? Difficile de répondre, sachant que Singapour est le seul endroit actuellement où les steaks de laboratoire sont commercialisés. En Israël, aux Etats-Unis et en Chine, de nombreuses start-up ont pris balle au bond. Les Etats, eux, restent prudents. Fin 2023, l’Italie a interdit la production et la commercialisation de viande de laboratoire. Une première mondiale.
Quel impact environnemental pour la viande in vitro?
La viande cultivée en laboratoire permet-elle réellement d’alléger l’impact climatique de l’élevage intensif? Cette question occupe beaucoup les discussions sur le sujet. Certes, la pratique nécessite moins de terres cultivables. Mais faire fonctionner les laboratoires qui jouxteront peut-être les fermes des agriculteurs demande une quantité non-négligeable d’énergie. Pour des conditions propices à la réalisation de la viande artificielle, une température d’au moins 38 degrés doit être assurée. Et le processus de fabrication demande de produire des bioréacteurs, sortes de grandes cuves.
L’impact environnemental d’une telle pratique n’a pas encore été prouvé par des études indépendantes
Yvan Larondelle, professeur à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain
Une étude réalisée pour The Good Food Institute et Gaia a tenté de chiffrer l’impact environnemental de l’extension de la viande cultivée en laboratoire en 2030. Résultat? «Si plus de 30% de l’énergie utilisée dans le processus de production de la viande in vitro est renouvelable, son empreinte carbone sera similaire à celles du porc et du poulet.» Tandis que, même dans un scénario avec moins de renouvelable, rapportent encore les auteurs, la viande de synthèse resterait moins polluante que la viande de bœuf.
«Une idée délirante»
À l’évocation de la viande cultivée en laboratoire, Yvan Larondelle, professeur à la Faculté des bioingénieurs de l’UCLouvain, tique. «C’est une idée complètement délirante. L’impact environnemental d’une telle pratique n’a pas encore été prouvé par des études indépendantes.» Selon l’expert en alimentation, les conditions stériles nécessaires à la culture des cellules animales sont difficiles à assurer et à maintenir.
«Nos éleveurs ont du talent, il ne faut pas déstabiliser les exploitations familiales wallonnes, qui sont un modèle du genre au niveau du bio et des produits locaux. Et puis, si les prairies et champs sont vides de bétail, énormément de CO2 stocké dans les sols va se libérer.» Thomas Demonty privilégie plutôt de réduire le gaspillage alimentaire et de manger de la viande de meilleure qualité en quantité réduite («le steak du dimanche plutôt que des fricadelles plusieurs fois semaine»).
Ou quand deux visions de la culture de la viande s’entrechoquent. Jusqu’à évacuer la viande traditionnelle de l’assiette des Belges au profit de la viande in vitro, dans un futur proche? Rien n’est moins sûr, même si les mentalités évoluent.
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