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Comment planifier votre succession si vous cohabitez

Le Vif

Pour la succession, il convient d’opérer une distinction entre cohabitants légaux et cohabitants de fait.

Les cohabitants légaux font devant un fonctionnaire de l’état civil une déclaration écrite de cohabitation légale qui les rend automatiquement héritiers l’un de l’autre. À l’instar du conjoint survivant, le partenaire survivant obtient de plein droit l’usufruit de l’habitation familiale et de son mobilier. Il n’est donc pas nécessaire de régler cet aspect par le biais d’un testament ou d’un autre contrat. Mais la matière diffère en certains points par rapport à la succession des couples mariés. Ainsi, le cohabitant survivant n’obtient pas d’office l’usufruit des autres biens tels que les actions de la société, les titres, la résidence secondaire à la mer ou encore la voiture. En outre, le partenaire cohabitant ne jouit d’aucune protection réservataire, de sorte qu’une exhérédation (ou exclusion de la succession) est toujours possible.

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Les cohabitants légaux ont plusieurs droits et devoirs, notamment la protection du logement familial et le devoir de contribution aux charges du ménage, proportionnellement à leurs possibilités. Si l’un des cohabitants veut vendre, donner ou hypothéquer le logement familial, il ne peut le faire qu’avec l’accord de l’autre. À tout moment, les partenaires peuvent toutefois, de manière unilatérale et sans l’intervention d’un juge, changer de statut.

Les droits et devoirs évoqués ne concernent pas les partenaires qui cohabitent de fait.

Ajoutons une remarque importante. Le droit successoral légal est régi par une loi fédérale et vaut donc dans la Belgique tout entière. En revanche, les droits de succession relèvent de la compétence des Régions. Le régime qui s’applique aux partenaires cohabitants diffère très nettement d’une Région à l’autre. Les cohabitants de fait qui n’ont pas établi de déclaration de cohabitation sont exclus du droit successoral légal. En Région flamande, en matière de droits de succession, les cohabitants légaux et les cohabitants de fait qui font ménage commun depuis au moins un an sont assimilés aux couples mariés. Les cohabitants de fait bénéficient donc eux aussi du tarif fiscal avantageux, de l’exonération conditionnelle en ce qui concerne le logement familial et de l’exonération sur la première tranche de 50 000 euros pour les biens mobiliers.

En Région wallonne, l’exonération du logement familial n’est applicable qu’aux partenaires cohabitants légaux.

La Région de Bruxelles-Capitale introduirait à partir du 1er janvier 2024 un nouveau régime dont le projet d’ordonnance était déjà approuvé mais dont la publication définitive au Moniteur n’avait pas encore eu lieu à la clôture de la rédaction. Selon ce régime, les cohabitants de fait qui tiennent un ménage commun depuis un an ou plus bénéficieraient des tarifs réduits en ligne directe et entre époux. S’ils tiennent ménage commun depuis au moins trois ans, ils pourraient également bénéficier de l’exonération du logement familial.

De manière générale, le partenaire cohabitant bénéficie d’une protection successorale nettement moins bonne que le conjoint survivant. S’ils souhaitent se protéger mutuellement, les partenaires cohabitants recourront de préférence à un testament ou à une donation (voir chapitre y consacré – sachez cependant que les donations entre partenaires cohabitants sont irrévocables), à une convention de cohabitation ou à une clause d’accroissement.

Succession: de quoi faut-il tenir compte en cas de convention de cohabitation?

Les partenaires cohabitants peuvent inclure de nombreuses dispositions dans une convention de cohabitation. Ils peuvent déterminer par exemple:

quels biens appartiennent à l’un ou à l’autre, de sorte qu’il n’y aura plus aucun doute à ce sujet ;

la proportion dans laquelle chaque partenaire contribuera aux charges du ménage (p. ex. en fonction de leurs revenus) ;

• le mode de calcul de la quote-part de chacun dans le remboursement de l’emprunt, s’ils font des travaux à une habitation n’appartenant qu’à l’un d’eux ;

• les droits de l’autre partenaire à la fin de la cohabitation.

Contrairement aux couples mariés, les cohabitants ne peuvent pas inclure dans leur contrat de cohabitation des dispositions relatives à leurs successions non encore ouvertes (dispositions contractuelles).

