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Boom du télétravail à l’étranger: un gain pour le portefeuille, mais quelles sont les règles?

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Télétravailler à l’étranger pour minimiser les coûts énergétiques et l’impact de l’inflation sur son portefeuille : l’idée se répand de plus en plus chez les employés belges. L’intérêt pour le télétravail dans le sud durant la période hivernale a bondi de 50%, confirme le tour-opérateur TUI. Mais quelles sont les règles à respecter ? Doit-on conclure un contrat spécifique avec son employeur ? Combien de jours peut-on télétravailler sous le soleil? Et qu’en est-il des assurances ? On fait le point.

Un tiers (32%) des Belges preste au moins une journée de télétravail par semaine, selon des données récentes du SPF Mobilité. Soit… quatre fois plus qu’en 2018. Depuis le crise Covid, le homeworking s’est généralisé par la force des choses. Mais il s’est aussi ancré dans les habitudes des entreprises après la crise sanitaire. Rester à la maison pour travailler alourdit cependant la facture énergétique. « Télétravailler coûte cher », résume une étude de Silversquare, selon laquelle presque un Belge sur trois (28%) désire adapter ses habitudes de travail à cause des prix exorbitants de l’énergie. Parmi les sondés, la moitié prévoit de retourner plus souvent au bureau, tandis que trois sur cinq opteraient pour le coworking.

Mais une autre solution fait également beaucoup parler d’elle : télétravailler depuis l’étranger, principalement dans le sud de l’Europe. L’objectif est double : éviter de faire tourner sa chaudière pendant l’hiver et profiter, par la même occasion, d’un coût de la vie moindre.

Un intérêt grandissant pour le télétravail à l’étranger : +50%

Chez le tour-opérateur TUI, on confirme cet intérêt grandissant. « Cette année, par rapport à 2021, on note une augmentation de 50 % pour le programme workation », nous assure Sarah Saucin, porte-parole de TUI Belgique. « Il s’agit d’une offre spécifique pour le télétravail, qui comprend des chambres adaptées, du matériel de bureau, un Wifi performant, etc. »

La crise énergétique a donc poussé de plus en plus de Belges à activer cette piste, qui combine à la fois un gain pour le portefeuille, mais aussi un cadre de travail plus agréable durant quelques semaines hivernales. Par exemple, télétravailler depuis l’Espagne est bel et bien rentable, tous frais compris.

« Suite à l’explosion des prix de l’énergie, beaucoup de personnes actives sur le marché de l’emploi se renseignent pour des longs séjours de trois ou quatre semaines », constate Sarah Saucin. La demande augmente également pour les logements de type appartement ou les simples hôtels. « Pour ces demandes de long séjour, on observe aussi une augmentation de 50%. Il y a une vraie tendance à la hausse. On sent que cet intérêt est grandissant sur le marché », note la porte-parole.

Télétravail: une flexibilité appréciée

Les longs séjours pour télétravailler ne conviennent cependant pas à tous les profils. « Les familles avec enfants ne peuvent pas spécialement se permettre ce type de séjour. C’est par contre tout à fait réalisable pour les personnes indépendantes ou pour les employés dont l’entreprise le permet », ajoute Sarah Saucin.

Chez TUI, le système a d’ailleurs été mis en place au sein même de l’entreprise. Les employés ont le droit de télétravailler 30 jours par an à l’étranger, pour les fonctions qui le permettent. Sans surprise, la plupart des travailleurs choisissent des destinations ensoleillées.

« On s’attend à cette flexibilité de la part des entreprises. Actuellement, pouvoir travailler quand et où on veut devient de plus en plus un standard dans les offres de travail. Cela peut être également un vrai plus pour les employeurs. Je pense qu’on ne va pas renoncer à ce système de sitôt », prédit Sarah Saucin.

Quelles règles avec son employeur ?

Quelles sont donc les règles pour aller travailler sous les tropiques sans embûches ? « Cela doit faire l’objet d’un accord entre l’employeur et le travailleur. On recommande aux deux parties de conclure un avenant au contrat de travail, ce qui est d’ailleurs imposé par la loi », explique Jean-Luc Vannieuwenhuyse, expert juridique chez SD Worx.

Impôts et sécurité sociale

Par ailleurs, le télétravailleur belge ne peut pas travailler indéfiniment depuis l’étranger sans que cela n’ait des conséquences au niveau de la fiscalité. Dans la majorité des pays de l’Union européenne, 183 jours par an (soit l’équivalent de 6 mois, NDLR.) sont autorisés pour le télétravail depuis l’étranger. « En-deçà des 183 jours, la personne reste assujettie à l’impôt en Belgique », confirme Jean-Luc Vannieuwenhuyse.

Il n’en va pas de même concernant la sécurité sociale. « Le travailleur ne peut pas travailler plus de 25% de son temps de travail à l’étranger pour rester assujetti à la sécurité sociale belge. Actuellement, il existe un régime transitoire qui ne tient pas compte des jours prestés à l’étranger pour continuer à payer ses cotisations sociales en Belgique. Mais il devrait en principe expirer en fin d’année ».

En substance, le système fiscal se base d’abord sur le domicile du travailleur. Si l’on télétravaille quelques semaines à l’étranger, même depuis une résidence secondaire, cela ne pose donc aucun problème. « Supposons qu’un employé télétravaille 50 jours en France ou en Espagne, cela ne provoquera pas de changement sur la fiscalité de son contrat. On ne deviendra pas imposable dans ce pays. Si l’on travaille 200 jours en Espagne, alors cela pose un problème, car on dépasse le plafond de 183 jours », stipule l’expert de SD Worx.

