Trois nouveaux magasins éphémères ouverts chaque jour: pourquoi les pop-up store ont tant de succès
Le concept de boutiques éphémères s’installe durablement dans le monde du retail. Il a même fait des petits dans l’Horeca et dans l’événementiel. Un modèle qui connaît toutefois des hauts et des bas.
C’est le coucou suisse du commerce de détail. Il fait une apparition furtive et disparaît aussitôt. Le concept de «pop-up store» – référence aux fenêtres qui surgissent à l’ouverture d’une page Web – a pris racine aux Etats-Unis dans les années 2000, après que plusieurs marques eurent testé avec succès l’ouverture de points de vente proposant des produits saisonniers ou en édition limitée.
Il s’est implanté en Europe en 2004, à Berlin, lorsque la marque japonaise Comme des garçons et ses premiers «guerilla stores» se sont installés dans des lieux insolites pour un an seulement. Depuis, les boutiques éphémères ont conquis les centres urbains, les petites artères branchées et les pôles commerciaux. Ces dernières années, le marché a connu une belle floraison et a largement étendu sa palette d’activités. Pour autant, tout n’est pas rose: derrière ces enseignes flash, il existe de jolies réussites mais également des pertes cuisantes. C’est que le succès d’une boutique éphémère dépend de bien des paramètres, notamment de la finalité de l’ouverture, qui n’est pas toujours celle qu’on imagine.
Je voulais ouvrir cette boutique mais je ne savais pas par où commencer. Et je n’avais pas d’exemple sur lequel m’appuyer.
Emmanuelle Wégria
Une marque «pure player», qui ne pratique que la vente en ligne et qui, bloquée par les algorithmes, ne parvient plus à élargir sa communauté d’acheteurs, verra surtout dans l’ouverture d’une boutique éphémère l’opportunité de collecter un maximum de données de clients, puisque ces derniers auront été invités à laisser leur adresse e-mail ou à s’inscrire sur le site.
L’étape suivante consistera à observer leurs comportements en se servant d’outils «netnographiques» (néologisme issu de la contraction de «network» et «ethnographie»). Une stratégie plutôt payante utilisée par le fabricant de sous-vêtements Le Slip français, dont s’est inspirée l’Association du management de centre-ville (AMCV) pour lancer le mouvement en Belgique. D’abord en Wallonie, en 2009, puis en Flandre et enfin à Bruxelles.
«On s’est dit que, nous aussi, on allait créer des magasins à courte durée, même si, au début, on nous prenait un peu pour des demeurés, retrace le président de l’AMCV, Jean-Luc Calonger. Pour que cela fonctionne, il fallait tabler sur des baux précaires mais ce n’était pas évident car les propriétaires qui mettaient leurs biens en location n’étaient pas protégés. Il a fallu instaurer un nouveau cadre juridique pour éviter que le locataire puisse faire requalifier sa convention en bail commercial.»
Rampe de lancement
A côté des enseignes désireuses d’élargir leur communauté sont apparus de petits commerces de niche destinés à une clientèle en quête de nouveauté et d’exclusivité. Il s’agit généralement d’artisans ou de designers soucieux de tester leur concept avant de faire le grand plongeon et d’investir dans l’installation d’un point de vente fixe. Pour ces créateurs-entrepreneurs, la formule pop-up a le double avantage de garantir un bail à très court terme et d’offrir une période d’ajustement durant laquelle ils peuvent évaluer le succès de leurs produits, affiner leurs prix et apprendre de leurs erreurs. La formule permet aussi aux commerçants qui concentrent leurs activités sur la vente de produits saisonniers, comme les décorations de fête par exemple, de n’occuper un local que les «bons mois» de l’année.
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Une rampe de lancement qui a permis à Emmanuelle Wégria, gérante de la boutique Wattitude, de prendre son envol comme indépendante après une reconversion. Architecte de formation, cette Liégeoise s’est tournée, dans un premier temps, vers le monde du spectacle en intégrant une troupe de théâtre itinérant. En 2011, alors que la compagnie vient de cesser ses activités, elle se jette à l’eau et lance une boutique éphémère exclusivement dédiée à des produits conçus, crées ou fabriqués en Wallonie.