Contrairement aux cohabitants de fait, les cohabitants légaux peuvent par contre faire établir leur convention de cohabitation par acte notarié et y faire inclure une clause de participation aux acquêts. Ils peuvent également créer un patrimoine commun interne adjoint, dans lequel ils apportent l’un et/ou l’autre des biens. Cette approche a toutefois une incidence fiscale.

Dans un premier temps, l’Administration fiscale avait estimé qu’un tel apport dans un patrimoine commun interne adjoint était possible moyennant un droit d’enregistrement général (actuellement: 50 euros). Elle est ensuite revenue sur cette position. À l’en croire, un “patrimoine commun interne adjoint” entre cohabitants légaux n’est rien d’autre qu’une simple indivision.

Désormais, l’apport rémunéré d’immobilier dans un patrimoine commun interne adjoint est soumis à un droit de vente (de 12,5% dans les Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale, et de 12% en Région flamande, avec des tarifs réduits dans certaines situations).

Si l’apport a eu lieu à titre gratuit, un droit de donation progressif (de 3 à 27% dans les trois Régions) est dû.

Pour l’apport gratuit de biens mobiliers, un droit de donation linéaire (3,3% en Région wallonne et 3% en Régions de Bruxelles-Capitale et flamande) sera prélevé.

Toutes les conventions qui n’engendrent pas un transfert de propriété sont soumises au droit linéaire général de 50 euros. Pensons en particulier à l’apport d’un bien immobilier appartenant aux deux cohabitants, chacun pour une moitié indivise.

Succession: de quoi faut-il tenir compte en cas de clause d’accroissement?

Nous nous limitons ici au système de l’accroissement, sans nous étendre sur la tontine. Si les deux approches se ressemblent, elles n’en présentent pas moins quelques différences techniques.

Pour certains biens (p. ex. le logement familial ou des titres), tant les cohabitants de fait que les cohabitants légaux peuvent conclure une convention d’accroissement. Celle-ci ne doit pas nécessairement faire l’objet d’un acte notarié.

En pratique, la technique de l’accroissement est surtout appliquée par des cohabitants sans enfants. Généralement, ils mettent au point un système d’accroissement de la pleine propriété. Le partenaire survivant reçoit alors la pleine propriété de la part du partenaire défunt. Les héritiers sont totalement mis hors-jeu.

Parfois, cette technique est utilisée pour déshériter les enfants d’une relation ou d’un mariage antérieurs. Dès que les conditions du contrat sont réalisées (voir plus loin), le droit successoral est mis hors jeu. Les avantages qui découlent d’une convention d’accroissement ne sont pas considérés comme des donations, et les règles du rapport et de la réduction ne sont donc pas applicables. Le bien disparaît du patrimoine du premier à décéder sans qu’il y ait la moindre compensation financière. La convention d’accroissement offre donc une grande sécurité au partenaire survivant. Celui-ci est protégé à l’égard d’actions en justice que les héritiers du premier défunt pourraient intenter à son encontre. De plus, la clause ne peut être abrogée par aucune des deux parties. En principe, on ne peut renoncer à une clause d’accroissement que moyennant un consentement mutuel.

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Le cas échéant, les partenaires cohabitants peuvent limiter le droit successoral des descendants en optant pour un accroissement de l’usufruit. Le partenaire survivant est ainsi assuré de pouvoir occuper jusqu’à sa mort l’habitation achetée conjointement ou d’en percevoir les loyers, sans priver les héritiers de l’autre partenaire de leur droit successoral.

Les deux solutions offrent la sécurité juridique nécessaire, mais elles s’accompagnent d’une facture fiscale.

À quelles conditions une clause d’accroissement doit-elle répondre?

La technique de l’accroissement est un contrat aléatoire, ce qui signifie qu’il s’agit d’une convention réciproque dont les effets dépendent d’un événement incertain: qui décédera le premier? Un contrat aléatoire est une convention à titre onéreux, non à titre gratuit. Ce n’est donc pas une donation. Le caractère onéreux se situe dans la probabilité de survie équivalente des deux contractants. Il faut qu’il y ait une réelle réciprocité de la chance et du risque, et de la probabilité de gain et de perte (de vie ou de mort). Si tel est le cas, les parties acceptent le risque et ne pourront pas réclamer ultérieurement, si ce risque se révèle défavorable pour l’un d’eux. En principe, l’un ne peut pas intenter contre l’autre une action en responsabilité pour obtenir réparation de son préjudice.

