Sale temps pour Exki, plus proche du bâton que de la carotte. © BELGAIMAGE

Paris perdants, télétravail, stratégie lacunaire… Pourquoi Exki est en difficulté (analyse)

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Ex-pionnière belge de la restauration saine et rapide, Exki est «au bord de la faillite», selon son nouveau CEO. La faute au Covid et à quelques échecs, mais aussi à un positionnement à revoir.

Il y a comme un paradoxe derrière la trajectoire d’Exki, l’enseigne belge à la carotte comptant aujourd’hui 75 restaurants. D’un côté, le slogan qu’elle revendique, «le plaisir d’une cuisine saine et durable», répond à deux préoccupations particulièrement d’actualité. Une cuisine saine? Selon la dernière enquête de consommation alimentaire de Sciensano, 49% des Belges de plus de 3 ans seraient en situation de surpoids. Une cuisine durable? Environ 30% de l’empreinte écologique des Européens proviendrait de l’alimentation, d’après une étude scientifique du Global Footprint Network. Mais de l’autre côté, force est de constater qu’Exki peine à remettre son image au goût du jour. Rien n’est jamais acquis, dit l’adage. Dans un secteur ultraconcurrentiel, la chaîne de restauration saine et rapide n’échappe pas à la règle.

Autrefois perçue comme une bouffée d’air frais face à la malbouffe, l’entreprise est désormais asphyxiée. Au point d’inciter son nouveau CEO, Stan Monheim, en place depuis mars dernier, à livrer cet aveu sans concession à La Libre, début novembre: «Cette boîte est au bord de la faillite. Il y a beaucoup trop de dettes. On ne peut pas y faire face sans du capital qui rentre.» Comme l’ensemble du secteur Horeca, Exki fut, il est vrai, lourdement affectée par la crise sanitaire, de 2020 à 2022 (voir graphiques). Si les pertes de son exercice 2023-2024 se résorbent de 6,5 millions d’euros par rapport à la période précédente, le bilan demeure cependant dans le rouge (-1,88 million). Et le chiffre d’affaires se contracte à nouveau (-614.000 euros sur base annuelle). Pour relancer durablement l’enseigne, Stan Monheim souligne la nécessité de lever au moins dix millions d’euros supplémentaires, en sachant que l’entreprise fut déjà recapitalisée à plusieurs reprises ces dernières années.

Rien n’est donc perdu à ce stade, mais il y a bel et bien urgence. Lancée en 1999 par Frédéric Rouvez, Nicolas Steisel et Arnaud de Meeûs, trois entrepreneurs alors issus de GIB, ex-géant belge de la grande distribution, Exki naît d’une inspiration londonienne, celle de la chaîne Pret A Manger. «Ce qui nous intéressait, c’était des marchés segmentés où il y avait moyen de se faire vite une place», relatait Frédéric Rouvez en 2010, dans L’Echo. Or, il est vrai qu’à l’époque, la durabilité et la nourriture saine ne figurent pas parmi les priorités du secteur de la restauration rapide. Exki ouvre son premier restaurant à Bruxelles en 2001, puis la recette prend. Dans les quinze années qui suivent, la success story belge s’étend en Belgique, en France, aux Pays-Bas, au Luxembourg, en Italie, à New York… En parallèle, elle décroche de prestigieux prix en matière d’innovation, de gestion d’entreprise et d’alimentation durable portée sur le végétal. Pari gagnant, donc gagné?

Stan Monheim, CEO de l’entreprise , reste optimiste quant à l’avenir de la chaîne. Il a du pain sur la planche… © BELGAIMAGE

De coûteux échecs

Rien n’est jamais gagné; en 2017, Exki décide de fermer ses deux restaurants new-yorkais. Ses plats à emporter, au cœur de son modèle, seraient trop onéreux pour les consommateurs outre-Atlantique. A cela s’ajoutent des difficultés à garder du personnel de qualité et des fournisseurs fiables répondant aux exigences de son cahier des charges. Pour Stan Monheim, anciennement gérant d’un restaurant Exki mais surtout ex-general manager Europe d’Autogrill, cela ferait des années qu’Exki pêche «par manque de professionnalisme, glissait-il encore à La Libre. Les compétences ne sont pas toujours bien utilisées. […] Ces dernières années, aucun des investissements consentis n’a rapporté d’argent.»

Si Exki remonte la pente après le coup d’arrêt des années Covid, qui la contraint à fermer définitivement plusieurs restaurants en France, les tendances qui en résultent ne lui sont pas plus favorables. «Les trois clés du succès d’un point de vente, c’est: location , location, location, rappelle Benoît Gailly, professeur en gestion de l’innovation et stratégie à la Louvain School of Management. Pendant des années, le choix des emplacements d’Exki lui ont sans doute permis d’attirer un public de cadres cherchant à manger quelque chose de convenable à proximité du bureau. Mais le télétravail a changé la donne.» Exki n’est d’ailleurs pas le seul acteur de l’Horeca à connaître des baisses de fréquentation liées à cette évolution sociétale. En 2021, l’ex-CEO Frédéric Rouvez entreprend d’ailleurs de miser sur des frigos connectés, un substitut aux cantines permettant de vendre des produits Exki directement sur le lieu de travail. Les résultats ne sont toutefois pas à la hauteur des espérances. Ce qui conduira son successeur, Stan Monheim, à réduire la formule à un partenariat au début de cette année.

