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Au total, les investissements dans les entreprises d’intelligence artificielle atteignaient 190 milliards de dollars en 2023. © GETTY IMAGES

L’Europe peut-elle rattraper le train de l’intelligence artificielle? «Si rien ne change, elle deviendra une puissance de second rang»

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Son retard colossal dans la course à l’intelligence artificielle expose l’UE à un risque stratégique et d’appauvrissement. Pour inverser la tendance, il lui faudra fédérer. Et bien plus de milliards du privé.

Le temps d’une révolte éclair, de 1811 à 1812, les luddites tentèrent de s’opposer à l’émergence des machines à tisser, à peine inventées par Edmund Cartwright à la fin du XVIIIe siècle. Soucieux de préserver leur condition, ces artisans anglais du textile se mirent à saboter des fabriques, avant d’être sévèrement réprimés par le gouvernement. Plus de 200 ans après, l’intelligence artificielle déroule ses fils à une vitesse bien plus fulgurante encore, et aucun néo-luddite ne serait en mesure de la stopper. Elle n’a cessé d’alimenter et d’amplifier la révolution numérique, contre laquelle il serait tout aussi vain de lutter.

«On tend à l’oublier, parce qu’elle glisse sous le doigt, mais la portée anthropologique de cette révolution numérique est au moins tout aussi grande que celle du feu, de l’écriture, de la création de l’Etat, de la sédentarisation ou de la révolution industrielle», affirme Pierre Beckouche, professeur en géoéconomie régionale à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur d’un livre intitulé Les Nouveaux Territoires du numérique (Eds Sciences humaines, 2019). «Au moins 80% de nos activités sociales sont désormais régies par des nombres, et non plus par des mots. En émettant des propositions basées sur des données déjà transformées par d’autres machines, l’IA générative accentue d’autant plus la disjonction entre ce nouveau langage social et le langage humain.»

Si les clés d’une économie appartenaient auparavant à ceux qui disposaient de capitaux et de ressources (travail, matières premières, énergie), relève encore le professeur, il leur faut à présent disposer d’un troisième facteur de production: les données. Celles-ci sont devenues «vitales pour le développement économique, résumait la Commission européenne en 2020, dans sa stratégie visant à créer un marché unique des données. Elles constituent la base de nombreux produits et services nouveaux à l’origine de gains de productivité et d’efficacité». A lui seul, le marché européen des données pèserait quelque 82 milliards de dollars en 2023 (+11% par rapport à 2022), selon une étude menée pour le compte de la Commission.

L’IA requiert non seulement de grandes quantités de données à collecter, stocker et traiter, mais aussi des puissances de calcul démesurées. Or, l’Europe fait pâle figure en la matière. «A l’heure actuelle, les études suggèrent que plus de 90% des données européennes sont stockées dans des clouds américains, souligne Nicolas Van Zeebroeck, professeur à la Solvay Brussels School of Economics and Management et auteur du récent ouvrage L’Economie numérique (éd. de l’université de Bruxelles, 2024). Certes, elles peuvent être physiquement logées dans des datacenters européens, mais ceux-ci sont contrôlés par de grandes entreprises américaines. Et puis, il faut des puissances de calcul pour faire tourner les modèles. Pour le coup, la situation est encore plus désastreuse, puisque seuls 4% de cette puissance sont installés en Europe

Il faut encore ajouter à l’équation la faible part européenne dans la production de puces électroniques (semi-conducteurs), indispensables aux équipements numériques. En 2022, celle-ci n’atteignait que 6% à 8% selon les estimations, contre 40% au début des années 1990, d’après la plateforme Statista. En 2023, trois pays assuraient 69% de la production mondiale: la Corée du Sud, la Chine et Taïwan. Avec son «European Chips Act», publié en 2022, la Commission souhaite renouer avec une production d’au moins 20% de la capacité mondiale, à l’horizon 2030. Doté d’un soutien public annoncé de 43 milliards d’euros (dont une bonne partie est censée provenir des Etats), celui-ci aurait déjà conduit le privé à promettre environ 100 milliards d’euros d’investissement. Mais la compétition sera rude. De leur côté, les Etats-Unis, qui n’assurent plus que 8% à 10% de la capacité mondiale, veulent eux aussi atteindre le même objectif, avec un «Chips and Science Act» à 52 milliards de dollars. Depuis lors, les engagements des entreprises américaines du secteur se chiffreraient à près de 400 milliards de dollars, indiquait en août la Maison-Blanche.

