Un taux net de 3 à 7% : pourquoi le crowdlending séduit de plus en plus les petits épargnants
Le récent succès du bon d’Etat l’a démontré : les particuliers sont demandeurs d’un taux rémunérant davantage leur épargne à court terme, sans prendre de risques démesurés. C’est aussi ce que propose le crowdlending, une forme de financement participatif de plus en plus prisée.
Qu’ils aient ou non souscrit au bon d’Etat belge à un an, au taux net de 2,81%, les particuliers souhaitant placer une partie de leur épargne dans un horizon relativement court peuvent aussi compter sur le crowdlending. Encore peu connue du grand public, cette solution de financement participatif permet à des personnes physiques (et morales dans certains cas) d’investir dans un projet spécifique d’une PME, sans immobiliser leur argent pendant de longues années. Les plateformes spécialisées proposent des prêts d’une durée d’un à six ans, à un taux annuel net (après déduction du précompte mobilier de 30%) généralement compris entre 3 et 7%, selon la classe de risque des produits.
La Belgique compte pour le moment six plateformes de ce genre agréées par la FSMA, l’Autorité des services et marchés financiers : Look&Fin, BeeBonds, Spreds, Winwinner, Lita et Ecco Nova. Pour le moment, puisque les deux derniers cités ne disposent pas encore d’un agrément valide au-delà du 10 novembre 2023, la date-butoir de mise en conformité à la nouvelle réglementation européenne. « Le processus est en cours, précise toutefois Pierre-Yves Pirlot, le cofondateur d’Ecco Nova. Tout porte à croire que l’on obtiendra l’agrément dans les délais. » Celui-ci donne notamment accès au marché européen et permet de financer des projets jusqu’à un montant de 5 millions d’euros. A côté de ces plateformes, un acteur comme Mozzeno propose à la fois des formules de prêts entre particuliers, comme des crédits à la consommation, ainsi que des financements à destination des (petites) entreprises, jusqu’à 100 000 euros. « Pour ce que l’on propose actuellement, l’agrément « crowdfunding » n’est pas nécessaire », commente Xavier Laoureux, co-fondateur de Mozzeno.
« Nous voulons élargir les possibilités d’investissement aux petits épargnants, que les banques ont délaissés »
Le crowdlending, qui signifie littéralement le « prêt par la foule », séduit de plus en plus les investisseurs comme les emprunteurs. D’un côté, il répond à une attente des petits épargnants, en quête d’un produit nettement plus rémunérateur que les comptes d’épargne classique ou que la plupart des comptes à terme à leur portée financière. La plupart des plateformes de crowdlending proposent, elles, d’investir à partir de 100 euros. « Nous voulons élargir les possibilités d’investissement aux petits épargnants, que les banques ont délaissés », résume Joël Duysan, le CEO de BeeBonds, une plateforme créée en 2017.
De l’autre côté, les emprunteurs envisagent de plus en plus le crowdlending en complément ou en substitution à l’emprunt bancaire. Cette alternative répond en effet aux besoins de certaines PME. « Qu’elles soient cotées ou non, les grosses entreprises ont accès à pléthore de sources de financement autre que bancaires, commente Frédéric Lévy Morelle, le CEO de Look&Fin, l’acteur le plus ancien du secteur en Belgique (258 millions d’euros financés depuis 2012, à l’attention de 600 entreprises belges ou étrangères). Les PME, elles, sont souvent cantonnées au financement bancaire. C’est à cela que nous voulons remédier. »
Construction ou rénovation de logements, extension d’une activité commerciale, développement durable… Si la nature des projets varie, la majorité des initiatives de crowdlending bénéficie au secteur immobilier – presque 100% des nouveaux projets BeeBonds et 71% de ceux financés via Look&Fin. « Nous finançons essentiellement deux types de besoins immobiliers, poursuit Frédéric Lévy Morelle. D’une part les activités de marchands de biens, qui les revendent avec une plus-value après avoir entrepris des travaux de rénovation, et d’autre part des foncières, qui achètent des immeubles pour les mettre ensuite en location. Si ces acteurs ont de plus en plus recours au crowdlending, c’est soit parce que les banques rechignent à leur prêter, soit parce que les fonds propres demandés peuvent atteindre 30 voire 40%. » Même analyse chez BeeBonds, qui de son côté, finance 75% de l’effort en fonds propres exigé par les banques, soit 23% en moyenne du montant total.
