Michel Forst: «Rien ne justifie les méthodes de répression des activistes du climat» (entretien)
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement appelle les gouvernements européens à ne pas criminaliser la désobéissance civile.
Le document a suscité quelques remous en France où la gestion des manifestations, notamment de militants environnementalistes, a mis en évidence ces dernières années des violences de la part des policiers, et où la dissolution du mouvement Les Soulèvements de la Terre, voulue par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a été annulée par le Conseil d’Etat. Que Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement au titre de la Convention d’Aarhus (lire encadré), un ancien militant français des droits de l’homme, en soit l’auteur, n’y est sans doute pas étranger. Mais sorti en février, le rapport «Répression par l’Etat des manifestations et de la désobéissance civile environnementales: une menace majeure pour les droits humains et la démocratie» devrait en réalité interpeller de nombreux gouvernements européens. Il énumère une série de pratiques policières et de décisions de justice à l’encontre des militants climatiques qui paraissent disproportionnées par rapport aux actes commis et déconnectées des enjeux cruciaux soulevés.
Ce premier «papier de positionnement» du rapporteur spécial de l’ONU, nommé en juin 2022, est le résultat de plusieurs rencontres avec des militants travaillant sur la question du climat dans une vingtaine de pays européens. «Qu’un pays ne figure pas dans le rapport ne signifie pas qu’il soit exempt de tout reproche», répond Michel Forst à la question de savoir pourquoi aucun acte policier ou judiciaire controversé concernant la Belgique ne soit mentionné dans le document. Quoi qu’il en soit, les situations en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne, en Pologne… sont clairement problématiques.
Michel Forst formule à la fin de son rapport des recommandations aux gouvernements pour mieux respecter le droit à la désobéissance civile. Mais celles-ci ne sont qu’un hors-d’œuvre. Un second rapport présentera un menu plus complet de «lignes directrices sur la manière de mieux répondre à ces nouvelles formes de mobilisation».
Comment se manifeste l’augmentation de la répression par les Etats «des manifestations et de la désobéissance civile environnementales»?
On assiste à une augmentation de la répression policière avec un grand nombre d’arrestations arbitraires, des périodes de détention préventive prolongée, qui peuvent aller jusqu’à 30 jours en Allemagne et dans d’autres pays, des violences au moment des arrestations. Les jeunes militants témoignent d’humiliations assez fréquentes. Les militantes, elles, racontent comment elles sont menacées en tant que femmes par les policiers dans des commissariats ou des cellules. Ensuite, c’est l’attitude de la justice qui pose question. Certains juges ne semblent pas comprendre que la désobéissance civile est protégée dans le droit international des droits de l’homme, et gèrent uniquement l’acte qui a été commis sans laisser la possibilité aux plaignants de s’expliquer. Plusieurs cas sont recensés dans le rapport. Ainsi, au Royaume-Uni, un juge a même interdit à des militants de prononcer le mot «climat». Quand l’un d’entre eux l’a prononcé, il a été condamné deux fois, la première pour avoir enfreint la loi, ce qui est logique, la deuxième pour avoir prononcé le mot «climat», perçu comme une offense par le juge. Il est important que les juges appréhendent la désobéissance civile pacifique dans la ligne du droit européen et du droit international des droits de l’homme, ce qui n’est pas assez le cas dans différents Etats d’Europe.
Vous épinglez aussi l’attitude des responsables politiques et des journalistes. Pourquoi?
On constate, malheureusement, qu’une parole publique se libère dans le chef de ministres ou de parlementaires pour qualifier les activistes du climat d’«écoterroristes», de «talibans verts», etc. Cela a des conséquences extrêmement négatives sur la manière dont la population perçoit les gestes que posent ces jeunes militants. Certains médias relaient ces prises de position, présentent de manière assez négative les actes de militantisme pacifique de ces jeunes, et trop souvent se contentent de ne couvrir que l’obstruction d’une rue ou le blocage d’un aéroport sans expliquer les raisons pour lesquelles ils agissent. Or, les médias peuvent jouer un rôle pédagogique pour expliquer le phénomène.
«Ce qui m’inquiète particulièrement, c’est de voir que les mauvaises pratiques inspirent d’autres Etats.»
Avez-vous établi depuis quand la répression des mouvements environnemantaux s’est accrue?
La croissance de la répression commence après la signature l’Accord de Paris sur le climat en décembre 2015. Les jeunes militants du climat se détournent des méthodes traditionnelles pour attirer l’attention sur l’urgence de la réponse à apporter à leurs questions. Ils optent pour une nouvelle forme de militantisme, notamment la désobéissance civile. Ils se collent la main sur le sol, ils bloquent un accès à un aéroport, ils s’enchaînent à une barrière, ils jettent de la peinture ou de la soupe sur des bâtiments… Pour eux, l’urgence climatique est telle qu’on ne peut plus utiliser les formes traditionnelles de manifestations parce qu’elles sont inefficaces. Ils veulent attirer l’attention des gouvernements pour qu’ils en fassent plus. Ils se disent que c’est leur futur qui est en jeu et qu’on ne les écoute pas assez.
Dans le traitement des manifestations environnementales, un des problèmes ne réside-t-il pas dans la définition de ce qui est considéré comme violent? La limite entre l’acte non violent et le violent n’est-elle pas floue dans certains cas?
