
Consigne sur les canettes: pourquoi ça fonctionne dans d’autres pays, mais pas en Belgique?
Cela fait des décennies que la consigne sur les bouteilles en plastique et les canettes divise la politique belge. L’Europe ne tolère plus de report. La consigne viendra sans doute, mais sous quelle forme?
Chez Albert Heijn à Bergen-op-Zoom, aux Pays-Bas, ils y sont désormais habitués: des clients belges viennent récupérer une consigne qu’ils n’ont jamais payée. Comment cela se passe-t-il? Ils achètent dans un Albert Heijn (AH) en Flandre des produits de marque distributeur portant un code de consigne néerlandais. A la caisse, ils ne paient donc pas de consigne, mais en rapportant les emballages dans un AH néerlandais, ils reçoivent un bon d’achat: 25 centimes d’euro pour une grande bouteille, 15 pour une petite bouteille ou une canette. Cela peut vite chiffrer, surtout quand on sait que, selon l’organisation de consommateurs Testachats, le chariot de courses a augmenté de 29% en deux ans.
Ces chasseurs de bonnes affaires n’auront peut-être plus à franchir la frontière. En effet, la Belgique est à la croisée des chemins: introduire une consigne sur les bouteilles en plastique et les canettes, comme c’est déjà le cas pour certaines bouteilles en verre? Ou continuer à les collecter via le sac bleu de Fost Plus, une organisation financée depuis 1994 par les producteurs d’emballages?
Les responsables politiques n’arrivent pas à trancher; à chaque élection, la décision est reportée. Kicking the can down the road, comme disent les Anglo-Saxons, mais cette fois, la canette a une date de péremption. L’Europe accorde aux Etats membres jusqu’en août 2026 pour appliquer le nouveau règlement sur les emballages et les déchets d’emballages (PPWR).
L’une des obligations contraignantes impose qu’en 2029, 90% de toutes les bouteilles en plastique et canettes soient collectées séparément et recyclées.
«L’Europe accorde aux Etats membres jusqu’en août 2026 pour appliquer le nouveau règlement sur les emballages et les déchets d’emballages.»
Ce sera un défi de taille. Pour les bouteilles en plastique, le taux de recyclage atteint déjà plus de 80% grâce au sac bleu, mais reste bloqué à 68% pour les canettes. Des chiffres élevés, certes; la Belgique est d’ailleurs reconnue à l’international comme un modèle en matière de tri sélectif grâce à son sac bleu.
Pourtant, l’écart n’est pas facile à combler. Les emballages qui échappent au sac bleu finissent dans les ordures ménagères et sont perdus pour le recyclage. Ou bien ils sont jetés comme déchets sauvages, malgré la présence omniprésente de poubelles munies de sacs bleus dans l’espace public.
Pas d’actualité en Wallonie ni à Bruxelles
Le règlement européen PPWR considère la consigne comme la perche permettant de franchir une barre très haute. Pourtant, il existe une échappatoire: les Etats membres peuvent renoncer à la consigne s’ils soumettent à la Commission européenne une alternative crédible. Ce point fait actuellement l’objet d’un lobbying aussi discret qu’intense en Belgique. Des centaines de millions d’euros d’investissements sont en jeu, mais aussi la transition vers des emballages circulaires et l’enjeu politique de la propreté publique.
La politique des déchets est une affaire complexe, comportant de nombreux niveaux de pouvoir et des parties prenantes aux agendas irréconciliables. La Flandre, la Wallonie et Bruxelles ont conclu en 1997 un Accord de coopération sur les déchets d’emballages pour appliquer de manière uniforme la législation européenne.
En vue de son exécution, une Commission interrégionale des Emballages (IVC-CIE) a été créée. Mais l’entrée en vigueur du PPWR impose aux trois gouvernements régionaux de conclure un nouvel accord de coopération avant l’été 2026. Ce délai est serré, d’autant que les négociations, techniquement complexes, piétinent.
Il n’aide en rien que la Région de Bruxelles-Capitale n’ait toujours pas de gouvernement pleinement opérationnel. Mais en Flandre comme en Wallonie, le processus est bloqué. Il est révélateur que le mot «consigne» ne figure pas une seule fois dans les accords de gouvernement flamand et wallon.
«Il est révélateur que le mot “consigne” ne figure pas une seule fois dans les accords de gouvernement flamand et wallon.»
Pourtant, au cours de la précédente législature, les deux Régions avaient commandé des études sur les avantages et inconvénients des différents systèmes de consigne. Zuhal Demir (N-VA), alors ministre de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, qualifiait la consigne d’«inévitable».
Récemment toutefois, son collègue de parti et vice-ministre-président flamand Ben Weyts a fait un virage: la consigne sur les canettes et bouteilles serait une mauvaise idée, une optimisation du sac bleu devrait suffire pour atteindre les objectifs européens. Jo Brouns, le nouveau ministre CD&V de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire en Région flamande, ne partage absolument pas cet avis. «Le sac bleu fonctionne très bien, reconnaît-il. Mais il ne me semble pas réaliste de faire passer la collecte sélective des canettes de 64 à 80%, puis à 90%, sans instaurer une consigne.»
