Voitures de société, chèques-repas… Pourquoi ces avantages sont voués à disparaître (analyse)
Les avantages en nature sont dans le collimateur des fiscalistes. Le soutien aux voitures de société, en particulier, est devenu difficilement justifiable. Mais améliorer le système exige une grande réforme fiscale en Belgique. Ce qui n’est pas gagné.
En finir avec «la prolifération des régimes spéciaux». C’est en ces termes que le groupe d’experts mandatés par le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem (CD&V), suggérait, le 5 juillet, d’en finir avec les voitures de société, cartes carburant et autres chèques-repas, pour ne citer que quelques avantages extralégaux. L’idée ne consistait pas à les supprimer en tant que tels, mais bien à s’attaquer aux avantages fiscaux qui y sont liés.
Le rapport était réalisé sous la houlette de Mark Delanote, professeur en droit fiscal à l’UGent, et destiné à fournir une base de travail au gouvernement pour son projet de réforme fiscale. Il a suscité des réactions diverses: un certain enthousiasme dans l’aile gauche de la Vivaldi, un accueil plus froid chez les libéraux. Un autre rapport d’experts avait, lui aussi, évoqué quelques jours plus tôt la fin de la carte essence pour les déplacements non professionnels. Il s’agissait alors d’économistes rassemblés autour du gouverneur de la Banque Nationale, planchant cette fois sur le pouvoir d’achat.
La problématique de la voiture de société semble cristalliser les tensions. Mais au rayon des avantages extralégaux, les chèques-repas, écochèques, primes de fin d’année, assurances groupe, assurances hospitalisation et autres avantages de toute nature sont-ils condamnés à disparaître, à plus ou moins long terme?
Ils constituent une part substantielle du package salarial de nombreux travailleurs, dont certains seraient réticents à l’idée de faire une croix dessus. Il n’est pourtant guère difficile de trouver un fiscaliste pour pointer les incohérences du système.
Le système entretient «une sorte de bureaucratie administrative, syndicale et patronale»
Philippe Defeyt
En matière d’environnement et de mobilité, d’abord, puisque la voiture reste largement soutenue comme mode de transport. Dans leur ensemble, ces avantages génèrent de la complexité aussi, alors que le politique entend simplifier la fiscalité. Le système entretient «une sorte de bureaucratie administrative, syndicale et patronale», commente l’économiste Philippe Defeyt, président de l’Institut pour un développement durable. Revers de la médaille également: l’avantage extralégal a beau être intéressant fiscalement, il n’intervient pas dans le calcul de la pension.
Un autre argument pèse: les avantages extralégaux coûtent cher à la collectivité (de l’ordre de deux milliards annuels à l’Etat, rien que pour la voiture de société), ce qui leur confère un caractère inégalitaire. Pour le dire autrement: tout le monde paie, mais seuls les privilégiés en bénéficient. «Et qui, typiquement, n’en bénéficie pas? Les métiers du care, les travailleurs des titres-services, les infirmiers, les enseignants», énumère Edoardo Traversa, professeur de droit fiscal à l’UCLouvain. «En réalité, tous ces avantages extralégaux ont eu une raison d’être, au départ. Mais aujourd’hui, dans un contexte de contrôle par le Conseil d’Etat et la Cour constitutionnelle, si le politique voulait les instaurer, cela ne passerait pas la rampe du principe d’égalité devant l’impôt», poursuit le fiscaliste.
Package salarial: la surenchère
En dépit de ces limites, les avantages extralégaux restent plébiscités, parce qu’ils demeurent une formule intéressante lorsqu’il s’agit de rémunérer. «S’il y a une résistance, c’est parce que la fiscalité sur le travail est trop élevée», constate Jean Hindriks, président de l’Economics School of Louvain et fondateur de l’Itinera Institute, un think tank indépendant. «Si on ne peut pas se permettre d’augmenter le salaire, on compense par des avantages extralégaux.»
«Il faut voir cela dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, développe-t-il. On assiste à un départ massif des baby-boomers du marché du travail, qui exige un renouvellement. Or, il y a une génération de main-d’œuvre qualifiée et hautement mobile qui, parfois, ne se gêne pas pour faire de la surenchère. On peut ne pas aimer ce constat, mais la course aux talents est une réalité.» On n’attire pas des mouches avec du vinaigre, mais avec des avantages perçus comme très attractifs.
Typiquement, la voiture de société a fait l’objet d’un emballement en Belgique. «C’est censé simplifier la vie de l’employeur. Au bout du compte, le forfait est de plus en plus déconnecté de la valeur réelle de l’avantage», poursuit Edoardo Traversa, qui prône un monitoring beaucoup plus affiné des données en Belgique.
