Rachat de Credit Suisse par UBS : « L’amplitude du choc dépendra de ce que décide la Banque centrale » (analyse)
Le rachat de la banque Credit Suisse par UBS permet d’éviter une propagation de la crise bancaire au reste de l’Europe. Pour le moment. Les marchés boursiers s’affolent, et d’autres banques pourraient subir le même sort que celui réservé à Credit Suisse. Analyse en quatre questions avec Bertrand Candelon (UCLouvain), spécialiste des situations de crise, et Bernard Kepenne, Chief Economist chez CBC Banque.
Opération de sauvetage réussie pour le Credit Suisse, dont la faillite a été évitée de justesse avec son rachat ce dimanche par UBS pour 3 milliards de franc suisses. Pour autant, la fusion des deux banques est loin de rassurer les Bourses européennes ce lundi. « On évite une crise systémique qui aurait eu un impact sur l’ensemble des marchés financiers », glisse Bernard Kepenne, Chief Economist chez CBC Banque depuis 2010. « On a retiré une fameuse épine du pied du marché financier européen pour éviter sa déstabilisation. La volonté est de rassurer tout le monde mais les tensions elles sont bien là, et le rachat est loin de répondre à toutes les questions qu’on se pose« . Bertrand Candelon est professeur en économie à l’UCLouvain. Il connait bien ce genre de situation de crise. « Le rachat du Credit Suisse par UBS tient de ce qu’on appelle la concentration bancaire. On constate ce phénomène de rachats de petites banques par des plus gros acteurs lors de chaque crise financière ». Pour nos deux spécialistes, le rachat était inévitable. « C’était manifestement la seule solution pour éviter un embrasement des marchés, mais les dégâts en terme d’emplois et pour les investisseurs seront énormes », note Bernard Kepenne. « La banque nationale suisse a d’abord accordé un prêt de 50 milliards de francs suisses (50,7 milliards d’euros, NDLR) à Credit Suisse mais ça n’a pas suffi à empêcher le naufrage », complète Bertrand Candelon.
Comment Credit Suisse s’est-elle retrouvée au bord de la faillite ?
Pour comprendre le naufrage de Credit Suisse, il faut d’abord s’intéresser à la nature de ses activités. Or la banque était particulièrement dépendante des investisseurs étrangers. D’après Bertrand Candelon, cela explique l’inquiétude des marchés. « C’est une banque systémique, qui dépend pour une grande partie des investisseurs étrangers. Un certain nombre de banques européennes dont BNP et Fortis y détiennent des actifs ». De l’avis de Bernard Kepenne, ce sont également les investissements de Credit Suisse qui ont causé sa perte. « Le dossier faisait couler beaucoup d’encre depuis plusieurs années. La banque tablait justement sur une réforme de son portefeuille d’investissement. Avec le rachat, UBS devrait céder une partie de cette activité voire l’arrêter complètement. Dans le deuxième cas, cela signifie purement et simplement des pertes d’emploi ». Credit Suisse a déjà annoncé que des milliers d’emplois sont menacés. « Ce n’est pas le seul danger, confesse l’économiste de CBC. Des banques européennes ont des encours, des obligations et des produits structurés dont l’émetteur est Credit Suisse. Ces banques pourraient être impactées dans la tenue de leur bilan par le rachat. C’est ce qu’on appelle l’effet de contagion ou boule de neige ».
Le rachat va-t-il provoquer un effet de contagion ?
Si les marchés boursiers s’affolent, c’est parce que le monde bancaire craint d’être impacté par la faillite de Credit Suisse. Tout le monde veut éviter de se retrouver dans la situation de 2008. Mais selon Bertrand Candelon, on ne devrait pas en arriver là. « Il n’y aura pas d’effet domino, aussi appelé effet de contagion, à court terme. Ce qu’on peut observer pour le moment, c’est une réaction du marché au rachat effectué par UBS ». Bernard Kepenne rejoint l’économiste. « On a mis en place deux pare-feu pour éviter le phénomène de contagion. Un acteur bancaire qui est UBS rachète le Credit Suisse et à côté de ça, on a une garantie de la banque centrale qui peut fournir des liquidités si nécessaire ».
Pourquoi la banque Credit Suisse n’a pas été rachetée par l’Etat ?
Afin de rassurer les marchés et éviter la faillite de Credit Suisse, le choix a été fait de laisser la banque à un acteur bancaire plus important, UBS. Mais une autre piste a été envisagée. Celle d’une nationalisation de Credit Suisse, et donc d’une reprise en main par l’Etat suisse. Pourquoi avoir choisi la fusion plutôt que la nationalisation ? « Je vois deux inconvénients majeurs à la nationalisation bancaire, analyse Bertrand Candelon. Un : le coût d’une telle opération est lourd pour les finances publiques, encore plus dans le contexte budgétaire actuel. Deux : le rachat d’une banque par un Etat peut donner un mauvais signal au secteur. En gros c’est dire ‘prenez tous les risques, j’assure vos arrières si cela venait à mal tourner’ ».
D’autres banques vivront-elles le même sort que Credit Suisse prochainement ?
La dégringolade de Credit Suisse prend place dans un contexte plus large de méfiance à l’égard des banques. Après la faillite de la Silicon Valley Bank aux Etats-Unis, voilà qu’une banque européenne envoie un mauvais signal au secteur. « La situation du système bancaire s’annonce difficile, prédit Bertrand Candelon. Le contexte actuel d’augmentation des taux n’est pas favorable au secteur. Cette situation de Credit Suisse est amenée à se répéter car d’autres banques ont pris des risques pendant la période faste où les taux étaient négatifs ». Le professeur en économie tient tout de même à rappeler que le système européen est plus sécurisé que le système américain. « En Europe, toutes les banques ont signé les Accords de Bâle, qui limitent l’exposition au risque. C’est un filet de sécurité qui n’existe pas aux Etats-Unis ».
Malgré tout, note le spécialiste des situations de crise, prudence est plus que jamais mère de sûreté pour les banques européennes. « J’aime comparer la protection d’une banque à celle d’une maison. Vous avez beau mettre un système d’alarme et plusieurs verrous, le cambrioleur s’introduira dans la maison s’il veut s’y introduire ». Avant de reprendre, plus grave : « Au fond, tout dépendra de ce que va décider la Banque Centrale Européenne (BCE). Il y a deux options : l’inflation ou la stabilité financière. L’amplitude du choc dépendra de l’arbitrage de la BCE ».
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