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Lors de l’établissement d’une convention d’accroissement, il faut donc tenir compte du sexe, de l’âge et de l’état de santé des deux parties. Ainsi l’achat d’une résidence secondaire par deux partenaires entre lesquels la différence d’âge est grande peut-il être considéré comme une donation et être soumis à des droits de donation. En ce qui concerne les biens mobiliers, un tel accroissement est même soumis à des droits de succession.

Lorsque les chances sont inégales, l’équilibre peut être rétabli par une obligation naturelle sous-jacente, telle qu’une obligation de soins à charge du partenaire survivant. La plupart des auteurs considèrent qu’une compensation financière peut également équilibrer la situation. À l’achat, le partenaire le plus jeune peut par exemple payer davantage pour sa part indivise. Notons toutefois que l’Administration fiscale flamande a, dans sa position du 8 janvier 2018, décidé qu’une inégalité des chances ne peut pas être compensée par un apport plus important.

Quelles sont les implications fiscales d’une clause d’accroissement?

Le décès de l’un des partenaires donnera lieu non pas à des droits de succession mais à un droit d’enregistrement (droit de vente). Pour l’accroissement de biens immobiliers, un droit de vente proportionnel (12,5% en Régions wallonne et de Bruxelles-Capitale et 12% en Région flamande) est en principe dû au moment du décès. Dans sa position du 8 janvier 2018, l’administration fiscale flamande a accepté les effets fiscaux du contrat d’accroissement. Selon la circulaire fédérale du 10 avril 2013 et la circulaire flamande du 2 février 2015, une convention d’accroissement ne constitue pas un abus fiscal.

L’accroissement de biens mobiliers n’est soumis à aucune taxation car pour le transfert à titre onéreux de biens meubles, la loi ne prévoit pas de droit d’enregistrement.

Actuellement, l’accroissement est souvent plus coûteux sur le plan fiscal (droits d’enregistrement) que la voie testamentaire (droits de succession). Pour réduire cette facture fiscale, on peut opter pour un accroissement avec option combiné à un testament. De cette manière, le cohabitant survivant aura le choix: faire jouer la clause d’accroissement ou y renoncer et invoquer le testament, grâce auquel il bénéficie de droits de succession inférieurs. La clause d’accroissement avec option ne prend effet que si le cohabitant survivant choisit explicitement d’y recourir dans un délai déterminé. L’Administration fiscale accepte ce principe.

Les cohabitants non mariés qui ont acquis leur logement familial avec une clause d’accroissement ont intérêt, sous l’angle fiscal, d’attribuer leurs droits indivis dans ce logement au partenaire survivant par le biais d’un testament. Bien entendu, un testament peut toujours être révoqué unilatéralement.

Lorsqu’il n’est pas nécessaire de rechercher la sécurité juridique à l’égard de descendants, l’intérêt d’une clause d’accroissement s’évalue au cas par cas. Le droit de succession fait l’objet d’un calcul différent dans chaque Région, ce qui ne facilite pas l’exercice. Pour faire simple, les cohabitants (ainsi que les époux, lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier autre que le logement familial) peuvent retenir les montants suivants.

En Flandre, un accroissement pour le logement familial n’est plus intéressant puisque l’exonération du droit de succession est possible aussi bien pour les cohabitants de fait que pour les cohabitants légaux. Un testament et une clause accroissement assortie d’une option sont plus intéressants. Pour les biens immobiliers, un accroissement n’est intéressant, fiscalement, que pour des investissements supérieurs à 640 000 euros. Les droits de succession sur la moitié (320 000 euros) s’élèvent alors à 38 400 euros, ce qui représente une pression fiscale de 12%.

En Région wallonne, les cohabitants légaux bénéficient depuis le 1er janvier 2018 d’une exemption de droits de succession pour le logement familial. Les cohabitants de fait paient jusqu’à 80%. Le droit de vente est également plus élevé en Région wallonne (12,5%). Pour ceux qui habitent en Wallonie, qui y investissent dans l’immobilier et n’optent pas pour une cohabitation légale, la clause d’accroissement est toujours plus intéressante (12,5% contre maximum 80%). Pour les biens immobiliers autres que le logement familial, l’accroissement ne devient intéressant pour les cohabitants légaux que si sa valeur dépasse 586 958 euros.

