Pourquoi la Russie est devenue un paradis fiscal
Les ministres européens des finances ont mis à jour la liste des paradis fiscaux de l’UE. Parmi les pays entrants figure la Russie. Une énième conséquence de la guerre en Ukraine, dont les répercussions ne sont pas bénéfiques pour la Fédération russe et les autres pays faisant leur entrée.
L’Union européenne semble vouloir mettre ses relations à jour avec les autres pays, notamment sur le volet fiscal. Résultat : certains pays sortent de la liste des paradis fiscaux, d’autres font leur entrée.
Parmi les pays sortants de la zone grise, on retrouve la Barbade, la Jamaïque, la Macédoine du Nord et l’Uruguay. D’autres pays, quant à eux, entrent dans cette zone floue, comme l’Albanie, le Curaçao et Aruba.
Sur la liste noire, les Iles Vierges britanniques, le Costa Rica, les Iles Marshall mais aussi la Russie s’ajoutent aux douze entités déjà présentes (la liste complète est à découvrir à la fin de l’article). Si l’ajout de ce dernier pays parmi la liste n’est pas une surprise, les conséquences pourraient être néfastes, surtout dans un contexte de guerre en Ukraine.
La Russie, pourquoi ?
Pour justifier sa décision, le Conseil de l’UE indique dans son communiqué qu’il a « examiné la législation russe adoptée en 2022 d’après les critères de bonne gouvernance fiscale (de l’UE) et constaté que la Russie n’avait pas rempli son engagement de remédier aux aspects néfastes d’un régime spécial pour les sociétés holding internationales. En outre, le dialogue avec la Russie sur les questions liées à la fiscalité s’est interrompu à la suite de l’agression russe contre l’Ukraine»
Concrètement, si la Russie se retrouve sur cette liste très select, c’est notamment et surtout parce que depuis la guerre en Ukraine, le Kremlin ne communique plus aucune information concernant sa fiscalité. En effet, parmi les moyens de déterminer si un pays est un paradis fiscal ou non, un des critères est l’obligation de transmission des noms des déposants, des investisseurs, des possesseurs de comptes et des UBO (pour Ultimate Beneficial Owners ndlr.), c’est-à-dire les bénéficiaires effectifs des sociétés, des ASBL, des fondations et des associations.
Mais force est de constater que la Russie ne remplit plus du tout cette condition. « Je ne sais pas si c’est une volonté politique des Russes de ne pas transmettre les informations mais n’est-ce pas une sanction envers l’UE de dire: ‘On est prêt à accueillir toutes les personnes qui veulent frauder’ ? Je pense que c’est le cas parce qu’en termes de taxation, la Russie n’était quand même pas un havre de paix », explique Bertrand Candelon, professeur d’économie à l’UCLouvain. Avant d’ajouter : « Il y aussi la question des investisseurs européens et américains qui ont malgré tout investi en Russie. Je ne suis pas sûr que les Russes soient à l’aise à l’idée de donner les noms. »
Comme à son habitude, la Russie semble donc avoir opté pour la discrétion, mais pas sans conséquence.
Lire aussi | Évasion fiscale : un scandale belge (carte blanche)
Quelles conséquences ?
L’entrée dans cette liste est tout un symbole et particulièrement dans le cas russe, qui est déjà sous le coup de fortes sanctions économiques. Mais certains députés européens souhaitent cependant des répercussions plus concrètes. « Si les ministres des Finances de l’UE voulaient vraiment lutter contre les paradis fiscaux, ils concevraient un ensemble de sanctions douloureuses pour accompagner l’inscription sur la liste« , a réagi l’eurodéputé allemand PPE Markus Ferber dans un communiqué.
Si l’ajout d’un pays sur la liste ne provoque pas de sanction économique directe, ce n’est pas non plus sans conséquence, comme le souligne Bertrand Candelon. « Pour les investissements directs étrangers, ça va être très problématique. Ça met le pays au bord du reste du monde. Parce que si mon pays est considéré comme un paradis fiscal, tous les investissements directs étrangers seront considérés comme suspicieux. »
Et sans investissement, il est difficile de développer son pays, encore moins dans un contexte de guerre. « C’est un très mauvais signal pour ces pays, et donc pour la Russie aussi, parce que ça veut dire qu’ils ne pourront plus attirer autant les capitaux que ce qu’ils pouvaient espérer avant. »
Lire aussi | Faut-il « abolir les milliardaires »?
A noter aussi que l’annonce d’un impôt minimum à 15% sur les entreprises multinationales, dont le chiffre d’affaires global est supérieur à 750 millions d’euros, risque cependant de secouer le cocotier des pays figurants sur la liste. Signée par près de 140 pays en octobre 2021 et normalement prévue pour 2024 pour les 27 membres de l’Union européenne, l’application de cette directive européenne va très certainement faire office de coup de pression, surtout dans le cas où cette directive sera d’application dans un cadre mondial. « Cette mesure ne peut s’appliquer que s’il y a une coordination internationale, donc mettre ces pays comme paradis fiscaux, c’est leur mettre une menace pour qu’ils s’adaptent », conclut Bertrand Candelon.
Si le message est donc globalement symbolique, il est malgré tout très clair pour les quatre pays dont la Russie : rentrez dans les rangs et tout se passera bien.
La liste des pays figurant sur la liste noire le 14 février 2023 :
Les Samoa américaines
Anguilla
Les Bahamas
Les Iles Vierges Britanniques
Le Costa Rica
Les Îles Fidji
Guam
Les Îles Marshall
Les Palaos
Le Panama
La Russie
Le Samoa
Trinité-et-Tobago
Les Îles Turques-et-Caïques
Les Îles Vierges américaines
Le Vanuatu
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici