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Des villes plus vertes, comme à Anvers ? © STAD ANTWERPEN/JEROEN BROECKX

Des villes plus vertes ? Les 4 raisons pour lesquelles le béton reste roi (enquête)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Face aux défis du climat et de la biodiversité, les villes doivent absolument se parer de nature pour rester viables. Mais le passage à l’action n’est pas une sinécure.

Par Christophe Leroy

Des pavés à joints ouverts sur les places publiques, des plantations en pleine terre sur des bouts de trottoirs, des façades végétalisées ébouriffant l’extérieur d’un parking ou les montants d’un immeuble de bureaux, un tapis végétal foisonnant sur les toitures plates et faiblement incli­nées, des abris pour les oiseaux et les chauves-souris logés sous les corniches… Est-il utopique de concevoir une conquête de la nature en ville dépassant le tradition­nel carcan des parcs et jardins, eux-mêmes hyperentretenus? Doit-elle forcément se réduire à quelques arbres coincés dans quatre mètres carrés cernés de béton, à une rangée de plantes exotiques dans des bacs sur une surface minéralisée? Certainement pas, souligne chaque signal d’alerte lié au réchauffement climatique, aux phénomènes météorologiques extrêmes et à la crise de la biodiversité.

L’attractivité des villes sera décisive pour freiner l’étalement urbain, cette ten­dance particulièrement belge à grappiller chaque année des kilomètres carrés de pleine terre en périphérie afin de construire du neuf. Ce n’est pas gagné: en dépit d’une croissance démographique à l’échelle belge, les perspectives établies par Statbel et le Bureau fédéral du plan font état d’une stagnation de la population dans la capitale d’ici à 2050, suivie d’une régression. En Wallonie, trois des quatre plus grandes villes (Liège, Charleroi et Mons) pourraient compter moins d’habitants en 2035 qu’en 2020, Namur n’affichant pour sa part qu’une faible progression, soulignent les données de l’Institut wallon de l’évaluation, de la pros­pective et de la statistique (Iweps). Et vivre sur le territoire communal d’une ville ne signifie pas nécessairement habiter dans un cadre urbain.

Cruciales pour que l’humanité utilise davantage les sols avec parcimonie, les villes ne resteront cependant viables qu’à certaines conditions. Notamment un rééquilibrage profond en faveur de la nature, bien au-delà de ses vertus orne­mentales. Les inondations de juillet 2021 ont démontré que l’enchaînement de surfaces imperméables pouvait conduire à d’effarantes destructions en cas de pré­cipitations intenses. Il est aussi acté que les vagues de chaleur, qu’on annonce à la fois plus longues et plus intenses dans les décennies à venir, sont plus éprouvantes dans les villes: les îlots de chaleur urbains s’y traduisent par des différences de température atteignant jusqu’à + 5 °C par rapport à la périphérie.

La plupart des projets qui voient le jour en ville n’intègrent pas la composante nature, ou de manière anecdotique.

«Les étés de nos petits-enfants, s’ils vivent en ville, seront à 30% des jours de canicule, avec des conséquences considé­rables sur leur santé, mais aussi sur la pro­ductivité, la consommation d’énergie ou les pannes d’infrastructures, résume la Ville de Liège sur le site dédié à son plan Canopée, visant à planter 24000 arbres entre 2020 et 2030. Vu les difficultés ren­contrées déjà aujourd’hui lors des périodes de fortes chaleurs, on imagine aisément les conséquences désastreuses attendues si on ne fait rien pour adapter notre terri­toire.» Plus largement, les habitants actuels et futurs sont également deman­deurs d’un cadre de vie intégrant davan­tage la nature, comme le confirment les enquêtes de satisfaction de promoteurs immobiliers.