Au sud du pays, le ministre wallon de l’Environnement, Yves Coppieters, avait néanmoins indiqué, lors d’une séance plénière du Parlement de Wallonie en janvier dernier, que «la feuille de route gouvernementale ne reprend pas le projet de consigne sur les canettes et les bouteilles en plastique. Il n’est donc pas prévu en ce moment de démarrer sa mise en œuvre.»
Un système numérique pour permettre la consigne sur les canettes?
Au sein du gouvernement wallon, les divergences sont encore plus marquées. Les Engagés sont résolument favorables à l’introduction de la consigne sur les canettes et les bouteilles, tandis que le MR y est farouchement opposé, car une telle mesure signerait, selon lui, l’arrêt de mort du sac bleu.
«Sans les bouteilles en PET et les canettes, le sac bleu n’est pas viable, déclare Hans Cardyn, porte-parole de la fédération du commerce Comeos. Il ne contiendrait alors plus que des films plastiques et des barquettes à beurre, qui sont très difficiles à recycler.»
Les bouteilles en PET, en revanche, se prêtent très bien au recyclage, bien qu’elles se dégradent après cinq cycles, ce qui rend la production de nouveaux emballages sans plastiques vierges impossible. Les canettes et autres emballages métalliques s’en sortent encore mieux: 99% de l’acier et de l’aluminium sont recyclés sans perte de qualité.
Ces flux de matériaux précieux sont actuellement extraits des sacs bleus dans quatre centres de tri, des installations ultramodernes dans lesquelles Fost Plus a investi 250 millions d’euros ces dernières années. «Sans ces revenus, le prix du sac bleu devra fortement augmenter, avertit Hans Cardyn. Et alors les consommateurs recommenceront à jeter leurs plastiques dans les ordures ménagères.»
Comeos n’est bien entendu pas une source neutre. En Europe, les déchets d’emballages relèvent entièrement de la responsabilité des producteurs. FEVIA, la fédération de l’industrie alimentaire, qui regroupe des géants des boissons comme Coca-Cola, AB-Inbev et Spadel, partage la facture avec Comeos. Les chaînes de supermarchés ne sont pas seulement des distributeurs, elles sont aussi, via leurs marques propres, d’importants producteurs de déchets d’emballages.
Comeos et FEVIA, avec leur filiale Fost Plus, font du lobbying commun pour un système de consigne numérique compatible avec le sac bleu. Il en existe différentes variantes, mais le principe reste le même: à la production, les emballages et les sacs bleus reçoivent un code unique. La consigne payée lors de l’achat est remboursée lorsque le consommateur dépose ses canettes ou ses bouteilles vides dans un sac bleu, après avoir scanné les deux codes à l’aide d’une application sur son smartphone.
Entre 2022 et 2023, l’Ovam a testé différents systèmes de consigne numérique à la demande du gouvernement flamand via des projets pilotes. L’étude, financée par les producteurs d’emballages, conclut que la consigne numérique est techniquement réalisable, mais identifie comme inconvénient majeur son accessibilité limitée pour les consommateurs moins familiers du numérique.
La protection de la vie privée est également un point d’attention, car les applications nécessitent des données personnelles. Par ailleurs, les systèmes testés sont insuffisamment armés contre les utilisateurs frauduleux qui collectent la consigne sans restituer correctement les emballages. Enfin, le rapport souligne que le déploiement dans l’espace public s’annonce particulièrement difficile.
Moins de déchets sauvages
Parallèlement, la Wallonie a comparé les systèmes numériques au système classique de consigne via des automates de reprise. L’étude a même envisagé un scénario numérique dans lequel le scannage n’est pas effectué par le consommateur, mais lors du traitement des sacs bleus dans les centres de tri de Fost Plus. Aucun choix politique clair n’est imposé, mais les conclusions sont en ligne avec l’étude flamande, qui contient quant à elle un scénario de préférence.
«Une combinaison de consigne classique et numérique obtient les meilleurs résultats en termes d’adhésion et d’impact sur les déchets sauvages», déclare Jan Verheyen, porte-parole de l’OVAM, tout en admettant que ce modèle hybride est de loin l’option la plus coûteuse. «Mais ce n’était pas un critère pour nous; les coûts d’investissement relèvent entièrement de la responsabilité des producteurs. Nous émettons un avis, c’est à la politique de trancher.»
Un scénario sans consigne, comme le défendent la N-VA et le MR, semble toutefois peu probable à la lumière des études. «L’effet de la consigne sur les déchets sauvages est évident», affirme Jan Verheyen. Dans le meilleur des cas, elle entraîne une réduction de 40%.» Ce n’est pas un détail au regard des ambitions flamandes. Selon le Plan local des matières de 2023, la quantité de déchets sauvages sur le territoire flamand doit diminuer de 20% d’ici 2030.