De l’avis des fiscalistes, l’avantage extralégal qui représente la plus grande bizarrerie est bel et bien la voiture de société et la carte essence qui y est liée. C’est la voiture salaire qui est pointée du doigt et non la voiture effectivement utilisée dans le cadre de l’activité professionnelle. La Vivaldi s’est accordée sur la disparition progressive des voitures de société à moteur thermique après 2026. Mais le principe en lui-même n’a pas été envoyé aux oubliettes. Cela étant, la question ne semble plus être un tabou politique nulle part.
Un avantage n’est pas l’autre
D’autres avantages semblent moins problématiques. «Distinguons un peu les choses, insiste Jean Hindriks. Une voiture de société n’est pas une pension complémentaire.» Face aux perspectives peu réjouissantes, une contribution sous forme d’assurance groupe au deuxième pilier de pension peut s’avérer salvatrice. «Les jeunes sont très attachés à cela. Et il existe une certaine méfiance vis-à-vis de la pension légale.»
Qu’en est-il des chèques-repas (et différents chèques, d’ailleurs), autre classique parmi les classiques? «Cela peut être une manière de rémunérer les travailleurs, tout en soutenant l’Horeca», secteur en difficulté, tempère Jean Hindriks. Edoardo Traversa est plus sceptique. «Franchement, à quoi cela sert-il encore», à part subsidier les sociétés qui les émettent, s’interroge-t-il.
S’il est admis que le système à la belge n’est pas optimal, il n’évoluera pas en deux coups de cuillère à pot, puisqu’il est intrinsèquement lié au système fiscal. Cela explique une certaine frilosité à réformer. «S’attaquer à un dossier aussi complexe prend du temps, c’est difficile, explique Edoardo Traversa. Cela comporte aussi une part de risque, puisqu’on ne mesure pas toutes les conséquences d’une modification d’un système qu’on a un peu laisser filer. Quand on crée un avantage fiscal, on l’introduit dans le système et on ne le maîtrise plus vraiment.»
Retirez un avantage à une minorité, ça se saura. Redistribuez un peu à une majorité, ça se saura beaucoup moins
Edoardo Traversa
Un effet d’inertie est également à l’œuvre, les avantages extralégaux étant fortement ancrés. «Il n’existe pas de lobby de l’intérêt général, si je puis dire. Le problème, c’est que ceux qui y perdent ne savent pas qu’ils y perdent. Retirez un avantage à une minorité, ça se saura. Redistribuez un peu à une majorité, ça se saura beaucoup moins», fait remarquer Edoardo Traversa.
Faire évoluer les avantages extralégaux devra nécessairement être inclus dans le cadre d’une réforme fiscale plus large. Se délester de ces régimes spéciaux demande, s’accordent à dire les experts, un allègement de la pression fiscale sur le travail afin de compenser. «On n’attaque pas le sujet isolément, mais avec une vue d’ensemble», insiste Jean Hindriks, ce qui requiert une forme de sérénité politique.
«Les avantages extralégaux ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Je pense qu’ils finiront par s’évaporer. Autant que cela se fasse de manière ordonnée et réfléchie, sinon tout le monde y perdra», assure Edoardo Traversa.
Nouvelle architecture
Avant que le dernier mot ne revienne à la Vivaldi ( PS – Vooruit – MR – Open VLD – Ecolo – Groen – CD&V), la parole a été donnée à Vincent Van Peteghem, le ministre des Finances, à charge pour lui de tracer un nouveau cap fiscal. Mission accomplie le 19 juillet avec la suggestion de mettre dix milliards d’euros en jeu pour que davantage de revenus nets finissent dans la poche des contribuables.
Entre autres points saillants: un relèvement de la quotité exemptée d’impôt de 9 270 à 13 390 euros ; la mise de tous les revenus de la propriété sur le même pied d’égalité fiscale ; une taxation à 25% des revenus locatifs réels mais qui ambitionne d’épargner le petit investisseur via une exonération des revenus sur le patrimoine de 6 000 euros par an ; une TVA chamboulée par instauration d’un taux réduit unique de 9% avec maintien du taux de 21% et introduction d’un taux de 0% sur les fruits et légumes, les soins médicaux et les transports publics. Et puis, coup de canif aux avantages extralégaux, ces rémunérations déguisées qui sortent malmenées puisque l’usage des écochèques, des chèques culture et des chèques sport, taxés comme des salaires, serait de facto découragé, mais deux valeurs sûres seraient conservées: les chèques-repas et les voitures de société, avec ce bémol que les kilomètres parcourus à titre privé seraient taxés via un découplage de la carte essence et du véhicule.
Cette future architecture fiscale, au stade de l’épure, a été accueillie plutôt favorablement, sous réserve d’inventaire, mais une lecture MR donne les fonctionnaires gagnants et les cadres et indépendants victimes de la disparition, quoique relative, des niches fiscales.
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