Pensions : « Ce n’est pas parfait, mais la réforme épouse bien l’évolution de la société belge »
Le gouvernement fédéral est parvenu, après de nombreux kerns infructueux, à trouver un accord dans le dossier de la réforme des pensions. Un accord moins ambitieux que prévu, mais qui comporte des avancées sociétales, selon Bruno Colmant, professeur à l’ULB et l’UCLouvain.
Le gouvernement est parvenu à un accord sur la réforme des pensions. Le Premier ministre a mis en avant la valorisation du travail effectif dans la réforme: « qui travaille effectivement voit sa carrière valorisée par une meilleure pension », a-t-il déclaré.
Voici les principaux points de l’accord :
- Accès à la pension minimum. Le gouvernement fédéral l’avait déjà revalorisée. Pour la première fois en Belgique, son accès est soumis à une condition de travail : 20 ans de carrière effective, à minium 4/5e temps. Des dispositions transitoires seront mises en place pour permettre un temps d’adaptation selon un tableau de dégressivité : aucun travailleur qui a 60+ aujourd’hui ne devra remplir de condition de travail effectif. Le régime des 20 ans s’appliquera pour les gens qui auront 55 ans en 2024. La condition de travail effectif sera allégée pour les travailleurs qui ont connu des périodes d’invalidité. Les journées de congé de maternité, pour allaitement ou encore pour soins palliatifs seront prises en compte.
- Nouveau bonus de pension. Il est introduit pour inciter les travailleurs à ne pas prendre de retraite anticipée. Il est question d’un bonus de 300 à 500 euros nets par année supplémentaire pour les personnes qui continuent à travailler trois ans au maximum après la date de retraite anticipée.
- Réduire les inégalités. L’un des objectifs poursuivis par la Vivaldi était la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes en termes de pensions. Celles-ci sont prises en compte, en veillant à ce que les personnes qui ont travaillé dans le passé à temps partiel -souvent des femmes- pour pouvoir s’occuper de leur(s) enfant(s) voient leurs pensions revalorisées.
D’autres points, comme la pension à temps partiel pour compenser la pénibilité de certains métiers et la carrière de 42 ans pour les personnes qui ont travaillé à partir de 18 ans, ont finalement été mis de côté. Un accord a minima ? Le Vif fait le point en trois questions avec Bruno Colmant, professeur à l’ULB et à l’UCLouvain.
L’accord sur la réforme des pensions est accueilli de manière mitigée, y compris au sein de la majorité. Est-ce que l’accord est suffisamment ambitieux ?
On est en-deçà de l’ambition initiale, mais le sentiment est globalement positif. Cela assure quand même qu’une personne qui a 20 ans de carrière aura droit à la pension minimum, ce qui est une bonne chose. C’est aussi une mesure qui est favorable aux femmes qui se sont arrêtées de travailler, pour des raisons personnelles ou familiales. Cela permet d’assurer une pension minimum aux personnes qui ont des carrières un peu décousues. Socialement, c’est quelque chose de positif.
Cette réforme était ambitieuse au début. Elle a dû être rabotée, notamment sur les carrières complètes à 42 ans. Mais son objectif social d’assurer un bien-être minimum aux personnes plus faibles a été atteint. C’est important, car on peut tout réformer, mais il faut d’abord un cadre idéologique et savoir ce qu’on veut faire. Le but premier de cette réforme était d’assurer un filet de sécurité aux Belges. Est-ce qu’on est loin de l’ambition initiale ? Oui. Mais cela reste favorable.
Le gouvernement insiste sur le fait que l’accord va dans le bon sens par rapport aux inégalités hommes-femmes. Est-ce le cas ?
La disposition prise aujourd’hui est une bonne chose pour les femmes. C’est important car on rentre dans un contexte économique qui est extrêmement difficile. On va se prendre de l’inflation et une récession, et ce sont les personnes les plus faibles qui vont en souffrir le plus. Cela permet de respecter les contraintes de l’Etat social, et on vit dans un Etat social.
C’est un premier pas, mais ce n’est pas suffisant. Le vrai problème, c’est que les femmes sont structurellement moins payées que les hommes. Et en plus doivent souvent mettre leur carrière sur pause. Leur cotisation, en termes de nombre d’années ou de salaire, est donc inférieure à celle des hommes, et elles sont pénalisées.
Ce qui permettra vraiment d’assurer l’équilibre hommes-femmes, c’est une équivalence de carrière, de salaire pendant la vie professionnelle. Ce qui permettra d’avoir des pensions équivalentes.
D’autres sujets, à l’origine sur la table, ont été mis de côté. Une occasion manquée ?
Il y avait un choix philosophique à faire. Aujourd’hui, l’âge de la pension est déterminé par l’âge de l’individu. Pour l’autre vision, c’est le nombre d’années de travail qui importe, d’où l’idée des carrières complètes de 42 ans, pour quelqu’un qui a commencé à travailler dès 18 ans. Cette philosophie est aussi bonne : l’âge absolu, cela ne veut rien dire. Mais cela n’a pas été retenu.
Cette réforme a néanmoins le mérite d’exister. Les pensions n’ont pas été réformées depuis des années. La seule chose qui a été faite, c’est l’augmentation de l’âge de la retraite. En plus, à ce moment-là, on a décidé que toutes les assurances groupes étaient alignées sur l’âge de la retraite. C’était une mesure un peu autoritaire.
Aujourd’hui, on a une réforme beaucoup plus consensuelle, qui a un but social et sociétal. Ce n’est pas parfait, mais cela épouse bien l’évolution de la société belge.
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