Il faut donc non seulement plus d’arbres, de cours d’eau à ciel ouvert, de plantes indigènes au service de la biodiversité locale, mais aussi plus de verdure sur tous ces pans horizontaux ou verticaux de villes qui ne restent souvent faits que de béton, de briques, de tuiles et d’acier. Mises ensemble, ces solutions changent résolu­ment la donne dans des villes plus vertes, et pas seule­ment pour la biodiversité. Les arbres constituent de véritables climatiseurs naturels. Ils absorbent jusqu’à 50% du rayonnement solaire, tandis que leur feuil­lage réfléchit 20% à 30% supplémentaires, renvoyés vers l’atmosphère. Ils refroi­dissent activement l’air ambiant grâce à la transpiration, en évaporant l’eau consom­mée. Les toitures et façades végétales peuvent aussi limiter le réchauffement extérieur et intérieur, en retenant jusqu’à 20% du rayonnement solaire. Elles offrent une excellente isolation acoustique, un élément essentiel du confort de vie en ville. Enfin, les toitures vertes plates contri­buent à réduire le risque d’inondation, puisqu’elles peuvent retenir jusqu’à 50% de l’eau de pluie

Jusqu’à présent, la Belgique est loin du compte. Dans la capitale, le Règlement régional d’urbanisme (RRU) impose, certes, depuis 2006 déjà, la végétalisation des toitures plates de plus de cent mètres carrés. « Mais dans les faits, il y a souvent des dérogations », tempère Antoine Crahay, géographe et administrateur du bureau CityTools. Les touches de vert, utilement placées pour susciter une moins vive opposition à l’un ou l’autre projet, ne dépassent pas toujours le stade des projections 3D de cabinets d’architectes. «Si vous vous rendez au Mipim (NDLR: le Marché international des professionnels de l’immobilier, à Cannes), vous verrez un festival de bâtiments touffus, avec des arbres sur les balcons et les toitures, pour­suit-il. Dans la pratique, cela s’avère bien plus complexe. On s’aperçoit que les quelques arbres plantés en pot décèdent rapidement, en raison de conditions de vie très défavorables.»

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La priorité: déminéraliser un maximum de surface, pour rendre les villes plus vertes. C’est ce que prévoit le projet Les trois mâts (87 appartements), à Mons. © ASYMÉTRIE

Des villes plus vertes ? «Végétal ne veut pas dire nature»

Il ne suffit donc pas d’ajouter de la verdure pour rendre nos villes vertes. Et pour que l’intention ait du sens. Dubaï a beau regorger de pimpantes façades végé­talisées, leur présence traduit moins la volonté de supporter la biodiversité ou de rafraîchir la ville que de concourir au tape-à-l’œil des bâtiments. Il faut en outre que les plantes sélectionnées soient en phase avec le climat actuel et futur, avec la faune et la flore environnante. «Végétal ne veut pas dire nature, loin de là, commente Sylvain Boisson, expert en gestion de la biodiversité à la faculté Gembloux Agro Bio-Tech (ULiège) et cofondateur de la spin-off Vivus, spécialisée dans la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature. A Liège-Guillemins, les seuls végétaux que l’on trouve sur la grande place en face de la gare sont des bambous dans des bacs de cinquante centimètres de profondeur. Non seulement on n’y a rien déminéralisé, mais on y installe en plus des plantes qui ne soutiennent en rien la biodiversité locale. C’est totalement inutile

Malgré une indéniable prise de conscience des multiples vertus de la nature en ville, l’heure de la révolution verte n’a pas encore sonné. «On continue tou­jours à opposer la nature et les hommes, ou la nature et les villes, regrette l’expert. La plupart des projets qui voient le jour en ville n’intègrent pas la composante nature, ou de manière totalement anecdotique. On reste dans une logique qui distingue la nature mise sous cloche, dans la lignée des réserves naturelles, et les aménagements purement fonctionnels et esthétiques dans les villes.» Mais les choses sont en train de changer. A Anvers, par exemple, le projet pilote des rues-jardins a radicalement changé la configu­ration de certains quartiers à la suite d’un processus participatif. Des dalles gazon et parterres végétaux y ont remplacé çà et là les traditionnels pavés, contribuant à mini­miser l’évacuation des eaux de pluie (réuti­lisable par les habitants) dans le réseau d’égouttage.

