La COP29 à Bakou pas sous de bons auspices. © GETTY IMAGES

COP29: pourquoi elle semble déjà compromise

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Le grand spectacle de la lutte contre le réchauffement climatique commencera bientôt à Bakou. Mais les espoirs de voir adopter de substantielles avancées sont très minces.

La COP de Bakou risque d’avoir la même odeur que celle de Dubaï en 2023. L’odeur persistante du pétrole. Et du gaz. Après les Emirats arabes unis, c’est au tour d’un autre pays producteur d’énergies fossiles d’accueillir la conférence mondiale sur le climat, ce grand barnum censé faire avancer la lutte contre le réchauffement climatique. Son président Mukhtar Babayev, aujourd’hui ministre azerbaïdjanais de l’Ecologie, est un vétéran de l’industrie pétrolière pour laquelle il a travaillé deux décennies à des postes de direction. Cela vous rappelle quelqu’un? Le président de la COP de Dubaï, Sultan al-Jaber, était lui aussi, et est toujours, un champion de l’or noir puisqu’il est le PDG d’Adnoc (Abu Dhabi National Oil Company), l’un des premiers exportateurs de brut au monde.

Résultat: la conférence de l’an dernier a accouché d’une souris, soit une déclaration d’intention sur la nécessité non pas de mettre fin mais de «s’éloigner des énergies fossiles» –transitioning away, en anglais– pour arriver à la neutralité carbone d’ici à 2050. Plusieurs observateurs, même parmi les ONG, ont applaudi cette décision finale, car pour la première fois, un accord de fin de COP pointait les fossiles. Une victoire? Dans ses «Perspectives 2050», l’Opep, qui compte les Emirats arabes unis parmi ses principaux membres et l’Azerbaïdjan au sein de l’Opep+, prévoit une hausse de 20% de la consommation de brut d’ici à 2050. L’Opep a qualifié de «fantasmes» les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) qui table sur un début de baisse de la consommation de charbon, de gaz et de pétrole en 2030.

Adnoc se réserve une place de choix dans le peloton de tête des producteurs. 2023 fut, en effet, une année sans précédent pour la compagnie d’al-Jaber qui aura profité de la visibilité que lui a accordée la COP pour négocier de nombreux accords commerciaux dans le domaine des fossiles. Une vingtaine, pour une valeur de près de 100 milliards de dollars, selon l’ONG Global Witness qui a enquêté sur le sujet dans les coulisses de la conférence de Dubaï. Soit cinq fois plus qu’en 2022 et huit fois plus qu’en 2021. Adnoc détient désormais des intérêts en amont de la production dans quatorze pays contre un seul, les Emirats, en 2022.

Sultan al-Jaber passe le relais au président azerbaïdjanais Aliev. © GETTY IMAGES

Bis repetita

Pour l’ONG, la même chose pourrait se reproduire cette année avec l’Azerbaïdjan et sa société gazière et pétrolière publique, Socar, dont le processus de privatisation partiel a été lancé au début de l’année. Ce qui devrait attirer les investisseurs étrangers. Adnoc se positionne déjà. En février 2024, Socar et son partenaire TotalEnergies ont cédé une participation de 15% chacune dans le champ gazier azerbaïdjanais d’Absheron à la compagnie d’al-Jaber. Absheron dispose de réserves de plus de 1,5 milliard de barils de pétrole et de gaz et la production de ce champ gazier devrait quasi quadrupler d’ici à 2031. Le projet générera alors 20 milliards de dollars de bénéfices au cours de la prochaine décennie.

Dans un tel contexte, il est difficile d’imaginer que l’Azerbaïdjan, qui dépend de la production de pétrole et de gaz pour la moitié de son PIB et plus de 90% de ses recettes d’exportation, bataillera ferme contre les fossiles durant la COP qui s’ouvre le 11 novembre. En outre, le pays du dictateur Ilham Aliev, reconduit en février dernier avec 92% des suffrages, ne devrait pas souffrir de critiques de la part des Européens qui comptent l’Azerbaïdjan parmi leur cinq principaux fournisseurs de gaz. «On est coup sur coup avec une présidence de la COP assurée par un pays pétrolier qui n’a qu’un seul objectif: ralentir le processus de décarbonation et de sortie des fossiles, déplore Adel El Gammal, professeur de géopolitique de l’énergie à l’ULB. Et le double discours de l’Europe à l’égard de Bakou est dicté par sa dépendance énergétique.»

A 56 ans, Mukhtar Babayev, peu connu des diplomates spécialistes du climat, risque donc de marcher dans les pas de son prédécesseur dubaïote. Bien sûr, les présidents de ces conférences n’ont pas de rôle décisionnaire, mais ils encadrent les négociations et proposent des compromis, ce qui n’est pas négligeable. En mars dernier, une coalition de 150 organisations de la société civile s’est inquiétée, dans un communiqué conjoint, de voir le patron de Socar faire partie du comité d’organisation de la COP29… «Le président Aliev lui-même a parlé du gaz et du pétrole comme un cadeau de Dieu dans le cadre de la préparation de la COP, rappelle aussi Anita Khachaturova, spécialiste du Caucase du sud au Cevipol, le Centre d’étude de la vie politique de l’ULB. L’engagement environnemental de l’Azerbaïdjan est plutôt douteux. Le pays se sert de la cause climatique pour faire avancer un agenda international qui n’a rien à voir avec les intérêts liés à la lutte contre le réchauffement.»

