
Pourquoi Trump veut faire chuter le dollar: «Il détient un plan plus profond qu’on ne l’imagine»
La dépréciation du dollar supposément recherchée par Trump peut paraître paradoxale, mais elle s’inscrit dans un plan qui présente plusieurs avantages pour les Etats-Unis. En parallèle, la volonté américaine d’un réalignement des parités monétaires mêlée à un possible contrôle des flux des capitaux pourrait sérieusement secouer le commerce international. Conséquence directe: des prix européens plus chers.
Un dollar plus faible, pour une Amérique plus forte? L’assertion semble en apparence contradictoire, mais elle pourrait bien faire partie des plans monétaires de Donald Trump.
Depuis une quarantaine d’années déjà, le républicain ne cesse de répéter que le reste du monde tire profit des Etats-Unis (ce n’est pas totalement vrai), et, en conséquence, que la production industrielle quitte l’Amérique pour se relocaliser ailleurs (ce n’est pas totalement faux). Depuis son retour au pouvoir, le président américain crie haut et fort sa volonté d’enrayer cette tendance en imposant des droits de douane. Mais l’affaiblissement du dollar pourrait constituer un autre levier puissant pour atteindre ses objectifs.
«Trump a toujours souhaité un dollar extrêmement faible», expose l’économiste Bruno Colmant (ULB et Académie Royale de Belgique). Cette politique présente deux avantages principaux. «D’abord, elle attire davantage d’entreprises aux Etats-Unis, leur permettant d’augmenter leur part d’exportation vers le reste du monde. Ensuite, un dollar faible rend toutes les importations plus coûteuses, un effet similaire à celui des droits de douane.»
Trump et le dollar: Mar-a-Lago 1985, bis repetita?
Dans la même optique, le chef économiste de Trump, Stephen Miran, préconise également un réalignement des parités monétaires, c’est-à-dire une refonte du système monétaire mondial. «Ce processus va probablement commencer en 2025, prédit Bruno Colmant, et il a comme unique but de faire baisser le dollar. Avec, comme effets possibles, un dollar plus abondant dans le reste du monde, et une transformation de la dette américaine détenue à l’étranger en dette perpétuelle.»
L’idée d’un grand accord pour réaligner les parités des monnaies semble aujourd’hui assez anachronique.
Nicolas Véron
Pour l’économiste français Nicolas Véron, cofondateur du think tank européen Bruegel à Bruxelles, et chercheur au Peterson Institute for International Economics (PIIE) à Washington, l’idée d’un nouveau grand accord pour réaligner les parités des monnaies –tel que ce fut le cas en 1985 à Mar-a-Lago–, semble aujourd’hui assez anachronique. «Les conditions de l’époque, avec une Chine moins puissante qu’aujourd’hui, ne sont pas comparables aux conditions actuelles», fait-il remarquer.
Selon l’économiste, Trump dit ainsi deux choses qui semblent en apparence contradictoires. «D’une part, il souhaite garder le dollar au centre du système monétaire international, au point de punir ceux qui chercheraient à s’en affranchir, comme les Brics. D’autre part, il souhaite l’abaisser, de façon à ce que les Américains importent moins, exportent plus, et résorbent ainsi leur déficit commercial.»
Le dollar est dévaluationniste par nature, et Trump le sait
Le dollar est une monnaie qui, structurellement, doit être dévaluationniste, rappelle toutefois Bruno Colmant. A cet égard, le paradoxe de Triffin (un économiste belge), stipule que la monnaie de réserve du monde, la plus abondante, –le dollar donc– ne puisse pas être forte. «Une monnaie très transactionnelle doit être faible, insiste Bruno Colmant. Trump veut accentuer la domination du dollar en le rendant encore plus transactionnel, et donc plus faible», déduit-il.
D’autant plus que la force d’une monnaie dépend aussi de la crédibilité du gouvernement du pays émetteur. «Et la façon déroutante dont Trump gère le pouvoir actuellement peut provoquer une crise de confiance, souligne Aurore Burietz-Barakat, professeure de finance à l’IESEG School of Management. Imposer des taxes douanières referme l’économie, ce qui freine aussi la croissance et favorise donc potentiellement une dépréciation du dollar», énonce-t-elle.
Une monnaie très transactionnelle doit être faible. Trump veut accentuer la domination du dollar en le rendant encore plus transactionnel, et donc plus faible.