«Je souhaitais m’investir dans une activité qui, pour moi, avait du sens mais, à l’époque, je ne disposais d’aucune formation en création d’entreprise. Je voulais ouvrir cette boutique mais je ne savais absolument pas par où commencer. Comme il s’agissait d’un nouveau concept, alliant mode, design et vente de produits d’épicerie fine, je n’avais pas vraiment d’exemple sur lequel m’appuyer.» Coachée par les conseillers de CréaPME, un programme d’accompagnement de nouveaux entrepreneurs, Emmanuelle Wégria intègre une pépinière d’entreprises, soit une structure d’accueil, d’hébergement et de services qui encadre les sociétés lors de leur phase de création.
Certaines enseignes profitent de la difficulté, pour les propriétaires, de louer leurs espaces commerciaux.
L’expérience, positive, lui donne confiance en ses chances de réussite et lui permet de travailler sereinement sur un plan financier solide. La location d’un local en bail de courte durée lui donne ensuite l’occasion de fignoler les derniers détails avant de s’installer durablement à quelques pas de là, dans un espace commercial inoccupé d’une rue piétonne de la Cité ardente. «La localisation est aussi importante que le coaching quand on se lance dans ce type d’activité. Si on ne prend pas la peine de bien s’entourer, on risque de commettre des erreurs dès le départ.»
Pour guider ces artisans, artistes ou entrepreneurs et les aider à trouver les leviers nécessaires, des plateformes ont été développées par les pouvoirs publics: on pense à Urban Retail, conçue par Wallonie Commerce et dont la vocation est de mettre en relation les candidats occupants et les propriétaires de biens commerciaux des centres-villes, ou à hub.brussels, l’agence bruxelloise pour l’accompagnement de l’entreprise. Dans une étude publiée en 2016, Atrium, l’agence bruxelloise du commerce (elle a depuis intégré hub.brussels), estimait à trois le nombre de commerces éphémères ouvrant chaque jour en Belgique. Quelque 80% des répondants à son sondage en ligne affirmaient être déjà entrés dans un pop-up store et 62,5% y avoir effectué des achats. Or, en 2016, le phénomène n’en était qu’à ses balbutiements…
Depuis, d’autres intermédiaires gravitent autour des instigateurs de pop-up stores, comme ces agences immobilières spécialisées dans la location d’espaces dédiés à l’éphémère, ces professionnels de l’aménagement de boutiques sur mesure ou encore ces consultants qui accompagnent les entrepreneurs dans leurs démarches.
Quartiers boboïsés
L’éclosion d’un pop-up store ne résulte pas toujours de la concrétisation d’un rêve, d’un projet construit sur des convictions fortes ou d’un bon feeling. Benjamin Wayens, professeur de géographie appliquée à l’ULB et spécialiste des questions liées à la localisation des commerces, fait le distinguo entre les boutiques qui apportent une réelle plus-value dans la sphère entrepreneuriale et les boutiques «cache-misère». «Dans le commerce éphémère, on trouve des adresses qui proposent de nouveaux produits, dont la vocation est de tester un marché, un emplacement ou même une ville, ou de faire le lien entre un commerce en ligne et un commerce physique. Si ces enseignes sont attractives, elles peuvent apporter une réelle valeur ajoutée à un quartier, surtout lorsqu’elles jouent la carte de l’événementiel. A côté de cela, on en trouve d’autres dont le bail d’occupation est un peu plus long et qui profitent de la difficulté, pour les propriétaires, de louer leurs espaces commerciaux. Ouvrir un magasin éphémère qui vend des casseroles au goulet Louise, par exemple, sera certainement profitable au commerçant et au propriétaire du local inoccupé. Mais est-ce pour autant une bonne chose pour l’artère bruxelloise en matière d’attractivité? On peut se poser la question…»
L’autre différence entre ces deux visions, c’est la zone dans laquelle le commerce est susceptible de s’implanter, relève Jean-Luc Calonger. Un pop-up store axé sur la nouveauté, l’exclusivité ou la création s’intégrera plus facilement dans les rues animées, ou en passe de l’être, du centre-ville. «L’apparition de ces boutiques est souvent un signe de gentrification d’un quartier. Ceux qui les gèrent maîtrisent bien les réseaux sociaux, dont ils se servent pour informer leurs followers d’un changement d’heures d’ouverture ou d’une promotion. Cela apporte une certaine souplesse et engendre un dynamisme extraordinaire. Le caractère éphémère peut d’ailleurs n’être qu’un point de départ puisque certaines enseignes pérennisent.»