«N’est-il pas temps de mettre fin à ces grands-messes de l’imposture?»

La production de pétrole et de gaz influence pour moitié le PIB de l’Azerbaïdjan. © GETTY IMAGES

Un dossier épineux

Le problème est qu’il est de moins en moins certain qu’on atteigne les objectifs fixés par le fameux Accord de Paris sur le climat, soit limiter le réchauffement sous les 2 °C, si possible à 1,5 °C. Or, dans son dernier «Emissions Gap Report», publié fin octobre, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) prévoit un réchauffement de 3,1 °C à la fin du siècle si les contributions nationales des Etats ne sont pas renforcées. L’an dernier, le PNUE tablait sur une hausse de 2,5 °C à 2,9 °C en 2100. Les prévisions ne cessent donc de s’aggraver, d’année en année. Dans le tableau mondial, les pays du G20, soit les plus riches de la planète, représentent 77% des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) et celles-ci continuent d’augmenter. A l’opposé, les 55 pays de l’Union africaine n’émettent que 5% des GES. Ce déséquilibre sera au cœur des transactions de la COP puisque les participants doivent s’accorder sur la question du financement de la transition.

Il s’agit de l’un des dossiers les plus épineux de la diplomatie climatique, sur lequel Mukhtar Babayev a promis de mettre le paquet. Cela concerne le fameux Fonds vert destiné à aider les pays du Sud à s’adapter et à lutter contre le dérèglement climatique à hauteur de 100 milliards de dollars par an. «La promesse exprimée reste très floue, remarque Romain Weikmans, chargé de cours en relations internationales à l’ULB et spécialiste des négociations climatiques. On ne sait toujours pas dire si elle a été tenue ou pas. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prétend qu’on a atteint 120 milliards en 2022. Selon Oxfam, on n’a pas dépassé 35 milliards de dollars. Le flou persiste aussi sur le fait de savoir si ces contributions volontaires sont des dons ou des prêts financiers. Les pays développés veulent, par ailleurs, que le groupe des contributeurs soit élargi à des pays de plus en plus développés comme le Koweït, les Emirats arabes unis ou la Chine. Les nœuds de tension restent énormes.»

Idem pour le Fonds pertes et préjudices, censé aider à réparer les dommages subis par les pays les plus frappés par le changement climatique et présenté comme une victoire de la COP28. «De nombreuses questions restent sans réponse pour ce fonds également alimenté de manière volontaire, à hauteur de 68% par les pays de l’Union européenne, continue Romain Weikmans. Soulignons que la Belgique, elle, n’a, pour l’instant, pris aucun engagement.» Les montants promis restent dérisoires par rapport à ce dont les pays du sud ont besoin –on parle en milliers de dollars par an– pour financer leur action et leur résilience climatique. Un nouvel objectif financier devrait être discuté à la COP de Bakou. Mais le contexte géopolitique risque de ne pas aider à trouver des compromis. Les guerres au Moyen-Orient et en Ukraine, les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis et l’élection présidentielle américaine rendent les priorités climatiques plus incertaines que jamais.

Le contexte géopolitique risque de ne pas aider à trouver des compromis.

L’adoption d’un nouvel objectif fort de financement climatique au-delà des 100 milliards déjà promis reste hasardeuse, comme l’ont montré les réunions techniques précédant la COP29. Plusieurs ONG ont déploré que les pays développés avaient déjà sapé les négociations et refusé, jusqu’ici, de mettre un montant sur la table. Trouver un accord ambitieux sur ce sujet relèvera du tour de force pour Mukhtar Babayev. Si la COP aboutit à un échec, la décrédibilisation des politiques sera plus grande encore en matière climatique.

«Et cela ne va pas s’arranger, en particulier en Europe, prédit le professeur Adel El Gammal. J’ai analysé les rapports sur l’objectif UE de décarbonation de 55% d’ici à 2030. On arrivera en 2025 à 35% ou 36%. Sachant que le rythme de décarbonation est de 2%, on sera à 43%, ou 48% dans le meilleur des cas, en 2030. On risque de passer complètement à côté de l’objectif intermédiaire. Et plus l’opinion en aura conscience, plus cela décrédibilisera les décideurs politiques et fera le jeu des populistes qui sont déjà importants en Europe.» Dans un livre paru récemment (1), Clément Sénéchal, ancien militant au sein d’une grande ONG, pointe le caractère inutile et superficiel des COP. Et se demande «s’il n’est pas temps de limiter les frais de bouche et d’appeler au boycott de ces grands-messes de l’imposture». A méditer.

(1) Pourquoi l’écologie perd toujours, par Clément Sénéchal, Seuil, 223 p.

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