Carte blanche
Devoir de vigilance : plus que quelques heures pour sauver une directive européenne essentielle pour les droits humains
Bien partie pour responsabiliser, enfin, les entreprises européennes sur l’impact humain et environnemental de leurs activités, la directive européenne sur le devoir de vigilance est aujourd’hui menacée. Des tergiversations allemandes, italiennes et françaises notamment, mettent en péril un travail mené depuis des années par les institutions européennes. Greenpeace déplore que ces pays privilégient aujourd’hui les intérêts de leurs entreprises aux droits humains et demande à la Belgique de jouer son rôle de Présidente du Conseil pour sauver cette directive.
Des personnes, des familles et même des communautés entières souffrent aujourd’hui directement des conséquences dramatiques de l’industrie minière, des énergies fossiles ou encore du commerce des vêtements. Quand nos entreprises se montrent peu regardantes quand elles choisissent leurs fournisseurs, elles jouent un rôle direct dans ces violations de droits humains. Ces violations entachent ensuite directement les rayons de nos supermarchés ou nos garde-robes.
La mise en place de la directive européenne de devoir de vigilance serait un véritable point de bascule dans la responsabilisation de nos entreprises. Même s’il existe aujourd’hui des règles pour certains biens, encadrant par exemple le commerce de produits qui risquent de contribuer à la déforestation comme le café ou le bois, il n’existe encore aucun cadre légal obligeant les entreprises “à ne pas nuire”. La directive amènerait enfin ces dernières à examiner leurs chaînes d’approvisionnement et à mettre un terme aux pratiques qui engendrent des violations des droits humains ou des atteintes à l’environnement. L’impact positif de cette loi serait donc énorme, en particulier dans les pays depuis lesquels nous importons massivement des matières premières. Pensez par exemple au coton ou au cacao, qui sont souvent au coeur de scandales d’esclavage moderne ou de travail des enfants, ou encore au problèmes de santé causés par l’industrie extractrice de gaz de schiste.
Une directive taclée juste avant son vote
Après des mois de préparation et de longues négociations en la matière, un accord autour d’un texte pour cette nouvelle directive a été trouvé entre le Parlement européen et le Conseil des ministres en décembre 2023. Le vote final au Conseil européen semblait donc une formalité. Mais en dernière minute, le petit parti libéral allemand (FDP) a choisi de faire capoter l’accord. Le FDP fait partie de la coalition fédérale allemande. L’Allemagne aurait donc dû s’abstenir lors du vote, faute d’une position claire. Ceci a entraîné un premier report de la directive. A partir de ce moment-là, d’autres pays se sont mis à attaquer l’accord conclu avec le Parlement. Juste avant un nouveau vote la semaine dernière, la France a ainsi demandé d’amender la loi, afin qu’elle se limite aux entreprises de plus de 5 000 employés, au lieu des 500 précédemment convenus. Un affaiblissement inacceptable puisqu’il permettrait à de très nombreuses entreprises d’échapper à la directive. Cela serait par exemple le cas d’entreprises comme Fluxys, notre gestionnaire gazier, qui compte 900 employés en Belgique et 1 300 dans le monde. Or, comme le détaillait récemment un rapport de Greenpeace, Fluxys joue un rôle clé dans l’importation de gaz fossile directement lié à de nombreuses violations des droits humains, des États-Unis au Qatar en passant par la Russie.
Rappelons que le texte de la directive constituerait une énorme avancée. Il va en effet bien au-delà des législations existantes au niveau national. Pour la première fois, il obligerait les entreprises qui emploient au moins 1000 personnes et réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de 300 millions d’euros selon le dernier texte de compromis, à enquêter sur les violations commises dans leurs chaînes d’approvisionnement et à y remédier, soit en prenant des mesures pour les faire cesser, soit en mettant un terme à l’activité ou à la relation commerciale. Et la loi serait contraignante puisque des sanctions, allant jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise, sont prévues en cas d’infraction. Par ailleurs, les victimes pourraient introduire une plainte devant les tribunaux européens, ce qui constituerait une avancée majeure en matière de protection des victimes.
La Belgique peut encore jouer un rôle décisif
L’Europe ne peut pas faire marche arrière. Aux yeux du monde entier, le rejet de la directive serait indéniablement perçu comme un désaveu européen envers les droits humains et l’environnement. En sa qualité de présidente du Conseil de l’Union européenne, la Belgique peut encore intervenir pour sortir la directive de l’impasse actuelle. Greenpeace appelle notre pays, et en particulier notre ministre de l’économie et du travail Pierre-Yves Dermagne, à peser de tout son poids pour mener à bien ce dossier lors des discussions cruciales prévues dans les prochaines heures. Il s’agit d’ailleurs d’une occasion unique pour la Belgique de s’illustrer lors de sa présidence, d’ores et déjà fortement limitée par l’arrivée d’élections européennes au mois de juin.
Mathieu Soete, chargé de campagne transition énergétique chez Greenpeace Belgique.
Céline Grommerch, chercheuse de l’unité d’investigation chez Greenpeace Belgique.
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