Une bombe à retardement: 7 questions sur les taux d’intérêt
On n’y prête pas forcément attention, mais nous vivons un choc de taux d’intérêt sans précédent: il y a très longtemps que les taux d’intérêt n’ont pas augmenté aussi fortement en si peu de temps. Cette hausse touche la société de plein fouet. Aujourd’hui, mais certainement demain.
Ces 18 derniers mois, le monde économico-financier a considérablement changé. Pendant des décennies, les taux d’intérêt ont baissé, avant de stagner à des niveaux historiquement bas. Mais depuis le début de l’année 2022, ils augmentent. Plus précisément, il y a peut-être un demi-siècle qu’ils n’ont pas augmenté aussi rapidement. Et les taux d’intérêt, nous le savons tous, sont ce que la banque vous donne pour votre épargne ou ce que vous payez pour emprunter de l’argent. En d’autres termes, ils déterminent le coût de l’argent. On ressent déjà aujourd’hui les effets de cette hausse, mais on ne les ressentira vraiment que dans les années à venir. Voici tout ce que vous vouliez savoir sur cette bombe à retardement.
1. Qui détermine les taux d’intérêt ?
Les taux d’intérêt sont fixés par les banques centrales, qui ont le droit exclusif d’émettre de la monnaie. Pour les pays de la zone euro, il s’agit de la Banque centrale européenne (BCE). L’objectif de la BCE est de maintenir l’inflation, c’est-à-dire la hausse générale des prix, à 2 % à moyen terme. C’est ce qui serait le plus bénéfique pour la croissance économique et l’emploi.
Si l’inflation augmente fortement, la BCE peut la réduire en jouant sur les taux d’intérêt. Si elle les augmente, l’emprunt devient plus cher et l’épargne rapporte davantage, de sorte que les familles et les entreprises consomment et investissent moins et épargnent davantage. En conséquence, les prix et l’inflation diminuent. Les taux d’intérêt agissent donc comme l’accélérateur et le frein de l’économie.
2. Pourquoi les taux d’intérêt augmentent-ils?
Pendant longtemps, l’inflation s’est située autour de 2 %, voire un peu moins, dans la zone euro. Mais lorsque l’économie a redémarré très rapidement après la pandémie de coronavirus, l’offre n’a pas pu suivre la demande. Des pénuries mondiales d’énergie, de matières premières, de puces électroniques, etc. sont apparues. En conséquence, nous avons été confrontés à une économie de pénurie à la fin de l’année 2021: de nombreux produits étaient en rupture de stock et les délais de livraison s’allongeaient. Une demande élevée et une offre faible entraînent une hausse des prix et donc de l’inflation.
À cela s’est ajoutée l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Les prix de l’énergie se sont emballés, ce qui s’est répercuté sur l’ensemble de l’économie. En conséquence, l’inflation a fortement augmenté. En Belgique, elle a même atteint un pic de 13 % en octobre 2022 : en d’autres termes, la vie était alors 13 % plus chère qu’un an plus tôt. On était loin de l’objectif d’inflation de 2 %. La BCE a alors décidé d’intervenir. Pour freiner la demande d’argent bon marché, elle a relevé les taux d’intérêt à l’été 2022, pour la première fois en 11 ans.
3. À quelle vitesse les taux d’intérêt ont-ils augmenté?
Certains disent que la BCE a agi un peu tard, mais au moins elle a fait monter les taux d’intérêt rapidement. En juillet 2022, les taux d’intérêt étaient de 0 %. Aujourd’hui, ils s’élèvent à 3,75 %. Les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres banques centrales les ont relevés de manière tout aussi agressive. Les taux d’intérêt à long terme, c’est-à-dire les frais que la Belgique doit payer pour emprunter de l’argent sur une période de dix ans, avaient déjà fortement augmenté. Fin 2021, début 2022, le taux d’intérêt sur une obligation d’État belge à dix ans était de 0 %. Aujourd’hui, il est supérieur à 3 %.