«Il est certain qu’un créateur ne s’installera pas n’importe où, renchérit Benjamin Wayens, toutefois moins convaincu par l’argument «vecteur de dynamisme». «C’est vrai pour les artères principales, notamment parce que c’est aussi là que sont concentrés les établissements Horeca, mais pas forcément pour les rues secondaires. Par ailleurs, le principe de périodicité rend difficile le maintien de ce dynamisme. Il arrive, par exemple, que certaines marques de chaussures qui ne vendent habituellement qu’en ligne optent pour la location d’une boutique éphémère uniquement pour le mois de septembre, parce qu’elles savent que c’est à la rentrée des classes que les parents sont à la recherche de ce type d’articles. D’autres ne peuvent payer de loyer élevé dans des quartiers en vue que pour les “bons mois” et désertent ces espaces pendant les périodes creuses. On peut donc les considérer comme des outils d’animation mais elles ne sont certainement pas une réponse à la désertification des centres urbains, qui est un problème structurel.»
Nous vendions beaucoup mais les marges n’étaient pas suffisantes pour payer les salaires.
A contrario, les grandes marques ou les espaces proposant des prix cassés sur des objets du quotidien, de la déco ou du textile, privilégieront les galeries commerçantes ou les zones de passage pour ne pas susciter de conflits avec d’éventuels concurrents voisins. Aussi parce que le succès de ces points de vente repose sur des réflexes d’achat d’opportunité, compulsifs.
Multientrepreneur, Rudi Laurent a tenté l’expérience en ouvrant, avec deux amis, plusieurs franchises Chronostock, deux à Mons puis deux autres à Charleroi. Il dresse un bilan mitigé: «Le concept est intéressant parce qu’il permet d’avoir accès à des loyers raisonnables. Mais sur le plan de la logistique, c’était devenu lourd. Le principe de Chronostock, c’est un aménagement minimal des lieux et des produits rangés sur des palettes. Il n’empêche qu’il faut tout déménager et tout transporter tous les deux ou trois mois. Au bout d’un moment, cela exige vraiment trop de temps.» S’il n’a pas continué dans cette voie, c’est également en raison d’un manque d’accompagnement de la part du délégué de la maison mère. «Le suivi commercial était quasiment nul. Nous ne savions pas très bien quels produits correspondaient à la demande du marché ou quels prix nous devions pratiquer. Résultat: nous vendions beaucoup mais les marges n’étaient pas suffisantes pour payer les salaires.»
Quelles que soient les aspirations de ceux qui les exploitent, raisonne Benjamin Wayens, ces nouveaux modèles confirment une accélération des cycles de consommation. Aux yeux du professeur de l’ULB, les enseignes hard discount qui pratiquent un intense renouvellement de leurs collections sont, en quelque sorte, des pop-up stores permanents, qui attisent notre besoin constant de nouveauté et renforcent nos attitudes consuméristes.
Des biens ou des services
Elle n’est pourtant pas près de s’éteindre, cette mode de l’éphémère. Elle a même fait des petits. Dans l’Horeca, dans l’événementiel et même dans l’aménagement urbain, on installe et on remballe au gré des saisons, à l’image de ces terrasses, rooftops, guinguettes, bivouacs, et autres lieux de rendez-vous de l’été. Des variantes qui se prêtent généralement bien aux partenariats, entre plusieurs artisans (pop-up design et culinaire, par exemple) ou entre des artisans et des établissements Horeca implantés dans le quartier, et qui ouvrent le champ des possibles (happening, dégustation, participation de personnalités, etc.).
Une autre façon de ramener un peu d’animation dans la ville consiste à réinvestir les zones sous-exploitées ou délaissées en y installant des «pop-up places». L’objectif n’est pas de tester des produits mais plutôt des aménagements ou un concept bien particulier. A ne pas confondre avec le «place making», qui consiste à occuper un espace en transition et à l’aménager en fonction des besoins d’un certain public, de la population d’un quartier. Des bancs, quelques tables colorées, des jeux, des parasols, des espaces de détente… Tout ou presque est envisageable. Généralement, il s’agit d’un partenariat public-privé. Comme pour le pop-up place, le but n’est pas de faire du chiffre mais de créer des carrefours et des zones de rencontres encadrées.
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