En réalité, elle est très clairement définie par les Nations unies. Dans le cadre de mon mandat de rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs de l’environnement, la clause de non-violence interdit tout acte de violence délibéré contre les personnes. Dès qu’un activiste s’attaque à un policier, qu’il utilise des pierres, des bâtons ou des cocktails molotov, il n’est plus couvert par la protection des Nations unies. Mais dans d’autres cas, une confusion s’opère sur la définition de ce qui relève de la violence. Ralentir l’accès à un aéroport, marcher lentement pour bloquer celui à une voie privée, jeter de la soupe sur un monument ou de la peinture lessivable sur la vitre de protection d’un tableau… n’est pas considéré par les Nations unies comme de la violence. Les perturbations et les troubles à la vie quotidienne sont reconnus par le droit international comme pouvant être légitimes. Du reste, le concept de violence contre les biens n’existe pas en droit pénal. Ses actions sont de la désobéissance civile et il existe une définition très claire de ce qu’est la désobéissance civile. Ce n’est pas de la violence.
«Jeter de la peinture lessivable sur un tableau n’est pas considéré par les Nations unies comme de la violence.»
Quelles recommandations adressez-vous aux gouvernements?
Les Etats devraient comprendre l’urgence de la crise climatique et d’abord prendre des mesures pour y faire face, ce qui permettrait de répondre aussi aux attentes des militants qui considèrent qu’ils ne sont pas écoutés. Une autre recommandation est de faire attention à ne pas stigmatiser ces personnes en les traitant d’«écoterroristes», ou ce genre de qualificatifs tout à fait disproportionnés et, au contraire, essayer de créer un environnement plus sûr pour les défenseurs de l’environnement, qui doivent être protégés. D’autres mesures s’adressent à différentes instances des Etats. Il faudrait notamment arrêter cette inflation législative où de nouveaux textes s’ajoutent aux textes existants.
Sur le comportement des forces de l’ordre, il s’agit de recommandations de bon sens. Prenons l’exemple de la France. On sait que la violence policière y est très forte. Il y a un travail à effectuer auprès des forces de sécurité pour promouvoir des méthodes plus souples de maintien de l’ordre, pour leur expliquer comment agir à l’égard d’un mouvement qui est, par définition, non violent. Certes, il y a des black blocs qui s’en prennent aux policiers, mais la majorité des militants écologistes sont non violents. Il faut donc éviter de confondre les uns avec les autres. Enfin, en matière de justice, il faut rappeler que les Etats sont tenus de respecter les obligations du droit international des droits de l’homme, et notamment la liberté de manifestation, réglementée sur les plans international et européen.
Parmi cet éventail de mesures, y a-t-il une évolution qui vous inquiète particulièrement?
Ce qui m’inquiète, c’est de voir que malheureusement, les mauvaises pratiques inspirent d’autres Etats. On observe que de mauvaises législations, de mauvaises pratiques policières sont copiées par d’autres. Ma crainte est que l’on s’oriente vers un emballement dans la répression des militants du climat au lieu de s’interroger sur les causes profondes qui les animent. On peut ne pas être d’accord avec les pratiques auxquelles ils ont recours. Mais rien ne justifie les mots que l’on emploie pour les qualifier et les méthodes que l’on utilise pour les réprimer.
Au titre de la convention d’Aarhus
La convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et à l’accès à la justice en matière d’environnement, dite convention d’Aarhus, a été signée le 25 juin 1998 par 39 Etats, dont la Belgique. Aujourd’hui, 46 pays, plus l’Union européenne, l’ont ratifiée. «Toute personne a le droit d’être informée, de s’impliquer dans les décisions et d’exercer des recours en matière d’environnement»: ainsi est résumée dans l’introduction de son portail belge la mission de la convention.
Son article 3, paragraphe 8, impose une obligation juridiquement contraignante aux pays qui en sont parties de veiller à ce que les personnes exerçant les droits qu’elle leur confère ne soient pas pénalisées, persécutées ou harcelées pour cette raison. En octobre 2021, «alarmée par la grave situation à laquelle étaient confrontés les défenseurs de l’environnement», la réunion des parties à la convention a décidé d’établir un mécanisme de réaction rapide sous la forme d’un rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, dont le rôle est de prendre des mesures pour les protéger. Ancien militant des droits de l’homme, le Français Michel Forst a été élu, en juin 2022, premier rapporteur spécial au titre de la convention d’Aarhus.
Des décisions controversées
Quelques exemples de législations ou de pratiques épinglées par le rapport sur la répression par l’Etat des manifestations et de la désobéissance civile.
En Italie, la loi dite «éco-vandalisme» prévoit «une sanction pouvant aller jusqu’à six mois d’emprisonnement ou une amende allant d’un minimum de 300 euros à 1.000 euros pour les dommages superficiels causés non seulement aux œuvres d’art elles-mêmes, mais aussi au matériel utilisé pour leur exposition ou leur protection».
Aux Pays-Bas, «un tribunal a jugé des manifestants environnementaux pacifiques coupables de sédition – un délit passible de cinq ans d’emprisonnement – pour avoir encouragé le grand public à se joindre à une manifestation visant à bloquer une route».
En France, en Pologne et en Espagne, «des défenseurs de l’environnement ont été pris en filature par la police et suivis jusqu’à leur domicile et, en France, en Allemagne et en Espagne, des militants ont été mis sur écoute et leurs véhicules géolocalisés».
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