En Californie, la Silicon Valley (ici, le QG de NVIDIA, spécialisée dans l’IA) est le cœur des entreprises technologiques. © GETTY IMAGES

Des investissements imparables

De manière générale, la course à l’intelligence artificielle commerciale se gagne précisément en déboursant des dizaines de milliards. A l’échelle mondiale, seuls 2,5% des investissements dans les entreprises actives dans l’IA provenaient de soutiens publics en 2023, relève l’«AI Index Report 2024» de l’université de Stanford, qui fait référence en la matière. Au total, les investissements dans les entreprises d’IA atteignaient 190 milliards de dollars la même année. Au rayon des moyens privés, les Etats-Unis menaient largement la danse (67,2 milliards de dollars), tandis que l’Europe et le Royaume-Uni (11 milliards) devançaient à nouveau la Chine (7,7 milliards), pour la première fois depuis dix ans. Il faut toutefois nuancer ce redressement. D’abord parce que le Royaume-Uni ne fait plus partie de l’UE. Ensuite parce qu’au regard des investissements cumulés sur les onze dernières années, l’Europe et le Royaume-Uni ont investi près de deux fois moins que la Chine et six fois moins que les Etats-Unis.

Les sociétés de capital-risque ont investi huit fois plus aux Etats-Unis et 4,5 fois plus en Chine que dans l’UE des 27 sur ces douze dernières années.

Nerfs de la guerre de l’IA, les sociétés de capital-risque (venture capital) ont quant à elle investi huit fois plus aux Etats-Unis et 4,5 fois plus en Chine que dans l’UE des 27 au cours des douze dernières années, révèlent les données de l’OCDE. Sans surprise, la taille médiane des investissements, elle aussi largement inférieure en Europe, corrobore l’absence d’un géant du numérique capable de rivaliser avec les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), les Batx en Chine (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) ou autres OpenAI (ChatGPT).

L’Europe dispose bien de pépites de la tech ou de l’IA, dans tous les domaines. En amont de la chaîne, on retrouve la société néerlandaise ASML, au service de l’industrie des semi-conducteurs, capitalisée à 267 milliards de dollars. Dans les grands modèles de langage (LLM), la start-up française Mistral AI, valorisée à six milliards, ambitionne ni plus ni moins de battre les références mondiales de l’IA générative. En aval, il y a des acteurs spécialisés tels que DeepL (traduction) en Allemagne, Cradle (biologie) aux Pays-Bas et en Suisse, Photoroom (retouche photo) en France… La Belgique compte elle-même quelques références internationales, essentiellement dans le secteur B2B. «Dans la région de Gand, par exemple, l’écosystème de start-up de l’IA attire de plus en plus de fonds provenant de l’extérieur de l’Europe», relève Clarisse Ramakers, directrice générale d’Agoria Wallonie, la fédération des entreprises technologiques. Au sud du pays, Antoine Hublet, expert de l’Agence du numérique (AdN) et coordinateur du programme DigitalWallonia4.ai, cite pour sa part la scale-up B12 Consulting, rachetée il y a peu par Yuma, un groupe belge acquérant des sociétés du numérique.

Le Mistral gagnant?