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La faculté Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège) a conçu une structure végétalisée polyvalente pour l’espace public. © GEMBLOUX AGRO-BIOTECH (ULIÈGE)

Si les pouvoirs publics peuvent montrer l’exemple à travers le remaniement de lieux importants du tissu urbain, le privé a, lui aussi, un rôle essentiel à jouer. Les promoteurs intègrent de plus en plus de nature à leurs projets, mais de manière encore accessoire. «Il manque souvent d’écologues pour travailler en amont des projets immobiliers, singulièrement quand il s’agit de prêter attention à la bio­diversité ordinaire, celle que l’on voit par­tout, constate Sylvain Boisson. Mais il y a du progrès.» La conquête de la nature en ville peut se résumer en deux étapes: il faut d’abord déminéraliser un maximum de surfaces, pour ainsi faire revenir des zones de pleine terre dans le décor urbain. Puis végétaliser une bien plus grande propor­tion de surfaces artificialisées, dont les toitures et les façades. La marge de progression.

-2 à -8 °C

Tel est le pouvoir de rafraîchissement que peuvent apporter les arbres dans les villes soumises à des hausses localisées de température.

1. Coûteux et difficile à entretenir

La nature en ville sera-t-elle publique ou privée? Répondre à cette question est un préambule indispensable, puisqu’elle en appelle une autre : qui paiera pour les aménagements et leur éventuel entretien? «Quand on ouvre un espace vert au public, et pas seulement aux nouveaux habitants cela aide dans l’acceptation du projet immobilier par les riverains et diminue pour nous le risque de recours, souligne Aubry Lefebvre, administrateur délégué de Thomas & Piron Bâtiment. Mais ça signifie aussi que son entretien est rendu public, et donc à charge des communes. Or, elles ne sont, pour la majorité, pas du tout prêtes à l’assumer. Il n’est pas rare, dans certaines charges d’urbanisme, qu’on nous demande de payer pour cinq ans d’entretien d’un espace public. On essaie alors d’être imaginatif: ce qui nécessite plus d’entretien est mis dans les espaces privatifs communs, pour que la ville prenne en charge celui du reste du parc, à savoir essentiellement de la pelouse.»

Depuis la législation «zéro phyto», les communes ne peuvent plus utiliser de pesticides pour entretenir les espaces publics. Au départ vécue comme une coûteuse contrainte, cette disposition les a conduites à repenser la manière de gérer les espaces verts. D’une part en laissant davantage la nature reprendre ses droits là où c’est possible, de l’autre en prêtant attention aux espèces sélectionnées. Pour Sylvain Boisson, les craintes d’une hausse inévitable des coûts d’entretien illustrent la peur de l’inconnu: «Comme on s’est habitués à utiliser des plantes d’ornement, on a créé des parterres systématiques: un cotonéaster, un type de géranium, des roses, un millepertuis… Il n’y a même plus besoin de réfléchir. Pour concevoir des solutions plus intégrées, il faut réaliser une étude au préalable. La crainte d’un entre­tien plus complexe ou différent de ce qu’on connaît est souvent un prétexte pour ne pas changer ses habitudes.»

Les citoyens sont demandeurs de villes plus vertes mais manifestent dès qu’on supprime du stationnement.

En ce qui concerne les bâtiments, l’installation de dispositifs végétalisés représente indéniablement un coût addi­tionnel. Selon ses spécificités, une toiture verte coûte entre 60 et 250 euros par mètre carré, renseigne la plateforme Batibouw+. Pour les façades végétalisées, tout dépend du dispositif utilisé. Avec ou sans support mural? De simples plantes grimpantes mises au sol, ou un dense mélange de plants logés dans des caissons verticaux? Gare au greenwashing, souligne Luc Gustin, fondateur de la société Jardins Urbains. «Il existe des systèmes en hydroponie, à savoir des matelas de laine de roche habillés d’une toile, dans lesquels on place des plantes. Comme ce n’est pas un milieu naturel, il faut les arroser énormément et ajouter beaucoup de fertilisants chimiques. Parmi les solutions plus natu­relles, on peut envisager une combinaison de grimpants et de murs végétaux en cais­sons obliques, remplis de vrais substrats et installés sur une structure. Avec 96 plants au mètre carré, on peut y appor­ter une vraie diversité.» Mais il faut débourser entre 720 et 750 euros par mètre carré pour placer un tel mur végétal, auquel s’ajoute l’éventuel contrat d’entretien et l’arrosage (sept cents litres d’eau par mètre carré et par an).

