L’iris jaune, symbole de la Région de Bruxelles-Capitale, se raréfie. © Getty Images

Un nouvel atlas va recenser l’ensemble des fleurs à Bruxelles

Estelle Spoto Journaliste

L’essentiel

• Un nouvel atlas recensera l’ensemble des fleurs à Bruxelles.
• Le recensement se concentrera sur les plantes spontanées, c’est-à-dire celles qui poussent naturellement sans intervention humaine.
• Des volontaires observeront chacun un carré d’un kilomètre de côté qui leur sera attribué.
• L’atlas permettra d’identifier les espèces en déclin ou en expansion.
• Les données collectées serviront à établir un état des lieux de la nature pour asseoir les politiques publiques en matière de protection de la biodiversité.

La Région de Bruxelles-Capitale doit se doter d’un nouvel atlas floral. Un monitoring pour mieux connaître l’ensemble de ses fleurs, afin de mieux les protéger.

Niveau -1 de Mundo-b, à Ixelles, 3 juillet dernier. La salle est comble, il faut ajouter des chaises. Ils sont venus en nombre. Jeunes et vieux, femmes et hommes, francophones et néerlandophones, officiellement diplômés du secteur ou simplement passionnés, ils présentent un point commun: l’amour de la botanique. Tous sont là pour prendre part en tant que volontaires au projet FloraBru, «le grand recensement des plantes sauvages à Bruxelles» prévu de 2024 à 2027.

Il est temps, grand temps en effet, que la Région bruxelloise produise un nouvel atlas de sa flore, dans un cadre législatif bien précis. «Cette obligation de monitoring répond à différentes règlementations européennes, souligne Florence Didion, gestionnaire de projet pour Bruxelles Environnement. En particulier la directive Habitats (du 21 mai 1992), à l’origine de la création du réseau de sites Natura 2000, et le règlement relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes (du 22 octobre 2014). A cela, il faut ajouter la Convention sur la diversité biologique des Nations unies de 1992. Pour la Région de Bruxelles-Capitale, ce contexte légal international a été transcrit dans l’ordonnance relative à la conservation de la nature de 2012 et dans l’arrêté d’exécution sur le schéma de monitoring qui date de 2018. L’arrêté fixe les espèces et les habitats qui doivent être surveillés, ainsi que la fréquence et la méthode de cette surveillance. Certains groupes d’espèces doivent être suivis plus régulièrement, mais globalement, pour les oiseaux nicheurs, les mammifères et la flore, il faut réaliser des atlas tous les dix à quinze ans environ.» Or, le dernier atlas floristique bruxellois remonte à… 2006.

«Tout ce qui est planté et semé par les humains est exclu du recensement.»

La flore, mais encore?

Au sous-sol de Mundo-b, Valérie Vanparys, biologiste chez Natagora (qui a remporté le marché public lancé par Bruxelles Environnement pour la réalisation de l’atlas) et coordinatrice de FloraBru, expose le protocole que devront appliquer les volontaires. Tout d’abord, préciser l’objet du recensement. La flore, mais encore? «Ce monitoring couvre ce qu’on appelle, en botanique, les spermatophytes, c’est-à-dire les « plantes à graines », y compris les arbustes et les arbres, précise-t-elle. Ce qui est très important, c’est que le recensement se concentrera sur les plantes spontanées. Ce qui nous intéresse ici, c’est la dynamique naturelle des plantes. On exclut par conséquent tout ce qui est planté ou semé par les humains.»

Spontanées… S’il est facile de comprendre que les plantes qui croissent vaille que vaille entre les pavés des trottoirs ou dans les interstices au pied des façades sont là sans y avoir été «invitées» par les citadins, la spontanéité végétale n’est pas toujours si simple à repérer. Faut-il, par exemple, systématiquement se détourner des parcs? «Non, répond Valérie Vanparys, autour de tout ce qui est planté dans les parcs, de nombreuses plantes poussent spontanément, même dans une pelouse. Si l’on n’observera que deux ou trois espèces de graminées dans une pelouse semée au printemps, six mois plus tard, on commencera déjà à y voir des pâquerettes, des pissenlits, du plantain… Plus une pelouse sera ancienne, plus il y aura des espèces sauvages en mélange avec les graminées semées. Mais il faut parfois l’œil affûté d’un botaniste expérimenté pour faire la différence.»

Cartographie systématique

Chaque volontaire de FloraBru doit «adopter» un des 188 carrés de un kilomètre de côté résultant du quadrillage systématique de la Région de Bruxelles-Capitale. Il s’engage à y effectuer plusieurs sorties, à différentes saisons, pour y relever les espèces présentes. Le dernier atlas en date, celui de 2006, avait recensé 793 espèces. «Ce qui est déjà pas mal, commente Valérie Vanparys. Pour ce nouvel atlas, on s’attend à en avoir plus de mille.» Pas tant, malheureusement, parce que la biodiversité serait en plein boom positif à Bruxelles, mais pour des raisons techniques. «En 2006, nous ne disposions pas des moyens numériques d’aujourd’hui, poursuit Valérie Vanparys. Cette fois, les volontaires utiliseront des smartphones connectés au site observations.be, une plateforme qui permet aux naturalistes d’encoder leurs observations et de les partager avec la communauté.»