Quels risques, quelles garanties ?
A ses débuts, il y a un peu plus de dix ans, le crowdlending finançait essentiellement des projets très risqués, comme le reflétaient ses taux déjà élevés, à l’époque où ceux de la banque centrale européenne (BCE) étaient nuls, voire négatifs. Logiquement, la même logique prévaut aujourd’hui : plus le taux proposé est élevé, plus le risque de perdre le montant investi l’est également en cas de faillite. Toutefois, les plateformes du secteur examinent minutieusement les projets financés, pour minimiser une telle mésaventure, qui pénaliserait en outre leur propre image de marque. Chez Look&Fin, le taux de défaut rapporté, soit la part des entreprises qui n’arrivent pas à rembourser leur financement, s’élèverait à 1,5%. Chez Ecco Nova, à 0,9%. Ce qui n’équivaut pas nécessairement à une perte sèche pour les investisseurs, en fonction des garanties sollicitées.
Car les acteurs du crowdlending ont compris que leurs interlocuteurs étaient demandeurs de formules moins risquées. Désormais, certaines plateformes proposent des produits dits « sécurisés » : une inscription hypothécaire en premier rang, un gage sur actions, une assurance couvrant 100% de la valeur de l’investissement (ce que proposent Look&Fin et prochainement Beebonds)… Les modalités varient selon les besoins de l’emprunteur et le profil de risque de l’investisseur. « Pour répondre aux spécificités des projets, il est intéressant pour une plateforme d’avoir la panoplie complète, avec une sûreté plus ou moins forte selon les cas de figure », souligne le CEO d’Ecco Nova. Toutefois, le risque zéro n’existe pas. « La qualité des garanties supplémentaires s’arrête à celle du garant, commente Georges Hubner, professeur de finance à l’Ecole de gestion de l’Université de Liège (HEC-Liège). Il faut par exemple que l’assureur lui-même ait les reins solides. Cela n’équivaut pas à une garantie d’Etat. » La fameuse règle de la diversification des actifs vaut donc également pour le crowdlending, comme le soulignent les plateformes.
La hausse des taux change-t-elle la donne ?
Pour le cofondateur de Mozzeno, les récentes hausses de taux pourraient nuire à l’attractivité de formules de financement participatif, vu que le différentiel avec certains produits bancaires se réduit. « Pas par rapport aux comptes d’épargne, qui restent extrêmement peu attractifs, nuance-t-il. Par contre, certains comptes à terme à un an se rapprochent des taux que l’on propose. La question est alors de savoir si un rendement un peu plus important suffit à combler la perception du risque. » Pour le CEO de Look&Fin, en revanche, la conjoncture actuelle ne pénaliserait pas nécessairement le secteur du crowdlending. Au contraire : « L’un des challenges consiste à attirer suffisamment d’emprunteurs pour répondre à la demande d’investissements, ajoute-t-il. En ce sens, les hausses de taux rendent notre offre de plus en plus compétitive par rapport à l’emprunt bancaire. »
L’engouement pour le crowdlending est indéniable. Quand ils reposent sur la logique du « premier arrivé, premier servi », certains projets aspirent les investissements en à peine une minute, rapporte Look&Fin. Même succès du côté des emprunteurs : chez BeeBonds, le carnet de projets est rempli jusqu’en décembre prochain. Mais le crowdlending reste encore un marché de niche. « Il affiche une vraie complémentarité avec le circuit bancaire, sans pour autant menacer ce dernier », conclut Georges Hubner. D’après les données communiquées par ses principaux acteurs, le crowdlending aurait dépassé la barre des 125 millions d’euros investis durant l’année 2022. C’est 175 fois moins que les 21,9 milliards récoltés pour le seul bon d’Etat à un an, en l’espace de neuf jours.
Il y a quelques années, plusieurs acteurs s’étaient fédérés pour demander au gouvernement d’envisager une réduction, voire une suppression du précompte mobilier de 30% prélevé sur le taux brut des prêts en crowdlending, comme ceux-ci bénéficient à l’économie réelle. « Mais nous avons essuyé un refus », regrette Pierre-Yves Pirlot. Réduire ce précompte à 15%, c’est précisément ce que s’est récemment offert le gouvernement pour son bon d’Etat.
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