Quelques nuances s’imposent. Avant 2022, les taux d’intérêt étaient historiquement bas. Pendant un certain temps, ils ont même été négatifs: les banques auraient aimé facturer des frais lorsque pour placer de l’argent sur un compte d’épargne (mais elles ne sont pas légalement autorisées à le faire) et on pouvait emprunter de l’argent presque gratuitement. En outre, historiquement, le taux d’intérêt actuel de 3 % n’est pas non plus très élevé. En 1994, par exemple, le taux d’intérêt sur un emprunt d’État belge à 10 ans était de plus de 8 %, et en 2011, il était de près de 5 %. Mais à l’époque, tout le monde était sur le pont, car les taux d’intérêt élevés reflétaient la perte de confiance dans l’économie belge.
4. Les taux d’intérêt vont-ils encore augmenter ?
C’est difficile à dire. La BCE les relèvera peut-être encore en septembre, mais on ne s’attend pas à ce qu’ils dépassent de beaucoup les 4 %. L’inflation est en baisse et si les taux d’intérêt sont relevés trop fortement, la croissance économique sera trop étouffée. Cela pourrait entraîner des fermetures d’entreprises et une augmentation du chômage, ce que personne ne souhaite.
Par ailleurs, l’économie européenne connaît déjà un fort ralentissement. Et si la BCE augmente les taux d’intérêt à 4 %, la croissance du produit intérieur brut (PIB, la valeur de tous les biens et services que nous produisons en une année) risque de chuter de 4 % au cours des deux prochaines années, selon les spécialistes de l’économie. Le rendement des obligations d’État à 10 ans n’augmente plus vraiment non plus et se situe autour de 3,20 % depuis la fin de l’année dernière. Le plafond a peut-être été atteint.
5. Quelles sont les conséquences pour vous?
Des taux d’intérêt élevés signifient que vous devez payer plus d’intérêts lorsque vous empruntez. Il y a deux ans, on pouvait contracter un prêt hypothécaire sur 20 ans à un taux d’intérêt inférieur à 1,5 %, alors qu’aujourd’hui il est nettement supérieur à 3 %. Cela fait une différence. Si vous empruntez 200 000 euros sur 20 ans à 1,5 %, vous rembourserez 964 euros par mois. À 3,5 %, ce montant grimpe à 1154 euros, ce qui représente 190 euros de plus par mois, soit une dépense supplémentaire de 2280 euros par an. Si vous voulez rembourser le même montant chaque mois, vous pouvez donc emprunter moins. L’effet sur le marché immobilier se fait déjà sentir: le nombre de transactions immobilières diminue légèrement et les prix des maisons n’augmentent plus aussi fortement.
Si vous épargnez, vous obtiendrez plus d’intérêts sur votre épargne. Pendant longtemps, les banques n’offraient pas plus que le taux d’intérêt minimum légal de 0,11 % sur un compte d’épargne. Aujourd’hui, ce taux se situe entre 1 et 1,5 % dans les grandes banques et autour de 2,5 % auprès de certains casseurs de prix. Les taux d’épargne ont donc déjà augmenté, mais c’est encore trop peu par rapport aux augmentations de la BCE, estiment de nombreuses personnes. Pour inciter les banques à augmenter davantage leurs taux d’intérêt, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem (CD&V) a lancé le bon d’État avec un taux d’intérêt net de 2,81 %. Certaines petites banques ont déjà réagi en offrant un taux d’intérêt plus élevé. Mais attention : ce n’est pas parce que vous recevez plus d’intérêts que votre épargne est réellement rentable. C’est ce qu’on appelle « l’illusion monétaire ».
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6. Quelles sont les implications pour les entreprises?
De nombreuses entreprises ont profité des taux d’intérêt extrêmement bas de ces dernières années pour contracter des prêts bon marché à longue échéance. Mais toutes les entreprises n’ont pas été aussi prévoyantes. Tôt ou tard, même les entreprises prévoyantes devront contracter de nouveaux emprunts à des taux d’intérêt plus élevés. Cela pourrait peser sur leurs investissements. Dans le meilleur des cas, il y a donc un effet décalé.
