Non, les cryptomonnaies ne sont pas mortes, et voici pourquoi
Malgré une année noire, les cryptomonnaies semblent parties pour durer, à l’aube de la finance et du Web décentralisés. Elles doivent toutefois tirer les leçons des déboires de 2022, reconnaissent leurs partisans. En commençant par mieux protéger leurs utilisateurs.
Un bitcoin à 200 000 dollars en 2022? C’est ce qu’affirmaient bon nombre d’influents cryptoanalystes l’année dernière, appâtant d’autant plus les investisseurs amateurs. En ce début décembre, la valeur de la plus célèbre cryptomonnaie affiche un tout autre montant: 16 200 dollars environ, soit une baisse de plus de 76% par rapport à sa valeur record (ou son ATH, pour «All Time High»), établie à près de 69 000 dollars le 10 novembre 2021. Bien sûr, les dérouillées sont courantes dans le monde non régulé des cryptomonnaies. De même, celui-ci n’est pas, quoi qu’il en dise, sourd aux nombreux événements affectant la finance traditionnelle: inflation, resserrement des politiques monétaires par les banques centrales, guerre en Ukraine… Mais il a aussi subi ses propres déconvenues.
Il existe 18 000 cryptos, mais cent mille projets ne sont pas encore cotés. Cette folie ne s’arrêtera pas, car le système le permet.
Certaines sont récurrentes, à l’image des piratages, toujours néfastes pour la confiance des investisseurs. Rien qu’en octobre dernier, des hackers auraient réussi à dérober l’équivalent de 718 millions de dollars en cryptomonnaies. Un record, selon la société américaine Chainalysis. Mais l’année a davantage été marquée par deux secousses inattendues. D’abord l’effondrement, en mai, du TerraUSD, le «stablecoin» algorithmique de la blockchain Terra. Incapable d’assurer sa parité avec le dollar, soit le principe même de tels jetons, il a entraîné dans sa chute le Terra (LUNA), la cryptomonnaie de cette blockchain jusque-là incontournable. Ensuite est survenue la faillite, le 11 novembre, de la plateforme d’échange FTX, l’ex-seconde plus grande du marché, torpillée par la mauvaise gestion de son fondateur, Samuel Bankman-Fried (dit SBF).
Quoi qu’il advienne, 2022 sera donc une année noire pour les cryptomonnaies, dont la capitalisation boursière totale est passée de 2 800 à 782 milliards de dollars en l’espace d’un an. De quoi conforter les critiques de leurs farouches détracteurs. «Ma très humble évaluation est que cela ne vaut rien», lançait Christine Lagarde, la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), en mai dernier. Pour Etienne de Callataÿ, économiste en chef d’Orcadia Asset Management, la saga de FTX révèle par ailleurs «l’infantilisme de la vision libertarienne, selon laquelle on gagnerait à voir éclore des monnaies échappant au contrôle des banques centrales. Que serions-nous si elles n’avaient pas agi résolument ces dernières années face aux nombreuses difficultés que nous avons connues? Je n’ai aucun problème à ce que ceux qui ont investi dans les cryptomonnaies perdent intégralement leur argent.»
Un cycle de quatre ans
Serait-ce donc déjà la fin des cryptomonnaies, treize ans seulement après la création des premiers bitcoins? Certainement pas, rétorquent leurs plus fins connaisseurs et partisans. C’est un fait connu, la valeur du bitcoin fait office de référence pour l’ensemble de l’écosystème: si elle diminue, il en va généralement de même pour les autres cryptomonnaies, à quelques soubresauts près. Bien qu’impressionnante, la chute de 2022 s’inscrit dans un cycle que le cours du bitcoin a toujours attesté jusqu’ici. Tous les quatre ans survient en effet le «halving»: ce protocole consiste à diviser par deux les rémunérations attribuées aux mineurs de bitcoins, en récompense à leur contribution au processus de sécurisation de la blockchain. «Evidemment, le passé n’est pas prédictif du futur et le contexte a changé, commente Alain Van Gelderen, coauteur du livre Trop risquées, les cryptos? et CEO de la plateforme NFT Open Your Art. Néanmoins, on sait que jusqu’ici, la troisième année de ce cycle de quatre ans est systématiquement en perte.» Après 2014 et 2018, l’année 2022 n’échapperait donc pas à la règle.
L’avenir des cryptomonnaies ne se mesure toutefois pas à l’aune des seules interprétations chiffrées. Peu d’entre elles ambitionnent de s’imposer comme une monnaie en tant que telle, hormis le fameux bitcoin, encore bien loin de cet objectif. Les cryptomonnaies comme l’ethereum jouent en fait un rôle central pour l’exécution de contrats intelligents («smart contracts»), c’est-à-dire un protocole informatique utilisant la technologie blockchain pour exécuter automatiquement une instruction prédéfinie. Transactions immobilières, assurances, successions, identité décentralisée… Les applications potentielles sont innombrables. Bon nombre de projets participent en outre à l’émergence de la finance décentralisée (DeFi). Celle-ci vise, dans les grandes lignes, à investir ou réaliser des transactions sans intermédiaires, tels que des banques ou des organismes de crédit.
