Boycotter le Coca-Cola et d’autres produits américains: une fausse bonne idée? © Getty Images

Pourquoi le boycott des produits américains peut s’avérer contre-productif: «Les effets indirects dominent les effets directs»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Les appels au boycott des produits américains se multiplient sur les réseaux sociaux. Un mouvement plus symbolique qu’effectif, estime l’économiste Bertrand Candelon.

«Quel est le meilleur soda pour remplacer Coca-Cola et Pepsi?». La requête de Yoann sur le groupe Facebook «BOYCOTT USA», qui rassemble aujourd’hui plus de 20.000 abonnés, a suscité un véritable engouement, chaque internaute y allant de son conseil avisé. A l’instar de ce jeune Parisien, nombreux sont les Européens à s’interroger sur leurs habitudes de consommation depuis la réelection de Donald Trump à la tête des Etats-Unis. La guerre commerciale initiée par le républicain a d’ailleurs donné lieu à une multiplication des appels au boycott des produits américains, des denrées alimentaires aux applications mobiles en passant par les services bancaires. A tort ou à raison? Réponse avec l’économiste Bertrand Candelon, professeur de finance à l’UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance. 

Le boycott des produits américains peut-il réellement avoir un impact sur la santé économique du pays?

Tout dépend du type de biens. Si on refuse d’importer du blé américain, qui est un bien brut, il peut y avoir un impact, bien que limité. Mais le système de fabrication des biens reste généralement assez complexe. Une bouteille de Coca, par exemple, est produite de manière globalisée, et passe souvent par une entreprise implantée en Europe. Donc boycotter Coca-Cola risque d’avoir un impact ailleurs, pas uniquement sur l’économie américaine. Il est très rare qu’un bien soit fabriqué uniquement aux Etats-Unis: souvent, il contient des composantes européennes ou asiatiques, ou il est assemblé dans une usine française, par exemple. Les effets indirects du boycott domineront alors les effets directs escomptés sur l’économie américaine. Ce qui n’enlève rien à sa valeur symbolique.

Les sanctions économiques à l’égard des biens bruts américains peuvent-elles alors s’avérer plus efficaces?

Oui, des sanctions coordonnées à l’échelle européenne peuvent avoir un impact plus important. Mais attention aux effets pervers. Quand l’Europe a décidé d’imposer un embargo sur le pétrole russe suite au conflit ukrainien, Moscou a tourné ses exportations d’or noir vers les pays du Golfe, qui ont fini par nous le revendre… à un prix plus élevé. Et c’est finalement le consommateur qui a vu sa facture augmenter. Les Etats-Unis pourraient faire pareil avec leurs biens bruts, en passant par un pays tiers avant de faire du ré-export vers l’Europe. Puis il faut rappeler que les pouvoirs économiques de l’Europe restent assez limités aujourd’hui (NDLR: le PIB de l’UE représente à peine un cinquième du PIB mondial). Les marchés dominants se trouvent en Asie, et les Etats-Unis l’ont bien compris. Donc, encore une fois, les effets d’un boycott européen (même coordonné) seraient plus symboliques qu’effectifs.

De quelle marge de manœuvre dispose alors le consommateur belge ou européen pour sanctionner l’économie de Trump?

L’alternative, ça peut être de mieux réfléchir à ses investissements. Si l’épargnant belge décide de placer de l’argent, il peut par exemple éviter de collaborer avec BlackRock (NDLR: société multinationale américaine spécialisée dans la gestion d’actifs) et se réorienter vers des sociétés européennes. Avant la réélection de Trump, un tas de capitaux s’envolaient vers les Etats-Unis, dopés par la croissance potentielle qui s’y jouait. Aujourd’hui, le chemin inverse peut s’amorcer. On voit d’ailleurs déjà que le marché des actions baisse aux Etats-Unis, car certains épargnants européens rapatrient leurs capitaux. Ceux-ci sont mobiles, et tant mieux: ils se dirigent vers les marchés où il y a le plus d’anticipation de revenus, et inversement. En outre, le consommateur peut aussi soutenir le commerce local, en optant pour des produits bruts agricoles (œufs, lait) 100% belges, où il est sûr de ne pas retrouver des composantes américaines. Mais se couper complètement des biens américains, ça me paraît très difficile. D’autant qu’il peut y avoir des rétorsions: en réponse à notre boycott, les Américains peuvent aussi décider dès demain de boycotter les produits européens. Et tout le monde y perdra.

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