Contrefaçon Chine
Si la Belgique ne sanctionne pas les acheteurs de contrefaçon, ceux-ci peuvent tout de même être sanctionnés. ©  Ezra Acayan/Getty Images

Sur TikTok, la guerre commerciale booste la contrefaçon chinoise de produits de luxe: pas sans risque pour les acheteurs belges

Sacs, pochettes et autres lunettes de soleil de luxe à la griffe prestigieuse seraient-ils en réalité fabriqués en Chine? C’est en tout cas ce que prétendent certains créateurs de contenu chinois sur TikTok. Une accusation qui «ne tient pas la route», selon les spécialistes, qui évoquent plutôt des contrefaçons. Gare à ne pas se laisser tenter, car si la Belgique ne sanctionne pas les acheteurs d’articles contrefaits, ces derniers peuvent tout de même en payer le prix.

Depuis plusieurs semaines, qui coïncident avec l’escalade dans la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, des vidéos virales partagées sur TikTok accusent de prestigieuses marques de produire secrètement en Chine. Des personnes se présentant comme des ouvriers ou des sous-traitants de marques de luxe y apparaissent pour faire la promotion de ces produits «en direct de l’usine». Ces créateurs de contenu prétendent que les autorités de Pékin ont levé des clauses de confidentialité liant les sous-traitants locaux, en guise de réplique à la forte hausse des droits de douane imposés à la Chine par le président américain Donald Trump. Mais derrière ces pseudo-révélations se dessine une opération bien cousue pour écouler de la contrefaçon, en profitant de la confusion autour des taxes douanières.

En effet, cette prétendue décision chinoise, dont l’AFP n’a retrouvé aucune trace, autoriseraient, selon les vendeurs, à révéler les coulisses cachées de la fabrication de produits de luxe en Chine. Et à inciter les consommateurs occidentaux à se fournir directement sur des sites les vendant. Ces sacs et autres accessoires de luxe n’arborent aucun logo, mais d’après les influenceurs, seraient de même qualité. L’argument massue: un prix alléchant, presque dérisoire compte tenu des griffes visées, telles que Chanel, Gucci, ou encore Louis Vuitton. L’une de ces vidéos prend l’exemple du sac Birkin d’Hermès. Dépendant du modèle, celui-ci peut se vendre 38.000 dollars (environ 33.500 euros), mais sur TikTok, il passe à 1.400 dollars (à peine plus de 1.200 euros). Une aubaine… si seulement c’était vrai.

Ce serait un suicide. S’il y avait une preuve que les grandes maisons fabriquent en Chine -et il n’y en a aucune- ce serait fini, les marques ne sont pas folles.

Jacques Carles

Semer le doute pour vendre… de la contrefaçon

Contactées par l’Agence France-Presse, les marques de luxe françaises visées par ces vidéos -dont la production est localisée en Europe ou aux Etats-Unis, selon leurs sites Internet- n’ont pas souhaité répondre aux affirmations de ces créateurs de contenu. Mais pour Jacques Carles, président-fondateur du Centre du luxe et de la création, l’idée que les grandes maisons fabriqueraient en Chine est «absurde»: «Ce serait un suicide. S’il y avait une preuve -et il n’y en a aucune- ce serait fini, les marques ne sont pas folles.»

L’accusation d’une production secrète en Chine de produits de luxe officiellement fabriqués en Europe «ne tient pas la route!», estime, lui aussi, Michel Phan, professeur en marketing du luxe. Tout comme l’argument, brandi sur TikTok, d’une réplique chinoise aux mesures douanières américaines. «Cela n’a pas de sens, selon le spécialiste, car s’en prendre aux marques européennes ne pénalise en rien le gouvernement américain».

Les internautes diffusant ces contenus cherchent en réalité à «ouvrir une brèche en créant le doute» pour «écouler leurs stocks» de produits illégaux, poursuit Jacques Carles, décrivant «une campagne virale, démultipliée sur les réseaux» et «difficile à contrer». Les marques, elles, restent silencieuses et «traitent ça par le mépris». Une erreur selon lui.

Acheteurs, gare aux sanctions

Il peut être tentant de succomber à l’appel du luxe à bas prix, mais attention, car l’achat de contrefaçon n’est pas sans risque. Contrairement à la France, qui considère l’achat de contrefaçons comme un délit pénal, la Belgique ne sanctionne pas financièrement les acheteurs. «Selon le Code du droit économique, seule la vente est interdite, précise Etienne Mignolet, porte-parole du SPF Economie. Le commerce de contrefaçon est puni de sanctions de niveau 6, c’est-à-dire à maximum 100.000 euros d’amendes à multiplier par décimes additionnels, soit par 8, et à cinq ans de prison.»

S’il s’avère que l’article est effectivement une contrefaçon, la marque peut se retourner contre l’acheteur et lui réclamer une certaine somme.

Florence Angelici

Pour autant, cela ne signifie pas que l’acheteur belge ne s’expose à un risque de sanction. La douane effectue régulièrement des contrôles de marchandises soupçonnées d’être de la contrefaçon, lesquelles doivent alors être détruites. «Une association de représentants de marques se rend toutes les semaines dans les entrepôts de la douane pour vérifier l’authenticité d’un article soupçonné d’être contrefait», indique Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances. «S’il s’avère que l’article est effectivement une contrefaçon, la marque peut se retourner contre l’acheteur et lui réclamer une certaine somme couvrant les frais de son représentant et de destruction de la marchandise.»

Cependant, le SPF Finances est confronté à des titulaires de droits (les marques) qui n’agissent parfois pas contre les fraudes, soit parce qu’elles n’y trouvent pas d’intérêt, soit parce qu’elles n’ont pas le budget pour le stockage ou la destruction. Ou bien qui n’agissent qu’à partir d’une quantité minimale d’objets saisis. «Si aucune mesure n’est prise et que les marchandises doivent être libérées, l’AGD&A (Administration générale des Douanes et Accises) tentera toujours en premier lieu d’empêcher ces marchandises d’être mises sur le marché par le biais d’autres législations», indique le SPF Finances dans son dernier rapport portant sur les saisies de contrefaçons.

93,3% des contrefaçons saisies sont chinoises

En 2024, 667.200 articles contrefaits ont été saisis par les douanes belges, selon le rapport du SPF Finances. C’est près de 300.000 objets de moins qu’en 2023 (956.524) et près de 200.000 de moins qu’en 2022 (842.783). Sur la première marche des articles saisis les plus contrefaits se trouvent les cigarettes par paquets de vingt (219.000 en 2024), suivies par les jouets (96.160) et les vêtements et accessoires (83.710). Au total, la valeur économique de ces saisies est estimée à 49.116.244 euros. C’est, une fois de plus, moins qu’en 2023 (120.880.871 euros) et 2022 (89.113.009 euros).

93,3% des contrefaçons saisies par les douanes belges proviennent de Chine. «Cela représente une nouvelle augmentation de 8% pour 2024 par rapport à 2023», note le SPF Finances, qui précise que «ces chiffres ne reflètent pas les quantités réelles de contrefaçons qui entrent en Belgique».

Selon l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), la contrefaçon coûte 16 milliards d’euros par an à l’industrie européenne.

(Avec AFP)

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