Un cryptoactif peut de ce fait constituer un mode innovant pour financer un projet à vocation économique, environnementale ou sociale. «Je vois émerger un nouveau mode de financement, grâce auquel certaines start-up peuvent bénéficier d’une exposition mondiale, souligne Marc Toledo, cofondateur de la plateforme d’échange belge Bit4You. Parmi les projets crypto, certains sont évidemment très risqués. Mais quand vous investissez dans des jeunes pousses, vous savez que le pourcentage d’échec est important.» Si plusieurs analyses ont affirmé que les déboires de FTX témoignaient précisément des excès de la finance décentralisée, ce n’est pas l’avis d’Alain Van Gelderen. «FTX est un Exchange (NDLR: une plateforme d’échange de cryptomonnaies) et donc, par définition, c’est centralisé. Cela signifie que les clés d’accès aux portefeuilles sont détenues par l’entreprise FTX. Or, la plateforme a joué avec les cryptos de ses membres et les a réinvesti dans sa propre devise.»
Transparence et identification
Il convient néanmoins de tirer les leçons de cette saga, reconnaissent tous les observateurs. Pour Marc Toledo, la régulation est bienvenue si elle porte sur la protection des utilisateurs et sur la transparence des plateformes d’échange. «Bien qu’elle soit de très bonne qualité, personne ne sait exactement où se trouve le siège d’une entreprise comme Binance, illustre-t-il. On doit passer par une régulation afin que les gens se rendent compte que les cryptomonnaies sont des choses sérieuses.» Leur légitimité future reposera en outre sur la fin de l’anonymat des transactions. «Quand on donne trop de libertés à l’humain, il en abuse, poursuit Marc Toledo. L’ennemi, ici, n’est pas la technologie, mais l’anonymat. Un autre aspect important dans la régulation est donc l’identification des portefeuilles crypto.»
Pour Alain Van Gelderen, 2022 constitue une «année de grand nettoyage, et il n’est pas certain que ce soit fini. Il existe 18 000 cryptos, mais 100 000 projets ne sont pas encore cotés. Cette folie ne s’arrêtera pas, car le système le permet.» En revanche, les couches de régulation que l’Europe s’apprête à mettre en place ne vont pas, selon lui, dans le bon sens. «Il est tout à fait normal que des régulations se mettent en place. Là où je vois un énorme problème, c’est quand l’Europe essaie de miner la confiance dans les cryptomonnaies en usant de déclarations à l’emporte-pièce. Cela tient, je pense, à sa volonté d’imposer l’e-euro, qui n’est pas encore prêt et n’offrira aucune protection sur les dépenses privées de ses utilisateurs.»
Accusée de saper de la sorte l’écosystème blockchain, l’Europe rate-t-elle une nouvelle fois le train de l’innovation numérique? C’est ce qu’affirment régulièrement les acteurs de l’univers crypto, convaincus qu’il fait face aux mêmes doutes que l’avènement d’Internet. Les détracteurs, eux, considèrent qu’il n’y a rien de plus salutaire que de donner un coup de pied dans la fourmilière crypto. Mais malgré les mésaventures de 2022, rien ne prouve que les seconds gagneront le duel ricanant du «je te l’avais dit».
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Trois clés pour l’investisseur
«N’investissez que l’argent que vous êtes prêt à perdre.» Ce conseil bien connu s’applique on ne peut mieux aux investisseurs en cryptomonnaies. Trois options leur permettent toutefois de limiter les risques.
1. Diversifier, mais sans excès. En crypto comme en Bourse, «il ne faut pas placer tous ses œufs dans le même panier», dit-on régulièrement. Les investisseurs doivent donc veiller à diversifier leurs cryptoactifs, tout en sachant qu’au-delà des vingt principales cryptomonnaies, bon nombre des projets ne survivront pas.
2. Lisser la valeur d’acquisition. La période de «bear market», au cours de laquelle les vagues baissières se succèdent, peut permettre de diminuer le prix moyen de l’acquisition d’une cryptomonnaie, en optant par exemple pour le DCA (Dollar-Cost Average): plutôt que de jouer à l’apprenti trader, il s’agit de placer une (petite) somme à intervalles réguliers sur quelques cryptoactifs, sans tenir compte de leur prix.
3. Miser sur un horizon de trois à cinq ans. C’est le conseil que donne Marc Toledo, le fondateur de la plateforme belge Bit4You: «Il ne faut pas croire que vous obtiendrez un rendement de 20 à 40% en trois mois. Sur un horizon de cinq ans, en revanche, vous pouvez espérer de beaux gains.»
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