12,2 km2

de pleine terre disparaissent chaque année en Wallonie au profit de sols bétonnés, majoritairement pour un usage résidentiel.

La végétalisation de façades et de toitures n’est donc pas à la portée de tous les particuliers en Belgique. Cependant, la Région bruxelloise propose une prime de dix à cinquante euros par mètre carré pour une toiture végétalisée – rien de tel en Wallonie. En outre, quelques com­munes prévoient une aide pour la végétalisation d’une façade. C’est notamment le cas à Mons, bien que la prime ne s’élève qu’à cinquante euros, pour l’achat de plan­tations et de terreau. Du côté des déve­loppeurs immobiliers, le budget des installations vertes sera forcément réper­cuté sur celui des biens mis en vente. «Mais par rapport à l’ensemble d’un projet, c’est un coût marginal», nuance Bernard Hermant, general manager d’Ardent Real Estate, une société immobilière liégeoise qui met l’accent depuis quelques années sur la végétalisation. Par ailleurs, il est prouvé que le placement d’une toiture végétalisée double la durée de vie de l’étanchéité, puisqu’elle la protège des changements violents de température et des rayons ultraviolets.

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A Namur, le projet Novia (Thomas & Piron) prévoit la création d’un parc public de 1500 m². Mais la répartition des coûts d’entretien reste une préoccupation. © MIYSIS

2. Une concurrence au sol et sur les toits

C’est certainement le principal obstacle de la végétalisation : l’espace public urbain fait l’objet d’une farouche concurrence entre différents usages, qu’il n’est pas toujours aisé de concilier. «La solution des rues-jardins d’Anvers reste adaptée aux petits axes de quartiers, indique Antoine Crahay. Ce modèle n’est pas reproductible à l’infini, puisque se pose très vite la ques­tion du stationnement.» En Région bruxelloise, la révision du RRU a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des communes, notamment parce qu’il pré­voyait d’imposer la végétalisation de 10% de l’espace public. «En 2024, les citoyens sont très demandeurs de villes plus vertes, mais ils manifestent dès qu’on supprime du stationnement », soupire l’expert.

Une observation que partagent pleinement les promoteurs. «Devant un ensemble d’appartements, doit-on planter dix arbres ou prévoir un petit parking? On doit parfois se plier à ce qu’on nous dit de faire», glisse Bernard Hermant. Si certains collèges communaux privilégieront les initiatives favorables à la nature, d’autres défendront le sacro-saint ratio de parking par logement ou imagineront plutôt une petite place.

A Liège-Guillemins, les seuls végétaux sur la grande place en face de la gare sont des bambous dans des bacs.

Logiquement, cette concurrence freine également la désartificialisation des sols en ville. «Plus encore depuis la hausse sur­réaliste du coût des matériaux, il faut un minimum de densité de logements pour qu’un projet soit économiquement viable, ajoute Aubry Lefebvre. Si on veut libérer de l’espace au sol pour déminéraliser tota­lement une zone, cela nécessite de reconcentrer l’habitat sur une surface moindre, et donc un report vertical. Mais dans ce cas, on se prend des recours de riverains ou des dérouillées du politique, qui refuse qu’un projet aille au-delà du rez+4.»

La concurrence se joue aussi sur les toits: l’essor du photovoltaïque réduit par­tiellement le potentiel des toitures végétales. Idem en raison des pompes à chaleur, qui nécessitent le placement d’une installation technique extérieure. Comme ces deux solutions contribuent largement à l’obtention des meilleurs labels de performance énergétique des bâtiments (PEB), elles éclipsent parfois le placement d’une toiture végétale telle qu’envisagée au départ.

