Taux d’intérêt: votre épargne va-t-elle enfin vous rapporter plus ? (analyse)
En chœur, ou presque, les partis de la Vivaldi pressent les banques de relever leurs taux d’intérêt sur les livrets d’épargne réglementés. Certains voulant même les y contraindre. Et tous se disant que, par les temps qui courent, il y a là quelques points à engranger à un an des élections.
Sept depuis juillet dernier. Sept hausses des taux d’intérêt directeurs décidées par la Banque centrale européenne (BCE), passant de – 0,5% à 3,25% pour les dépôts. Et on en attend, ces jours-ci, une huitième. Chaque fois pour (tenter de) contrecarrer l’inflation dans la zone euro, soit l’envolée des prix depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022. Ces décisions impliquent notamment que l’argent déposé par les banques dans leur Banque nationale leur rapporte désormais davantage. Pour la même raison, l’argent que l’épargnant a déposé dans ces banques devrait lui rapporter plus aussi, puisque, traditionnellement, les différentes enseignes suivent le mouvement amorcé par la BCE. Sauf que, à quelques menues exceptions, ce n’est pas le cas en Belgique.
C’est tentant d’accrocher une plume au chapeau de la Vivaldi qui, pour le moment, n’en est pas très garni.» Caroline Sägesser (Crisp)
Hormis Belfius, aucune grande banque n’a relevé ses taux. Et si l’institution dont l’Etat est actionnaire à 100% y a consenti, c’est sans se fouler: + 0,40%, en moyenne. D’autres ont annoncé une hausse, de 0,35% à 2%, mais elles ne font pas partie des Big Four (Belfius, BNP Paribas, ING, KBC): MeDirect, NIBC Direct, VDK, Deutsche Bank et Keytrade alors que Santander Consumer Bank lance un compte à terme à 2,80% brut pour une échéance de trois ou quatre ans. Sinon, les grandes enseignes ont répercuté la hausse des taux sur les nouveaux prêts hypothécaires, les fixant autour de 4%, mais pas sur les comptes d’épargne, les maintenant entre 0,90% et 1,40%. Pile au moment de la publication des résultats 2022 du secteur: bénéfice record de plus de dix milliards d’euros.
Taux d’intérêt: tir groupé politique et gros dos bancaire
De quoi énerver jusqu’à la classe politique, presque à l’unisson (le MR demeure très discret sur la question). Ainsi, Ecolo propose «une augmentation automatique du taux d’intérêt de l’épargne lorsque les taux internationaux augmentent» et d’obliger les banques à appliquer un «taux protégé estimé aujourd’hui à 3%» pour un plafond d’épargne de dix mille euros, sachant que, jusqu’ici, la seule contrainte légale pour les banques est de ne pas appliquer de taux en dessous de 0,11%. Le ministre de l’Economie, Pierre-Yves Dermagne (PS), a demandé un examen des services du secteur bancaire à l’Autorité belge de la concurrence dans l’objectif d’en proposer «de meilleurs, à des prix compétitifs, notamment au sujet des taux d’intérêt des comptes d’épargne», fin octobre, maximum, et souhaite que le gouvernement intervienne sans attendre «pour imposer des taux d’intérêt plus élevés en faveur des épargnants». Vooruit, le parti socialiste flamand, plaide pour «obliger les banques à augmenter leurs taux d’épargne». Le ministre des Finances, le CD&V Vincent Van Peteghem, a mis en demeure, par courrier, Febelfin, la fédération bancaire, pour qu’une augmentation des taux soit appliquée mais sans action contraignante. Alexia Bertrand, Open VLD et secrétaire d’Etat au Budget, est sur la même ligne: la pression sur les banques, oui ; l’augmentation du taux d’intérêt minimal, non, ou alors comme «arme ultime». Le Premier ministre, Alexander De Croo, avertit: soit les banques agissent, soit on les fait agir.
Réaction de Febelfin: si on augmente les taux sur les comptes d’épargne, on court à la catastrophe. Parce qu’«il y a environ trois cents milliards de dépôts réglementé». Et donc, «une augmentation de 1% coûte trois milliards au secteur». Ce n’est pas ça qui le mettra sur la paille, rétorque notamment Eric Dor, directeur (belge) des études économiques à l’IESEG School of Management (Paris, Lille): «Les banques belges ont 262 milliards de liquidités excédentaires sur les facilités de dépôt à la BNB. Sur lesquelles elles reçoivent un taux de 3%. Il y a donc des marges pour qu’elles puissent augmenter les taux sur les dépôts d’épargne.»
Légitimité et aubaine
Bref, grosse phase de crispation. Sur fond de quasi- unanimité politique. «Dans cette Vivaldi, c’est suffisamment rare pour être épinglé, relève Caroline Sägesser, du Centre de recherche et d’information sociopolitiques (Crisp). En fait, le sujet paraît particulièrement légitime puisque tout un chacun constate que ses taux d’intérêt sur les comptes d’épargne sont inférieurs à l’inflation, alors qu’ils ont fortement augmenté pour les crédits. Et puis, nous nous trouvons à un an du scrutin fédéral et régional: j’imagine que ça doit être particulièrement frustrant pour la coalition et son Premier ministre de constater qu’après avoir fait beaucoup pour maintenir le pouvoir d’achat de la population – on a supporté les indexations des salaires sans qu’il y ait de suspension du mécanisme, on a payé les prix de l’énergie, ça a coûté cher aux finances publiques –, les gens ressentent davantage la hausse des prix que l’indexation des salaires et des allocations, et donc sont persuadés que ce gouvernement n’a pas fait grand-chose. Alors les taux d’intérêt sur l’épargne sont une occasion de faire quelque chose de très concret, pour l’ensemble de la population puisque à peu près tout le monde a un compte d’épargne. La thématique est porteuse dans la perspective des élections de juin prochain. C’est tentant d’accrocher une plume au chapeau de la Vivaldi qui, pour le moment, n’en est pas très garni.» Mais est-ce au politique de jouer? «Le principe est déjà là puisque un arrêté royal impose aux banques un taux minimal. Donc, c’est légitime. La question est plutôt de savoir jusqu’où on intervient.»
Par ailleurs, le raisonnement selon lequel si quand ça va mal, les banques se tournent vers le politique pour qu’il leur sauve la mise (comme en 2008 chez nous ou plus récemment en Suisse), il n’y a pas de raison que le politique ne les houspille pas quand elles poussent le bouchon un peu loin «se tient, tout simpliste qu’il soit. On ne peut pas demander au contribuable de mettre la main à la poche pour sauver les banques quand elles sont menacées puis lui dire qu’il ne doit pas se plaindre si elles pratiquent des tarifs de plus en plus chers ou rémunèrent son épargne à un taux ridicule.»
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