Bruno Colmant
Tout serait donc lié… Mais la dévaluation de la valeur refuge «n’est jamais une bonne nouvelle, selon la spécialiste, car elle induit une hausse du risque au niveau international». Selon la pure logique financière, une dépréciation du dollar «rendra les produits européens plus chers.»
Face à cette volonté trumpienne, le risque que l’euro se renforce de façon excessive est bien réel. Un euro trop fort diminuerait de facto la capacité d’exportation européenne. «Le seul avantage réside dans le fait que le pétrole, acheté en dollar, coûte moins cher. Mais, globalement, le plan de Trump vise à une aspiration des richesses du reste du monde vers les Etats-Unis», relève Bruno Colmant.
La Bourse dévisse: une partie du plan?
En marge de cette agitation monétaire et douanière, Wall Street fait grise mine. Une baisse des actions qui n’inquiète pas Trump sur le court terme, ce qui, en soi, est une mauvaise surprise pour les marchés. Car la volonté initiale des autorités d’éviter une baisse du prix des actions –le «Trump Put» promis– ne se vérifie pas. Trump a même opposé un démenti à cette croyance, affirmant qu’il ne s’en préoccupait pas, et n’agissant pas de manière proactive pour y remédier.
Ainsi, les marchés ont révisé à la baisse leurs anticipations de croissance pour les Etats-Unis, et à la hausse pour l’Europe, notamment en raison du changement de politique budgétaire en Allemagne. «Le fait que l’Europe dispose de perspectives de croissance supérieures reste une bonne nouvelle, et le changement du cours dollar-euro ne fait que traduire ce mécanisme de marchés», avance Nicolas Véron.
Taxer les flux de capitaux importés?
L’autre idée émergente de taxer les flux de capitaux importés aux Etats-Unis pour limiter la capacité de hausse du dollar –émise par Stephen Miran, tête pensante économique de Trump– «reviendrait à imposer une forme de contrôle de capitaux, analyse Nicolas Véron. Ce qui est un anathème par rapport aux actions économiques des Etats-Unis sur les 40 dernières années.»
Le marché, pour l’instant, ne semble pas prendre cette perspective au sérieux, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’aura pas lieu. «Il s’agirait d’un bouleversement très radical pour le système monétaire international, non-conforme aux intérêts des Etats-Unis, et de nature à très fortement entamer la confiance qu’ont les investisseurs dans le dollar. Cette hypothèse soulève donc beaucoup de questions», explique le chercheur du PIIE.
Le dollar peut-il perdre sa position centrale avec Trump au pouvoir?
Face à ce risque d’affaiblissement, le dollar pourrait-il perdre sa place centrale dans le système monétaire international? Aujourd’hui, il est encore trop tôt pour l’affirmer, «car depuis 80 ans, cette centralité est profondément ancrée, renforcée un mécanisme de confiance très élevé dans la monnaie américaine, même si elle a désormais tendance à s’éroder», note Nicolas Véron.
La hausse des taxes douanières menace de limiter le commerce international, les valeurs américaines en subissent déjà les répercussions, et donc le dollar. «Mais on est encore loin de voir un dollar en péril», assure Aurore Burietz-Barakat.
On est encore loin de voir un dollar en péril.
Aurore Burietz-Barakat
Le plan final de Trump (s’il en a un) semble difficilement déchiffrable pour les experts. «Ce qui semble aujourd’hui chaotique pourrait s’avérer bénéfique pour les Etats-Unis sur le long terme, estime Bruno Colmant. Dans le plan de route de Trump, les droits de douane ne sont que la première étape d’un renversement de table plus violent. Avec un dollar plus faible, les taxes douanières ne seront d’ailleurs plus nécessaires.»
Selon l’économiste, la vision européenne pousse (trop) à vouloir absolument replacer Trump dans les normes du Vieux Continent. «Or, cela ne fait aucun doute, Trump est entouré des meilleurs financiers américains, avec un plan plus profond et réfléchi qu’on ne l’imagine», prévient-il.
En cas de choc monétaire, comme ce fut le cas en 1971, toutes les monnaies tenteront alors de se dévaluer les unes par rapport aux autres, avec, comme conséquence, «une inflation généralisée.» Attachez vos ceintures…
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