En outre, certains secteurs souffrent plus que d’autres des hausses de taux d’intérêt. Les sociétés immobilières sont en difficulté. En raison de l’effet des prêts hypothécaires plus coûteux, mais aussi parce qu’elles sont généralement très endettées. Pour elles, la hausse rapide des taux d’intérêt est douloureuse.
D’autres secteurs en profitent. Les banques, par exemple. Elles obtiennent elles-mêmes un taux d’intérêt élevé pour l’argent qu’elles placent sur une sorte de compte courant auprès de la BCE, mais ne donnent pas grand-chose lorsque vous déposez votre épargne sur un compte d’épargne. Selon l’économiste Paul de Grauwe, cette épargne rapporte 9 milliards d’euros par an aux banques belges, 9 milliards pour lesquels elles ne doivent rien faire.
Bien entendu, les banques se tiennent sur leurs gardes. La hausse des taux hypothécaires pourrait entraîner une augmentation du nombre de personnes incapables de rembourser leurs emprunts. Une crise immobilière est toujours une mauvaise nouvelle pour les banques. Et si, en partie à cause des taux d’intérêt élevés, notre économie devait entrer en récession, elles en subiraient naturellement les conséquences. En résumé: les effets négatifs des taux d’intérêt élevés finissent par se faire sentir dans le secteur financier.
7. Quelles sont les conséquences pour l’état belge?
Pour l’État belge, la forte hausse des taux d’intérêt est une très mauvaise nouvelle. Notre dette nationale s’élève à quelque 500 milliards d’euros et pour cela, le gouvernement doit emprunter régulièrement de l’argent, principalement par le biais d’obligations d’État auprès de grands investisseurs institutionnels. Ces emprunts deviendront également plus coûteux pour la Belgique.
L’Agence de la dette fédérale, qui veille à ce que la Belgique puisse emprunter de l’argent, a été prévoyante. Lorsque les taux d’intérêt étaient très bas, elle a contracté un grand nombre d’emprunts à long terme. Il y a dix ans, la durée moyenne d’un tel emprunt était de 8 ans, aujourd’hui elle est de presque 11 ans. Nous pouvons donc profiter encore longtemps des taux d’intérêt historiquement bas. Mais à chaque fois qu’un emprunt arrivera à échéance, la Belgique devra chercher un nouvel emprunt plus cher.
Concrètement, début 2022, le taux d’intérêt moyen auquel l’État belge allait emprunter était de 1,30 %, alors qu’ aujourd’hui il est de 1,73 %. La différence semble minime, mais la Belgique doit emprunter environ 51 milliards d’euros cette année, et ce 0,43 point de pourcentage supplémentaire fait une grande différence. Et alors que le taux d’intérêt des obligations d’État a augmenté de plus de 3 % au cours de cette période (de 0 à plus de 3 %), le taux d’intérêt moyen n’a augmenté que de 0,40 point de pourcentage jusqu’à présent (de 1,30 à 1,73 %). L’État recevra donc avec retard la facture de la hausse des taux d’intérêt.
La Belgique devra dépenser en moyenne 0,2 % du PIB de plus chaque année pour les taux d’intérêt. Pour la seule année 2023, cela représente une dépense supplémentaire de 1,65 milliard d’euros. Les années suivantes, cela se traduira par une dépense supplémentaire annuelle d’environ 1,5 milliard d’euros. Selon le Bureau du Plan, les charges d’intérêt des pouvoirs publics doubleront au cours des cinq prochaines années pour atteindre près de 18 milliards d’euros. Comme la Commission européenne ne veut pas que les déficits se creusent davantage (il faut au contraire les réduire), il ne reste que deux options : économiser et/ou augmenter les recettes. La facture sera donc finalement supportée par les citoyens et les entreprises.
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