Le lobby pharmaceutique est vent debout contre la directive européenne qui impose aux fabricants de médicaments de payer pour le traitement des eaux usées. © imageBROKER/Dzmitri Mikhaltsow

Qui pour financer le traitement des eaux usées en Europe? Pas le lobby pharmaceutique, qui attaque la Commission en justice

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Medecines for Europe estime que la directive en vigueur est discriminatoire et agite le spectre d’augmentation de prix et de pénuries de médicaments.

A peine entrée en vigueur, la nouvelle directive européenne sur le traitement des eaux usées (dites «eaux urbaines résiduaires») est attaquée frontalement en justice par ceux qui sont censés en (grande) partie financer ce traitement. Et pour cause, selon le principe du «pollueur-payeur», ce sont les industries pharmaceutiques et cosmétiques, en tant que sources de micropolluants selon diverses études connues de longue date, qui doivent désormais financer au moins 80% des coûts du traitement.

Une obligation qui peut coûter très cher, puisque non seulement la directive s’applique à présent aux communes à partir d’un millier d’habitants, mais qu’en plus, de nouvelles normes —en termes de circularité pour réutiliser l’eau traitée ou gérer l’eau de pluie— vont augmenter sensiblement le coût des installations.

«Nos entreprises sont prêtes à payer leur juste part. Cependant, la décision arbitraire de ne faire porter le coût de l’élimination des micropolluants qu’aux seules industries pharmaceutique et cosmétique va à l’encontre des principes fondamentaux des traités de l’UE», s’était déjà émue à l’automne dernier l’EFPIA, qui regroupe les plus grands laboratoires pharmaceutiques du continent, assurant pour sa part que l’industrie pharmaceutique ne serait responsable que de 10% de la pollution incriminée.

«De plus, les estimations de coûts de la Commission sont largement sous-évaluées», avait souligné l’EFPIA, citant des coûts de mise en œuvre «allant de trois à plus de neuf fois ceux avancés par la Commission, soit entre 3,6 et 11,3 milliards d’euros par an

«Charge financière injuste»

Mais rien n’y a fait, malgré la réticence de certains Etats membres et une partie de l’hémicycle européen: la directive est d’application, ce qui a conduit un autre lobby pharmaceutique, celui de Medicines for Europe représentant l’industrie des médicaments génériques, à annoncer que certains de ses membres (Accord, Adamed, Fresenius, Insud, Polpharma, Sandoz, STADA, Teva, Viatris et Zentiva) attaquent en justice la Commission devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) «contre l’introduction d’un régime de responsabilité élargie des producteurs (REP) dans la directive sur le traitement des eaux usées urbaines. Cette action en justice vise à écarter toute charge financière injuste, discriminatoire et disproportionnée et, par conséquent, à préserver l’accès aux médicaments vitaux.»

Alors que l’Union cherche à réduire le risque de pénurie médicamenteuse —un mal chronique qui se répète d’année en année sur le Vieux continent— Medicines For Europe joue sur cette corde sensible pour faire entendre sa voix.

«L’accès aux médicaments de millions de patients est menacé à travers l’UE parce que le régime REP touche de manière disproportionnée les fabricants de médicaments génériques. Ce système leur impose de financer la majeure partie des frais liés au traitement des résidus dans les eaux usées urbaines alors que ceux-ci proviennent non seulement de l’industrie pharmaceutique et cosmétique, mais aussi d’autres sources industrielles et agricoles», fait savoir Medicines For Europe par voie de communiqué, rappelant que les médicaments génériques représentent «70% des médicaments délivrés et 90 % des médicaments de première nécessité, mais ils ne représentent que 19% de la valeur pharmaceutique»…

Bref, prévient Medicines For Europe, il faut s’attendre à de sacrées hausses de prix si la directive est maintenue, jusqu’à 875% pour la metformine, un médicament utilisé par près de 50% des patients diabétiques, ou encore 368% pour l’amoxicilline, un antibiotique de première ligne. Sans parler du lévétiracétam, un médicament largement utilisé contre l’épilepsie, jusqu’à 321% de hausse. Des promesses d’augmentation de prix que Medicines For Europe dit avoir dûment calculées, mais qui résonnent, dans le contexte actuel européen où les promesses du pacte vert sont en train de voler en éclat, comme un sérieux avertissement si l’action en justice n’aboutissait pas.

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