C’est incontestablement «la» start-up européenne de l’IA générative. En moins de deux ans d’existence, Mistral AI s’est imposée comme l’un des plus grands espoirs européens dans le domaine des grands modèles de langage. L’entreprise française est surtout l’une des rares à s’affirmer comme une alternative en devenir aux «Big Techs» tels que ChatGPT et Google. Mi-novembre, elle a sorti un modèle de reconnaissance d’image open source baptisé Pixtral Large, qui serait plus puissant que tous ses concurrents. Elle dispose aussi d’un assistant conversationnel très semblable à ChatGPT, que le grand public peut tester sur chat.mistral.ai. Parmi les trois fondateurs de l’entreprise, notamment passés par Google Deepmind et Meta, le CEO de 32 ans, Arthur Mensch, a assuré que la société resterait française, malgré un partenariat avec Microsoft. «Sur certains indicateurs, nos modèles sont plus performants que ceux de Gemini, le projet sur lequel je travaillais quand j’étais chez Google, ou que ceux de Meta, assurait-il déjà dans Le Monde, en février dernier. Et Mistral Large est compétitif avec GPT-4.»

Il est toutefois vrai que les acteurs européens sont loin de rivaliser avec les capitalisations gargantuesques de concurrents américains ou chinois. Que beaucoup élaborent leurs solutions à partir de modèles conçus outre-Atlantique. Et que les ambitions se heurtent souvent au manque de financement. Jusqu’ici citée en tant qu’autre fleuron européen des LLM, l’allemande Aleph Alpha a dû revoir considérablement ses ambitions à la baisse, faute d’investissements à la hauteur des espérances. Sombre aveu que celui de son fondateur, Jonas Andrulis, interrogé par Bloomberg en septembre dernier: «Avoir un modèle de langage européen n’est pas un modèle économique suffisant.»

«Là où il n’y a pas de honte, aux Etats-Unis, à devenir riche de son invention, il y a une sorte de répugnance européenne.»

Bruno Colmant

Economiste et membre de l’Académie royale de Belgique

L’un des deux datacenters d’Alibaba installés dans la province de Hebei, en Chine. Le pays est l’un des trois géants mondiaux –avec Taïwan et la Corée du Sud– de la production de puces électroniques. © GETTY IMAGES

Les freins à l’innovation

Mais la suprématie américaine n’est pas qu’une question de moyens financiers, relève l’économiste Bruno Colmant, membre de l’Académie royale de Belgique. «Aux Etats-Unis, il y a d’abord une concentration géographique très forte des entreprises technologiques, le cœur du réacteur étant la Silicon Valley. Elles bénéficient en outre d’un effet de réseau très poussé, ce qu’un acteur comme Nokia n’a pas réussi à insuffler à l’époque. Ensuite, la capacité des entreprises américaines à créer des oligopoles leur permettent de s’autoentretenir en permanence, d’attirer toujours plus de capitaux et in fine, d’imposer leurs protocoles. Enfin, et c’est un point dont on parle trop peu, les Etats-Unis ont cette capacité que n’a pas l’Europe à faire la jonction entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Là où il n’y a pas de honte, aux USA, à devenir riche de son invention, il y a une sorte de répugnance européenne, ce qui freine considérablement l’innovation.»

A cela s’ajoute le grand paradoxe de la réglementation européenne, notamment au travers du RGPD (Règlement général sur la protection des données) et plus récemment, de l’«AI Act», fixant une série de balises pour une intelligence artificielle digne de confiance. Les uns reprochent à l’Europe de réguler l’IA avant même de la développer en suffisance, ce qui nuirait aux investissements. Les autres invoquent la nécessité de fixer des règles claires pour se prémunir, le plus en amont possible, des risques que pourrait faire peser l’intelligence artificielle. Les deux camps ont raison. «En tant que représentant du secteur technologique, nous soutenons le besoin de promouvoir l’éthique et nos valeurs européennes, nuance Clarisse Ramakers. En revanche, ce sont les modalités qui posent problème. Les obligations de reporting telles que prévues par l’Europe feront peser une charge administrative élevée à nos entreprises. La transposition de l’«AI Act» dans les Etats membres risque en outre d’aboutir à 27 législations différentes

