Bertrand Candelon

Les taux d’intérêt et les équilibres macroéconomiques (chronique)

Bertrand Candelon Professeur de finance à l'UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance.

La hausse des taux d’intérêt au cours des deux dernières années a créé une nouvelle normalité à laquelle nous devons nous habituer.

Les taux d’intérêt sont l’une des variables les plus importantes en économie, influençant la plupart des décisions prises par les agents économiques. D’abord, considérons les taux d’intérêt comme la rémunération de l’épargne. Lorsqu’un ménage ou une entreprise place ses économies, il reçoit une rémunération qui compense le report de sa consommation dans le futur. Puisque les agents ont une préférence pour la consommation présente, les taux d’intérêt sont théoriquement toujours positifs. Lorsqu’ils sont nuls (comme cela fut le cas pendant dix ans après la crise financière de 2008), les agents n’ont aucune incitation à faire croître leur épargne et préfèrent augmenter leur consommation immédiate ou leur liquidité financière. Il n’y a donc aucun effet à attendre d’une baisse supplémentaire: on parle alors de taux plancher.

De plus, la durée du placement influe sur la rémunération. Les taux d’intérêt à dix ans, généralement associés aux emprunts publics, doivent être supérieurs à ceux dont la maturité est plus courte (par exemple, les taux associés aux titres monétaires sur trois mois). La courbe des taux, qui relie les différents taux d’intérêt en fonction de leur maturité, est donc théoriquement croissante. Cependant, il arrive qu’elle soit décroissante à certaines périodes, ce qu’on appelle l’inversion de la courbe des taux. La littérature spécialisée montre que ces périodes sont souvent annonciatrices de récessions économiques.

En outre, les taux d’intérêt peuvent être considérés comme le coût d’un crédit. Les agents qui souhaitent anticiper leur consommation sans disposer des liquidités nécessaires peuvent se tourner vers leur intermédiaire financier pour obtenir une avance monétaire, moyennant le paiement d’une prime. Pour un même horizon, les taux d’intérêt associés au crédit sont plus élevés que ceux de l’épargne. Cette différence correspond à la prime que les intermédiaires financiers s’octroient pour cette avance.

Enfin, les taux d’intérêt sont un instrument privilégié de politique économique utilisé par les banques centrales. En période de forte inflation, elles réduisent la demande en augmentant les conditions de financement à court terme. Cela stimule l’épargne et réduit le crédit, entraînant une contraction de la consommation, comme nous l’observons depuis deux ans. Cependant, l’augmentation des taux à court terme n’est pas sans conséquence. Elle peut tout d’abord inverser la courbe des taux, favorisant l’épargne à court terme et le crédit à long terme, ce qui peut nuire à la croissance économique future. De même, elle accroît le coût de financement de la dette publique. Par exemple, le taux d’intérêt à dix ans en Belgique (sans tenir compte de l’inflation) est passé de 0,31% en 2020 à plus de 3% en 2024. La politique budgétaire doit donc être coordonnée à la politique monétaire, suivre l’évolution des taux et se contracter lorsque ceux-ci augmentent, faute de quoi la dette publique devient insoutenable.

En somme, la hausse des taux d’intérêt au cours des deux dernières années a durablement modifié les équilibres macroéconomiques, créant une nouvelle normalité à laquelle nous devons nous habituer.

Bertrand Candelon est professeur de finance à l’UCLouvain et directeur de la recherche – Louvain Finance.

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