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Les façades végétales peuvent retenir jusqu’à 20 % du rayonnement solaire. © DR

3. Une réglementation inadaptée?

Il arrive aussi que la végétalisation se heurte à des barrières urbanistiques. «A Liège, la commune nous a refusé un projet de mur végétal, sous prétexte qu’il concer­nait un bâtiment situé dans un quartier historique, à l’architecture particulière, relate Sylvain Boisson. Or, ce bâtiment avait précisément été construit après les autres. La Région a toutefois statué favora­blement en recours.» Pour Antoine Crahay, «il y a encore beaucoup d’anachro­nismes dans les règlements d’urbanisme. En Wallonie, il en existe encore pas mal qui imposent des toitures en pente, alors que les toits plats permettent une meilleure gestion de l’habitabilité, des eaux pluviales et des surfaces végétalisées.»

Mais les ennuis administratifs semblent plutôt rares. De nombreuses communes accordent des autorisations spécifiques pour la végétalisation de façades, même quand elle nécessite d’ôter quelques pavés aux abords d’un trottoir. En Wallonie, la réalisation d’une toiture végétale sur une construction existante est exonérée de permis d’urbanisme. C’est également le cas en Région bruxelloise pour le placement d’une toiture verte plate, extensive et non accessible.

La crainte d’un entretien plus complexe est souvent un prétexte pour ne pas changer ses habitudes.

Fonctionnaire délégué de la Direction du Hainaut II, qui couvre 33 communes autour de Charleroi, Raphaël Stokis affirme que la Région ne mettra jamais de bâtons dans les roues de ceux qui portent un projet végétalisé, au contraire. «Soyons clair: que ce soit dans les prescriptions d’un vieux lotissement, les règlements d’urbanisme ou le code de développement territorial (CoDT), rien n’ empêche de végétaliser nos espaces. Mieux que cela, l’ar­ticle D.IV. 54 permet à toutes les autorités d’imposer des mesures favorables à l’en­vironnement qui, évidemment, intègrent la végétalisation d’un projet. Enfin, le nou­veau CoDT, adopté par le parlement le 13 décembre dernier, intègre des mesures liées à la désartificialisation des sols, que l’on peut également imposer. Le cadre urbanistique ne repose pas seulement sur des textes, mais aussi sur ce que les auto­rités prennent comme décision. Tous les feux sont donc au vert pour refaire de la place pour la nature dans nos villes et dans nos vies.»

Il reste toutefois une inconnue notable, relative à la sécurité incendie des façades végétalisées, comme le souligne Sylvain Boisson: «Les seuls documents référents que l’on a sont des arrêtés royaux de 1994, qui définissent pour chaque revêtement de façade des propriétés incendie. En fonction des indices, on peut estimer l’am­pleur du risque de propagation. Mais la végétation n’est reprise dans aucune classification.» Pour sa part, le centre d’innovation du secteur de la construc­tion, Buildwise, a publié un guide sur les façades végétalisées en novembre 2022. Il y précise laconiquement que pour cette raison, leur usage n’est «pas recomman­dé» pour les bâtiments de plus de 25 mètres de haut.

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Sur le Quai des Ardennes, à Chenée, 75 appartements d’Ardent Real Estate, pour lesquels toutes les séparations de terrasses ont été conçues en parterres végétalisés. » © ASYMÉTRIE

4. Un manque de connaissances?

C’est évident: les bâtiments végétalisés ne constituent pas la norme. Pour réaliser une toiture verte plate, aucun problème. Le secteur du bâtiment possède une solide expérience dans le domaine. Mais dès que la végétalisation porte sur des aspects plus inédits, le bilan est plus contrasté. «On commence à disposer d’une certaine maîtrise, mais il est vrai que certains bureaux d’études n’ont pas l’expertise à laquelle on pourrait s’attendre dans d’autres pays européens, constate le general manager d’Ardent Real Estate. Un exemple typique: quand on veut prévoir des plantations plus hautes sur les balcons et les terrasses, ça ne coule pas de source. On constate encore des difficultés à adop­ter la parfaite maîtrise technique.»