Lancé en 2008 par Natagora et son équivalent flamand Natuurpunt, le site a emmagasiné depuis une énorme quantité de données. Mais pas de façon suffisamment systématique pour se substituer à un atlas. «Parce que ce type de plateforme est utilisé par les naturalistes pour encoder des observations sortant de l’ordinaire, des espèces rares, souligne la coordinatrice. En revanche, les espèces plus communes ou plus difficiles à identifier n’y apparaissent pas, ou pas systématiquement. Or, ici, l’objectif est vraiment d’obtenir une cartographie systématique de la distribution de chaque espèce et d’avoir vraiment une liste complète. Sans oublier les espèces communes qui intéressent peut-être moins les naturalistes et dont on voudrait évaluer l’évolution.» L’intérêt de ces cartes par espèces étant évidemment de comparer leur distribution dans la Région à celles des quatre atlas bruxellois précédents (2006, 1995, 1972 et 1939).

La véronique, typique des interstices. © Getty Images.

Disparitions

Lorsqu’on compare ces différents atlas, un constat interpelle: 161 espèces sont notées comme probablement disparues à Bruxelles depuis la Seconde Guerre mondiale. «Dans les espaces verts et les paysages, les principaux changements ont eu lieu avant les années 1970, précise Valérie Vanparys. L’urbanisation s’est bien sûr poursuivie depuis, mais ce n’est pas du tout comparable.»

Sur sa page relative à l’inventaire de la flore bruxelloise, le site de Bruxelles Environnement souligne notamment le grignotage progressif des milieux humides dans la capitale: «L’urbanisation a orchestré la mise à sec de trois quarts des étangs, et la transformation de rivières en égouts à ciel ouvert, qu’il a fallu ensuite voûter pour des raisons d’hygiène. La ville a continué de s’étendre ensuite, gagnant sur la campagne de nouveaux territoires, fragmentant les vallées, imperméabilisant les sols. La flore des milieux humides et aquatiques, très répandue il y a un siècle encore à Bruxelles, a donc fortement régressé à la suite de ces aménagements urbains. Les abords de la Woluwe et du Molenbeek, le Moeraske et certains coins d’Uccle témoignent à petite échelle de ce que furent les paysages humides qui ont fait l’histoire de Bruxelles.»

A Bruxelles, le combat contre l’invasive renouée du Japon a été gagné par la plante, devenue incontrôlable. © Bridgeman Images
«Cet atlas est l’occasion de repérer à un stade précoce des espèces au comportement invasif, et de prendre des mesures efficaces.»

Incontrôlable

Mais si Bruxelles a perdu des espèces, elle en gagne aussi. Et pas toujours pour le bien de la biodiversité. «L’atlas de 2006 dénombrait 31 nouvelles espèces, confirme Valérie Vanparys. Principalement des « néophytes« : des espèces apparues sur le sol européen relativement récemment, c’est-à-dire depuis la découverte des Amériques. A l’inverse, les archéophytes, elles, ont plutôt tendance à disparaître ou à régresser. Ce qui est normal. La flore, comme la faune, évolue. Les espèces bougent, se déplacent. Certaines augmentent, d’autres diminuent. Là où ça peut devenir inquiétant, c’est quand on commence à parler d’espèces invasives. Le phénomène concerne une infime minorité d’espèces, exotiques, introduites tout à fait récemment, volontairement ou non. Ces plantes invasives présentent une expansion non contrôlée, qui devient au bout d’un moment incontrôlable.» Exemple type: la renouée du Japon, reconnaissable à ses hautes tiges creuses rougeâtres, qui prospère un peu partout. «Au point qu’on n’essaie même plus de la contrôler. On peut juste essayer de limiter les dégâts à certains endroits», soupire la biologiste. Le cas de la renouée du Japon donne tout son sens à la réalisation d’un nouvel atlas: «Ce travail de recensement peut être l’occasion de repérer à un stade précoce des espèces qui commencent à montrer un comportement invasif, et de prendre des mesures efficaces, pour un budget beaucoup plus raisonnable. Car le budget alloué à la gestion de ces espèces, considérées comme une des cinq menaces pesant sur la biodiversité, est tout à fait colossal à l’échelle mondiale.»

Tel est bien, finalement, l’objectif de ces atlas: influencer la gestion du territoire, en pesant sur les décisions politiques. «Toutes ces données d’inventaire servent à établir un état des lieux de la nature pour asseoir les politiques publiques, atteste Florence Didion. C’est une base absolument indispensable pour, par exemple, réaliser un plan régional Nature, proposer des modifications dans la réglementation, des classements de sites en réserves naturelles ou d’autres statuts. Ces données permettront aussi de déterminer la valeur biologique de certains sites, repris ensuite sur la carte d’évaluation biologique.»

«Ces données servent à établir un état des lieux pour asseoir les politiques publiques.»

Autre point sur lequel l’atlas a toute son utilité: il pèse dans les avis remis pour les demandes de permis d’environnement. «On peut alors faire des recommandations pour tenter d’atténuer l’impact du chantier, de la minéralisation éventuelle du terrain, pour essayer de préserver au maximum la biodiversité et, dans certains cas, chercher à la développer. On a besoin de connaître pour savoir comment protéger.» On notera toutefois qu’à partir des cartes et des constats, en tant qu’administration, Bruxelles Environnement ne peut qu’émettre des recommandations. «Les décisions sont dans les mains des politiques.»

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