Supérette de quartier
Aux Pays-Bas, une consigne est en vigueur pour les bouteilles en plastique depuis 2021 et pour les canettes depuis 2023. Cela n’est pas passé inaperçu: la proportion de canettes et de PET dans les déchets sauvages a baissé de 80% par rapport à 2020. Un succès, bien que des améliorations soient possibles. A Amsterdam, des poubelles publiques sont renversées par des chasseurs de consignes, souvent des sans-abri ou des toxicomanes qui y ont vu un modèle économique. L’offre est abondante dans une ville envahie par des touristes qui ignorent tout du système de consigne.
«Aux Pays-Bas, la proportion de canettes et de PET dans les déchets sauvages a baissé de 80% par rapport à 2020.»
La reprise s’effectue exclusivement via les supermarchés, bien qu’il y ait des expérimentations avec des installations mobiles lors d’événements de masse. Chez AH à Bergen-op-Zoom, trois machines délivrent un bon d’achat. Les clients peuvent encaisser ce bon en espèces, sans devoir effectuer un nouvel achat. Ou appuyer sur le bouton de la machine pour faire don de leur consigne à la «bonne cause du mois». Les automates de reprise ne sont que la partie visible d’une installation de tri ultramoderne qui trie et compacte le PET et les canettes, et gère également les bouteilles et les casiers à bière.
Les employés doivent à peine intervenir, sauf pour remplacer les conteneurs pleins et relancer la machine en cas de code illisible. «Ça fonctionne parfaitement, assure Astrid, employée chez AH. Il n’y a quasiment jamais de file d’attente, sauf après le carnaval, quand ils viennent ici avec des chariots remplis de bouteilles vides.»
Les Pays-Bas ne disposent pas d’une instance nationale comme Fost Plus: la collecte et le recyclage sont organisés par les provinces et les autorités locales. Les taux de collecte y sont encore nettement inférieurs aux nôtres, ce qui explique en partie pourquoi l’introduction de la consigne y a eu un si grand impact. Et pourtant, nous revenons à cette question: pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas en Belgique? Chez Comeos, la fédération du commerce, on oppose des contre-arguments. Une installation comme celle de Bergen-op-Zoom coûte environ deux millions d’euros et occupe un précieux espace en magasin. Des investissements colossaux pour des détaillants dont les marges sont déjà serrées.
La Wallonie compte encore de nombreuses supérettes indépendantes et chaînes régionales approvisionnées par une centrale d’achat. Pour ces petits détaillants, une consigne classique serait tout simplement inabordable. Le porte-parole de Comeos, Hans Cardyn, ne comprend pas les doutes concernant la consigne numérique: «Aujourd’hui, nous faisons tout avec notre smartphone, mais quand il s’agit de consigne, scanner devient soudainement un problème insurmontable.»
Centres de reprise
Le lobbying en faveur de la consigne classique est lui aussi intense, notamment de la part de l’Alliance Benelux pour la Consigne, qui rassemble dans notre pays des dizaines de villes, communes, organisations et entreprises. «La consigne numérique n’existe nulle part ailleurs dans le monde», déclare la porte-parole Chloé Schwizgebel.
«Le Pays de Galles en a fait l’expérience, mais sans succès. En Belgique, l’industrie utilise cela comme une manœuvre de retardement, pour repousser l’instauration effective de la consigne et préserver ses intérêts dans Fost Plus. Ce n’est pas ainsi que nous atteindrons les objectifs européens. Le sac bleu est un système honorable, mais sans consigne classique, nous n’y arriverons pas.»
Dans ce concert de lobbying, on entend aussi des voix surprenantes. La Fédération des Agriculteurs (Boerenbond) et le Syndicat Agricole Général (Algemeen Boerensyndicaat) plaident pour une introduction rapide de la consigne sur les canettes, qu’elle soit classique ou numérique. Selon leurs chiffres, les éleveurs subissent chaque année des dégâts de l’ordre de 6 à 8 millions d’euros à cause des déchets sauvages contenant des éclats de canette retrouvés dans l’estomac des vaches.
L’Association des Villes et Communes Flamandes (VVSG) se sent également concernée. Si la consigne classique sur les canettes et les bouteilles est retenue, alors, selon Comeos, il faudrait également installer des centres de reprise dans l’espace public. «Il n’en est pas question», réagit la porte-parole de la VVSG, Nathalie Debast.
«La reprise et la consigne relèvent à 100 de la responsabilité des producteurs, c’est-à-dire de l’industrie alimentaire et du secteur de la distribution. Qu’elle soit classique ou numérique, elle ne peut en aucun cas imposer un fardeau aux villes et aux communes. L’important est de s’attaquer aux déchets sauvages, une source d’irritation qui a coûté 144 millions d’euros aux autorités locales l’an dernier. Nous aurions préféré consacrer cet argent à des pistes cyclables ou à des maisons de repos, par exemple.»
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