Entre la guerre des usages sur l’espace public et les habitudes à revoir dès qu’il est question de verdir un bâtiment ou son pourtour, la conquête à grande échelle de la nature en ville n’est donc pas sur un bou­levard. L’idéal d’un cadre urbain verdi à la verticale comme à l’horizontale se heurte encore à des contraintes terre à terre, à commencer par les coûts et la compati­bilité des priorités. «Il faut que ce genre de thématique soit débattue en concertation avec des acteurs privés opérationnels, conclut Aubry Lefebvre. Je ne suis pas certain que le politique se rende toujours compte de la faisabilité de lois préconisant un pourcentage systématique de pleine terre ou de toitures vertes quand, en pratique, la commune ne veut pas entretenir ou qu’on nous demande en parallèle de placer du photovoltaïque.» Peu à peu, cependant, les exemples réussis d’une meilleure intégration de la nature se multiplient. Il y aura encore des cas de greenwashing et sans doute des anachronismes dans certains projets à venir. Mais plus personne ne remet en question l’absolue nécessité de vivre, demain, dans des villes plus vertes, bien moins bétonnées qu’aujourd’hui.

Gare aux microclimats urbains

Pour ramener la nature en ville, il ne suffit pas de choisir quelques plantes a priori adaptées. Le décor urbain fait régulièrement l’objet de microclimats que le promeneur ne perçoit pas nécessairement. D’où la nécessité d’investiguer au préalable. «Arriver à comprendre le climat ressenti par les plantes, c’est bien plus complexe qu’un dessin sur un plan, souligne Antoine Crahay, du bureau Citytools. A Bruxelles, nous travaillons sur l’aménagement de la ligne de tram 15 (NDLR: qui reliera la station Belgica et la gare du nord, via le quartier de Tour & Taxis). Pour la reconfiguration du boulevard se pose la question des plantations. Alors qu’ils sont situés en fond de vallée et dans un climat humide, on constate que les arbres actuels se dessèchent rapidement, au point de devoir les changer tous les cinq ans. Il se fait que cet axe est compris entre deux tours en verre qui reflètent le soleil. Les plantes sont donc exposées au rayonnement solaire et à des conditions venteuses. C’est pourquoi nous menons une réflexion avec des paysagistes et des écologues pour mieux choisir les essences. Elles seront plutôt de type méditerranéen, alors même que l’on est à l’ombre et en fond de vallée.» Même constat pour les façades végétalisées: «On a fait pas mal de projets de rénovation urbaine pour lesquels on donnait une petite prime à cette fin. Et on s’est rendu compte qu’il fallait davantage compter sur des plantes de milieux du sud pour ces usages, plutôt que sur ce qu’on voit habituellement dans les jardins.»

Toitures vertes : les trois options

D’une simple couche de mousse à un véritable petit jardin, l’intérêt d’une toiture végétale pour la biodiversité en ville varie selon ses spécificités. Il existe trois grandes catégories.

1. Les toitures vertes extensives. C’est la solution la plus fréquente et la plus légère. L’épaisseur du substrat, comprise entre cinq et quinze centimètres, se prête à l’accueil d’un tapis végétal composé la plupart du temps de mousse et de sedums, des plantes grasses nécessitant peu d’eau et d’entretien. Ces revêtements sont conciliables avec des toits plats ou inclinés et dans la majorité des cas, ne posent pas de difficulté majeure dans le cas d’une rénovation. Prix: entre 60 et 120 euros par mètre carré.

2. Les toitures vertes intensives. Il s’agit de véritables jardins sur les toits, pour lesquels le substrat peut atteindre un mètre de profondeur. Capables de retenir jusqu’à 80% de l’eau de pluie, elles sont accessibles aux piétons et peuvent accueillir des arbres, buissons et arbustes. Cette solution n’est toutefois pas à la portée de tous les bâtiments sans un renforcement préalable, du fait de son poids très important : de cent à quatre cents kilos par mètre carré, renseigne l’asbl bruxelloise Homegrade. Le coût peut atteindre 250 euros par mètre carré.

3. Les toitures vertes semi-intensives. Avec une épaisseur de substrat comprise entre quinze et trente centimètres, il s’agit d’une solution intermédiaire aux deux précédentes. Son coût oscille entre 120 et 200 euros le mètre carré.

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