Adélaïde Charlier, avant la marche pour le climat: « Nos politiciens sont des followers, pas des leaders » (interview)
En marge de la COP28 à Dubaï, une nouvelle marche pour le climat se tient à Bruxelles dimanche. L’occasion de faire pression sur les dirigeants belges et européens à l’approche du méga-scrutin de 2024. Une mobilisation essentielle, mais insuffisante aux yeux de l’activiste Adélaïde Charlier, qui plaide pour la diversification des modes d’action dans la lutte climatique.
Alors que le coup d’envoi de la COP28 a été donné à Dubaï jeudi, la lutte contre le réchauffement climatique sera également au cœur des débats à Bruxelles, dimanche. La Coalition Climat appelle les Belges à descendre dans les rues de la capitale à partir de 12h30. Dans le cortège, une centaine d’associations seront représentées. L’activiste Adélaïde Charlier, cofondatrice de Youth4Climate Belgium, battra également le pavé.
Quels sont les messages principaux portés dans le cadre de cette grande marche pour le climat ?
Adélaïde Charlier : L’idée était évidemment de faire coïncider cette marche avec la COP28, et de montrer qu’à Bruxelles, les citoyens belges et européens se mobilisent également pour faire entendre leurs revendications jusqu’à Dubaï. Notre message principal, c’est de rappeler que « chaque dixième de degré compte ». Nous devons réduire les impacts du dérèglement climatique, et pour cela, nous devons être les plus ambitieux possibles à la COP28. Nous devons notamment sortir des énergies fossiles, et cette sortie doit être inscrite noir sur blanc dans le texte de la COP28. Malheureusement, au vu des circonstances – le président Sultan Al Jaber étant à la tête d’une des plus grandes compagnies pétrolières mondiales – cette demande risque d’être difficile à atteindre, mais nous devons continuer à mettre la pression car les combustibles fossiles restent les plus grands contributeurs au changement climatique mondial.
La dernière marche pour le climat remonte à octobre 2022, soit il y a plus d’un an. Pourquoi les manifestations de ce type sont-elles moins fréquentes que par le passé ?
La motivation à lutter contre le réchauffement climatique est toujours présente. Mais il y a une multiplication et une diversification de nos moyens d’action. C’est normal, on le voit dans tous les mouvements sociaux historiques, qui fonctionnent par vagues. En 2019, nous organisions des marches presque chaque semaine. C’était notre moyen de mobilisation phare à l’époque. Mais c’est impossible d’utiliser cette même méthode durant quatre années de suite, surtout quand elle ne permet pas d’atteindre nos objectifs. Aujourd’hui, nos actions se concentrent sur des demandes plus spécifiques, plus précises, qui vont au-delà de la seule sensibilisation au dérèglement climatique. Les jeunes en ont marre d’être dans les revendications et ont besoin d’être dans le concret. Nous organisons par exemple des campagnes contre l’exploitation des fonds marins, nous faisons du lobbying auprès des parlements européen et fédéral, nous utilisons la désobéissance civile…
Les manifestations « pacifiques » pour le climat sont-elles devenues insuffisantes ? Le recours à la désobéissance civile est-il aujourd’hui indispensable ?
Selon moi, il faut que ces deux modes d’action coexistent. La théorie du changement doit se concrétiser à travers deux axes : d’un côté, un flanc modéré, qui va permettre une acceptabilité majoritaire du message au sein de la population ; et de l’autre, un flanc radical – avec par exemple de la désobéissance civile – qui va permettre d’avancer dans les demandes. Quand je parle de désobéissance civile, j’entends un mouvement massif, organisé et réfléchi, comme Code Rouge, qui a des objectifs très clairs, pas un « mouvement capricieux ». Code Rouge organise justement de nouvelles actions deux semaines après la marche, et c’est essentiel que ces deux mobilisations se suivent car elles sont complémentaires.
Avec cette diversification des modes d’action, ne craignez-vous pas une perte d’engouement pour les marches ?
Elles restent nécessaires, car elles permettent d’attirer nos grands-parents ou certains de nos amis moins radicaux qui portent aussi un message pro-climat. Ils ont besoin d’un espace où ils se sentent à l’aise pour s’exprimer, qu’ils ne vont pas trouver ailleurs. Mais il y a aussi le risque d’un retour de bâton, évidemment : si la marche n’est pas à la hauteur des éditions précédentes, cela risque d’être considéré comme un échec par les médias ou les politiques. Or, il faut continuer à s’inscrire dans le narratif médiatique. Donc c’est une dimension que les organisateurs doivent prendre en compte : il faut s’assurer que la marche soit vue comme un succès et que, médiatiquement, elle ne soit pas éclipsée par d’autres enjeux.
Justement, lors des élections de 2019, la lutte contre le changement climatique était au centre des débats. Cette année, d’autres thématiques – géopolitique, fiscalité, immigration… – semblent davantage s’imposer dans la campagne.
L’essentiel, c’est de pouvoir créer des liens, des ponts entre tous ces enjeux actuels. Les questions fiscales, sociales ou géopolitiques sont toutes liées de près ou de loin aux questions environnementales. Notre objectif, c’est de pouvoir faire converger les luttes. Nous devons mettre l’urgence climatique au centre de l’agenda, mais de manière plus intersectionnelle. Ce serait d’ailleurs une erreur de ne parler que de climat aujourd’hui, sans faire le lien avec les autres combats.
Alors que la législature arrive à son terme, quel bilan tirez-vous de la Vivaldi en termes climatiques ?
Soyons honnête, sur le plan politique, nous avons énormément de déceptions, tant au niveau européen qu’au niveau fédéral. Nous allons voir comment la Belgique se positionne à la COP28, mais malheureusement, il est toujours très difficile de voir nos quatre ministres se mettre d’accord. La conclusion, c’est qu’on a des politiciens qui sont des followers, et pas des leaders. On a un Premier ministre qui a osé demander une « pause » dans la réglementation européenne environnementale en juin ; une annonce qui a en réalité suivi celle d’Emmanuel Macron deux semaines plus tôt. Evidemment, nous devons prendre en compte la survie de nos entreprises et de nos travailleurs dans la transition. Mais imaginer que c’est réaliste, en 2024, de demander l’arrêt de la transition climatique et écologique, c’est inacceptable. D’autant que la Belgique est déjà la mauvaise élève de l’Union européenne, donc je trouve ça très gênant qu’on ait osé faire cet appel-là.
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