Son souhait: en revenir au cœur de métier d’Exki, à savoir les points de vente en centre-ville et surtout, le travel retail. C’est en effet l’une des éclaircies à l’horizon: l’enseigne fonctionnerait particulièrement bien dans les gares et aéroports où elle est implantée, un environnement a priori moins concurrentiel. Récemment, elle vient de remporter un appel d’offres pour 17 restaurants dans les aéroports de Paris et en ouvrira un autre dans celui de Bâle-Mulhouse, en mars 2025. Reste à voir si cette stratégie portera ses fruits sur le long terme. «Il se pourrait que le sursaut du travel retail soit temporaire, nuance Benoît Gailly. De plus en plus d’aéroports autorisent des sociétés comme Deliveroo à livrer des repas aux voyageurs. Il faudra aussi voir si Exki pourra négocier des loyers compétitifs par rapport à la fréquentation attendue.»

«L’enseigne n’offre ni ce qu’il y a de moins cher ni ce qu’il y a de meilleur dans les produits sains, durables, voire bio.»

Benoît Gailly

Professeur en gestion de l’innovation et stratégie à la Louvain School of Management.

Deux grands défis

Pour que le concept survive, Exki a surtout deux défis majeurs à surmonter. Le premier concerne son positionnement stratégique dans le segment de la restauration saine et rapide. Car les temps ont bien changé depuis le début du siècle: «Quand Exki s’est lancée, il y avait effectivement une niche à occuper, diagnostique le professeur. Entre-temps, bien d’autres acteurs ont eux aussi commencé à proposer des produits sous un angle plus healthy, des fast-foods jusqu’aux supermarchés en passant par des restaurants plus huppés. Aujourd’hui, Exki se retrouve coincée entre deux approches: l’enseigne n’offre ni ce qu’il y a de moins cher ni ce qu’il y a de meilleur dans les produits sains, durables, voire bio. Ses restaurants ne se distinguent pas non plus par une expérience particulièrement poussée. Les « bobos écolos » ne vont plus manger chez Exki.» Il est dès lors possible que l’entreprise soit rapidement confrontée à un dilemme: doit-elle miser à l’avenir sur des produits standardisés mais meilleur marché, ou pousser davantage les curseurs de l’excellence et du cadre, ce qui tirera encore plus les prix vers le haut et restreindra le public cible? L’entre-deux n’est peut-être plus la voie à prendre.

«Exki a raté l’opportunité de communiquer sur les réseaux sociaux, ce qui ne coûte pas spécialement cher.»

Isabelle Schuiling

Professeure de marketing à la Louvain School of Management.

La chaîne belge souffre en outre d’un second écueil tout aussi fondamental: «Exki est une marque vieillissante, analyse Isabelle Schuiling, professeure de marketing à la Louvain School of Management. Elle a raté l’opportunité de communiquer sur les réseaux sociaux, ce qui ne coûte pas spécialement cher. Sa dernière publication sur Instagram remonte à septembre et avant cela, au mois de juin. Or, une marque doit s’entretenir sur les réseaux sociaux, surtout quand elle vise un public de 25-50 ans.» En matière de communication, son positionnement sur le thème de la durabilité poserait lui aussi problème. «On le voit avec les reproches que certains clients formulent quant à l’usage d’emballages contenant du plastique, il est difficile d’être 100% durable, poursuit Isabelle Schuiling. A l’inverse, le positionnement d’un concurrent comme Foodmaker, axé sur une alimentation saine et accessible à tous, sur le style de vie, semble plus lisible.»

Pour l’experte en marketing, Exki devrait d’abord vérifier, par l’entremise d’enquêtes auprès des consommateurs, si son positionnement, ses produits, son prix et l’expérience proposée répondent encore aux besoins de ses clients. «Ensuite, elle doit montrer qu’il se passe quelque chose pour la marque, par l’entremise des réseaux sociaux, d’événements.» Enfin, son positionnement sur les plats à livrer mériterait d’être éclairci: sur son site Web, par exemple, cette fonctionnalité s’avère «actuellement indisponible». Jusqu’à quand?

Malgré les difficultés rencontrées et les marges réduites dans ce segment, le CEO d’Exki reste optimiste quant à l’avenir de la chaîne. Contactée par Le Vif, l’entreprise ne souhaite toutefois plus s’exprimer avant la recapitalisation. Au-delà des financements à capter, l’heure sera plus que jamais à l’introspection dans les prochains mois.

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