Une triple perte pour l’Europe

Pourquoi est-il problématique que le Vieux Continent s’appuie sur tant de produits ou de solutions numériques conçues ailleurs? Cette dépendance fait tout d’abord encourir à l’Europe un risque commercial, souligne Nicolas Van Zeebroeck. «Si, comme le reconnaît la Commission, les algorithmes et l’IA deviennent indispensables à la création de valeur dans l’économie européenne, les entreprises étrangères pourraient décider d’augmenter leurs tarifs, et on n’aura pas d’autre choix que de payer.» Vu la raréfaction des ressources, les Etats pourraient réserver les matériaux dernier cri à leur marché intérieur, ou aux plus offrants. Or, bien que l’Europe reste un marché d’envergure, les mesures protectionnistes s’intensifient aux quatre coins du globe. «On a vu venir la globalisation, mais pas la régionalisation qui s’opérait en parallèle, résume Pierre Beckouche. Il suffit de voir la consolidation des échanges entre les pays de l’Asie orientale ou la ligne de Donald Trump aux Etats-Unis. Si rien ne change, l’Europe restera une puissance, mais de second rang

Cette dépendance nuit aussi aux recettes fiscales. «On le sait, il est très difficile de taxer le numérique, du fait de son intangibilité, poursuit Nicolas Van Zeebroeck. Les géants actuels sont déjà des champions pour éluder l’impôt. Même quand elle est générée dans l’Union européenne, la valeur produite remonte très vite aux actionnaires, principalement américains. Moins de recettes fiscales, c’est moins de moyens pour financer la sécurité sociale, les pouvoirs publics…» Enfin, il ne faut pas sous-estimer les conséquences sur l’emploi et la recherche. «Dès lors qu’on utilise l’IA pour automatiser les processus, les emplois deviennent de plus en plus une variable d’ajustement, ce qui conduira ceux à haute valeur ajoutée à partir vers les Etats-Unis», ajoute l’économiste. «En restant dans cette posture passive, notre capacité de recherche et d’innovation continuera à dépérir», alerte Bruno Colmant. A cet égard, la Belgique est d’autant plus en mauvaise posture qu’elle ne parvient déjà pas à diplômer suffisamment d’étudiants issus des filières «Stem» (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) pour répondre à la demande actuelle, y compris dans les sociétés de l’IA.

Moins de revenus commerciaux, fiscaux et professionnels: tels seraient donc les ingrédients d’un appauvrissement comparatif de l’Europe à court et à moyen termes, si elle persiste à laisser filer le train de l’IA. Dans quelle proportion? «Vous mettez le doigt sur quelque chose d’extrêmement problématique, glisse, en off, une entreprise européenne de référence. Aucun scénario ne mesure les répercussions du retard de l’Europe, qui devient irrattrapable.» Le calcul est d’autant plus complexe que les études sur les gains attendus de l’IA ne sont pas unanimes. «Certains experts évoquent un différentiel nul ou faible dans les années à venir, de l’ordre de 0,7% du PIB, tandis que d’autres pointent jusqu’à 10% d’augmentation», souligne Céline Piton, économiste à la Banque nationale de Belgique (BNB).

«Les technologies numériques sont cumulatives, ce qui veut dire que la nouvelle génération est encore plus difficile à exploiter si on ne maîtrise pas la précédente.»

Nicolas Van Zeebroeck, dans son livre «L’économie numérique»

Professeur à la Brussels School of Economics and Management (ULB)

Déjouer les pronostics

Là où tout le monde s’accorde, c’est sur le fait qu’il sera au minimum très compliqué pour l’Europe de rattraper son retard. «Les technologies numériques sont cumulatives, ce qui veut dire que la nouvelle génération est encore plus difficile à exploiter si on ne maîtrise pas la précédente, écrit Nicolas Van Zeebroeck dans L’Economie numérique. Rater un train rend encore plus difficile de prendre le suivant. Le résultat, c’est que quand l’intelligence artificielle déboule, l’Europe a des cerveaux mais aucun terreau sur lequel faire prendre toutes leurs idées.» Elle souffre en outre d’une culture d’investissement bien plus prudente que celle des Etats-Unis. «C’est ce que pointe le récent rapport de Mario Draghi sur la compétitivité européenne, rappelle la directrice générale d’Agoria Wallonie. Cela ne veut pas dire que Monsieur et Madame Tout-le-Monde doivent investir dans des boîtes d’IA. En revanche, les fonds de pension et sociétés de capital-risque ont un rôle à jouer.» Pour Bruno Colmant, «on n’a pas de culture de prise de risque parce qu’on est un continent de rentiers. Là où les Américains veulent gagner de l’argent, les Européens veulent le conserver.»