En Région de Bruxelles-Capitale, les cohabitants légaux bénéficient depuis le 1er janvier 2014, pour l’héritage du logement familial, d’une exonération du droit de succession. Le droit d’enregistrement en cas d’accroissement s’élève à 12,5%. Pour les biens immobiliers autres que le logement familial, l’accroissement en Région de Bruxelles-Capitale ne s’avère intéressant sur le plan fiscal pour les cohabitants légaux que si la valeur des biens dépasse 595 654 euros.

Comme mentionné précédemment (et sous réserve de publication au Moniteur belge), le régime de l’exonération des droits de succession mentionné ci-dessus vaudrait également à partir de 1er janvier 2024 pour les cohabitants de fait qui ont tenu ménage commun pendant au moins trois ans.

Vous pouvez lui attribuer à cette fin un droit d’habitation. Vous pouvez déterminer librement la durée de ce droit et s’il s’accompagne ou non d’une rémunération. Le droit d’habitation peut être repris dans un testament ou être établi par un notaire dans une convention. Si la valeur de ce droit d’habitation n’empiète pas sur les droits réservataires des héritiers, ces derniers ne peuvent en principe pas le contester.

Un droit d’habitation est moins étendu qu’un usufruit. Ainsi, le titulaire de ce droit ne peut pas mettre l’habitation en location et en percevoir les revenus locatifs, il ne peut pas la vendre ou la céder à des tiers. Il doit effectivement habiter le bien, l’entretenir comme une personne prudente et raisonnable et assurer les mêmes dépenses que l’usufruitier. Lorsque le droit prend cours, un état des lieux est établi. Le titulaire peut être amené à fournir une certaine forme de garantie. À l’expiration du droit d’habitation, il doit restituer le bien dans l’état où il l’a reçu, compte tenu de l’usage normal et de l’usure. En principe, il ne peut pas prétendre au remboursement de frais d’amélioration qu’il aurait engagés.

Bon à savoir: cette solution peut aussi être intéressante pour des parents qui souhaitent transmettre leur bien immobilier à leurs enfants tout en l’occupant jusqu’à leur décès.

Exemple

Nathan et Stéphanie sont des cohabitants légaux. Ils achètent ensemble une maison d’habitation, chacun pour une moitié indivise. Ils n’ont pas d’enfants. Nathan décède. L’usufruit de sa part de la maison d’habitation revient à Stéphanie, tandis que la nue-propriété en revient à son frère, Christophe. Ce n’était pas le but. Comment Nathan et Stéphanie auraient-ils pu éviter un tel scénario?

• À supposer qu’il n’y ait pas eu d’héritiers réservataires en vie (des enfants d’un lit précédent, p. ex.), chacun d’eux aurait pu établir un testament par lequel il aurait légué à l’autre la pleine propriété du logement familial. Comme les cohabitants sont, sur le plan fiscal, assimilés à des époux, cette solution est même avantageuse puisque la moitié appartenant au partenaire défunt est soumise à des droits de succession nuls.

• Nathan et Stéphanie auraient aussi bien pu conclure entre eux une convention d’accroissement par laquelle ils auraient convenu que la part du partenaire à décéder aurait accru celle du survivant. Du fait de cet accord, le partenaire survivant n’aurait dû s’acquitter que d’un droit de vente (12,5% en Régions de Bruxelles-Capitale et wallonne et 12% en Région flamande) et non pas de droits de succession.

Exemple

Yves, divorcé, a des enfants. Sa compagne, Julie, n’a pas d’enfants mais a un frère toujours en vie. Yves entend acheter une maison avec Julie et protéger aussi bien ses enfants que sa compagne.

Par le biais d’un accroissement en usufruit, Julie recevra au décès d’Yves l’usufruit de la moitié de ce dernier dans la maison, tandis que ses enfants en obtiendront la nue-propriété. Le jour où Julie viendra à décéder, son usufruit s’éteindra. Les enfants obtiendront alors la moitié en pleine propriété, l’autre moitié revenant au frère de Julie.

Exemple

Gilles et Sophie achètent ensemble une maison à Namur et optent pour le système d’accroissement. Au décès de Gilles, Sophie reçoit la moitié du bien en pleine propriété. Si l’habitation affiche une valeur de 400 000 euros au moment du décès, le droit de vente sera de 200 000 euros x 12,5% = 25 000 euros.

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