« Par contre, si l’on se domicilie à l’étranger, alors on devient imposable dans le pays dès le premier jour de travail. Cette règle de 183 jours peut légèrement varier en fonction du traité fiscal conclu entre la Belgique et le pays en question. Mais les 183 jours sont assez largement répandus dans l’UE », ajoute Jean-Luc Vannieuwenhuyse.

Pour pouvoir télétravailler depuis l’étranger, il faut évidemment que la fonction s’y prête. « L’employeur doit donc marquer son accord, car cela peut donc avoir une conséquence pour lui en termes de payroll (la gestion des salaires, NDLR.), dans le cas où le travailleur part pour une longue durée. »

Assurances et indemnités

Quant aux indemnités de télétravail à l’étranger -comme une compensation financière pour le chauffage et l’électricité, par exemple-, « c’est également quelque chose qu’on doit négocier avec son employeur. Ce n’est donc pas le lieu qui détermine si l’on a droit à une indemnité ou non », précise l’expert juridique de SD Worx.

Même si le risque d’accidents est relativement faible pour les fonctions qui permettent le télétravail, qu’en est-il de l’assurance, normalement comprise dans le contrat de travail? « Il faut également bien informer son employeur que l’on va travailler à l’étranger. En principe, l’assurance pour les accidents de travail ne couvre que les accidents en Belgique. Si l’on oublie d’informer son employeur, l’assurance pourrait dire qu’elle n’était pas informée. La question peut aussi être directement réglée avec l’assurance elle-même. Dans ce cas, il convient alors de déterminer si celle-ci accepte le risque que le travailleur court à l’étranger, et que ce risque soit couvert par la police d’assurance. Et si ce n’est pas le cas, éventuellement la modifier. »

Peut-on adapter ses horaires ?

La possibilité d’adapter ces horaires (en cas de décalage horaire par exemple) est aussi une question qui revient régulièrement sur la table. « Le travailleur peut le demander mais l’employeur n’est pas obligé de l’accepter, au vu des conséquences que cela peut entrainer pour la fonction. Les créneaux horaires doivent donc être clairement définis entre l’employeur et le travailleur en tenant compte d’un éventuel décalage horaire et de la disponibilité demandée au travailleur », explique Jean-Luc Vannieuwenhuyse

Par ailleurs, le travailleur n’est pas toujours conscient que la couverture sociale dans les pays voisins n’est pas la même qu’en Belgique. Et le taux de cotisations à payer non plus. « Cela peut faire rêver les gens d’aller travailler sur la plage, mais il faut aussi réfléchir aux conséquences pratiques que cela peut engendrer. On conseille donc de faire une annexe au contrat de travail, dans laquelle les modalités du contrat du télétravail sont bien définies, en plus de l’aspect fiscalité et sécurité sociale », conclut le spécialiste.  

Qu’en pensent les managers ?

« L’élargissement de l’offre en matière de flexibilité et d’avantages extralégaux est et restera absolument crucial dans la personnalisation de l’enveloppe salariale en fonction des besoins des employés dans la société actuelle », note le spécialiste du recrutement Robert Half.

Les entreprises ne semblent pas contre cette idée. « Les entreprises sont ouvertes à l’idée d’offrir d’autres formes de flexibilité : la semaine de travail réduite (54 %), le télétravail (partiel) à l’étranger (54 %) et l’allongement du temps de travail hebdomadaire pour plus de congés (28 %) sont les formes les plus populaires figurant en tête des priorités des managers belges », détaille Robert Half.

En télétravaillant en Belgique, la facture énergétique s’alourdit

Les prix de l’énergie grimpent en flèche et cela aura également des conséquences sur le surplus à payer par le télétravailleur. Si le travail à domicile engendre de tout temps une consommation d’énergie accrue, la note risque d’être plus salée cet hiver que lors du premier hiver de la crise du coronavirus, par exemple. Wikipower, la société qui établit des comparatifs de prix sur l’énergie, prédit une hausse comprise entre 22 et 34 euros mensuels pour un Bruxellois ou un Wallon pour une consommation d’énergie moyenne à raison de 8 heures par jour pendant 20 jours par mois.

Qui doit supporter les frais du télétravail ?

Actuellement, le défraiement du télétravail n’est pas obligatoire pour les travailleurs du privé alors que dans la fonction publique, il existe une indemnité de 50 euros si le travailleur fait 4 jours de télétravail sur le mois.

« Malheureusement, les partenaires sociaux n’avancent pas » sur cette question, regrette Pierre-Yves Dermagne, ministre fédéral de l’Economie et de l’Emploi. « Il n’est pas normal que le travailleur doive supporter les frais pour travailler. Le télétravail se fait sur base volontaire pour le travailleur! Et son accord doit être acté dans une convention écrite. Cela reste le choix du travailleur », ajoute-t-il.

Le débat sur le télétravail est revenu à l’agenda politique dans le contexte de la hausse des prix de l’énergie, mettant en évidence des intérêts divergents entre employeur et employé. Par exemple, selon L’Echo, l’entreprise Umicore a demandé à ses employés de travailler à domicile le vendredi pour pouvoir couper le chauffage trois jours consécutifs.

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