Il y a toutefois au moins deux raisons d’espérer que l’Europe échappe à son sort de région «vassalisée», comme la décrit Pierre Beckouche. Premièrement, la création de valeur due à l’IA n’émanera pas que de ses concepteurs, mais aussi de ceux qui l’adoptent, soulignent plusieurs experts consultés. En 2023, une entreprise belge sur sept avait adopté au moins une solution d’IA, indique Statbel, l’office belge de statistique. Cette proportion grimpe à 48% parmi les sociétés comptant plus de 250 employés. Un bilan déjà obsolète, compte tenu de l’essor des solutions. «Entre les premiers semestres 2023 et 2024, nous sommes passés de 67 à 282 demandes de sociétés wallonnes souhaitant un accompagnement en la matière», illustre Antoine Hublet. «Les projections économiques quant à l’apport des IA ne scindent pas la contribution de leur production et de leur utilisation, précise Céline Piton. Or, il est probable que les gains futurs de productivité proviennent essentiellement de leur adoption

Deuxièmement, l’IA n’en est qu’à ses débuts. D’un côté, il existe bien d’autres pans de marché à conquérir dans la chaîne de valeur, indique Clarisse Ramakers, citant les capteurs et les applications en tout genre. De l’autre, les grands modèles américains sont, eux, criblés de reproches. «De plus en plus d’entreprises s’orientent vers les small language models, par opposition à un ChatGPT dont on connaît les biais en tout genre», explique-t-elle. Pour Nicolas Van Zeebroeck, il serait vain que l’Europe tente de gagner la partie en reproduisant tardivement la recette américaine, d’autant qu’elle ne dispose pas de la capacité énergétique nécessaire. En revanche, elle a tout intérêt à miser sur la différenciation. Elle devrait ainsi investir le terrain d’une IA plus en phase avec des valeurs telles que l’environnement ou les droits fondamentaux, dont se soucient bien peu les géants actuels de la tech. «Derrière les ChatGPT et autres, il n’y a aucune limite à la puissance de calculs et aux volumes de données. C’est une vision très spéciale du monde.»

A moins de parier sur un improbable basculement de sa culture de l’investissement et de l’innovation, l’Europe devra composer avec ses nombreuses limites. Pour Nicolas Van Zeebroeck, il n’existe qu’une seule voie menant à la possible création d’un géant numérique. «C’est la constitution de ce que plusieurs économistes de la concurrence appellent l’EuroStack: peut-on construire une lasagne complète de cet écosystème en version européenne? Je crois très peu à la perspective de créer un Airbus du numérique ou de l’IA. En revanche, fédérer un ensemble d’acteurs de taille moyenne pour qu’ils fournissent une offre intégrée en version européenne, ça c’est envisageable. Si l’on parvenait, par exemple, à additionner tous les supercalculateurs actuellement disséminés en Europe, on obtiendrait une puissance de calcul significative. Bien sûr, ce sera un patchwork, et non un bloc monolithique comme le modèle américain. Mais à mon sens, c’est ainsi que l’Europe peut la jouer plus finement

L’EuroStack nécessiterait non seulement de transcender les logiques nationales, incitant pour l’heure les Etats à privilégier leurs champions locaux, mais aussi une série d’incitants financiers, tels que des subsides ou des engagements au travers de grands marchés publics. «L’Europe utilise très peu ce levier public, alors que les Etats-Unis et la Chine ne s’en privent pas», conclut Nicolas Van Zeebroeck. Vu la fragmentation du marché européen et la logique de repli que diffusent les partis populistes, le chemin semble parsemé d’embûches. Mais peut-être pas impossible. Dans une Europe percluse de prudence et de doutes, une tentative vaudra toujours mieux qu’un statu quo potentiellement fatal à sa prospérité.

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