Rebond des taux sur les crédits hypothécaires: «L’anormalité de la situation ne signifie rien de catastrophique»
Les taux d’intérêt diminuent sur les comptes d’épargne mais augmentent sur les crédits hypothécaires. Pour quelles raisons? A quoi s’attendre dans les prochains mois? Voici ce qu’en disent les économistes.
Quand la Banque centrale européenne (BCE) abaisse ses taux directeurs, comme ce 30 janvier, la nouvelle est en principe bonne pour l’emprunteur et mauvaise pour l’épargnant, puisque les taux d’intérêt suivent la même trajectoire. De juin à décembre 2024, ses quatre ajustements à la baisse, ramenant les taux de dépôt à 3%, ont entraîné une diminution généralisée de la rémunération sur l’épargne. En parallèle, les taux d’intérêt des crédits hypothécaires ont eux aussi suivi une courbe descendante. En conséquence, l’an dernier, le nombre de demandes de crédit (hors refinancements) a connu une augmentation de 10% par rapport à 2023, révèle Febelfin, la fédération belge du secteur financier. «Les taux d’intérêt ont joué un rôle majeur dans l’évolution constatée l’an dernier», confirme-t-elle.
Une inflation persistante
En ce début d’année, pourtant, la donne a changé. Alors que les banques continuent de réduire les taux des comptes d’épargne, les intérêts sur les crédits hypothécaires repartent à la hausse depuis novembre dernier. «Une situation dans laquelle les taux courts baissent et les taux longs augmentent n’est pas courante, reconnaît Philippe Ledent, économiste chez ING. C’est toutefois celle qu’on observe actuellement dans les marchés financiers.» Le 30 janvier, la BCE a confirmé une nouvelle baisse de 0,25 point de pourcentage de ses taux de dépôt. Si une telle annonce affecte les taux courts, tels que ceux appliqués aux comptes d’épargne, elle n’influence pas nécessairement ceux des crédits hypothécaires, fixés sur un horizon plus lointain. «Un taux long n’est rien d’autre qu’une anticipation de ce que seront les taux courts à l’avenir, résume Philippe Ledent. Or, voyant que l’inflation met plus de temps à s’atténuer, les marchés se rendent compte qu’il y aura sans doute moins de baisses de taux que ce qu’ils avaient anticipé et déjà intégré.» La baisse des taux d’intérêt sur les crédits hypothécaires en 2024 reflétait donc un optimisme qui s’est tari, d’où leur récent rebond.
Malgré la résistance de l’inflation, qui a repassé la barre des 4% en Belgique en janvier, la BCE maintient néanmoins dans un communiqué qu’elle devrait «revenir au niveau de l’objectif du Conseil des gouverneurs de 2% à moyen terme dans le courant de l’année». En revanche, ce dernier «ne s’engage pas à l’avance sur une trajectoire de taux particulière». La prudence reste donc de mise.
Un risque de crédit plus élevé
Bien plus que les décisions monétaires du moment, ce sont essentiellement les risques de crédit qui influencent les taux longs. «Quand le contexte économique se détériore, le risque pour une banque de ne pas récupérer la totalité de son argent prêté à un Etat, à une entreprise ou à un particulier, croît», commente Bruno Colmant, économiste et membre de l’Académie royale de Belgique. Or, les nouvelles ne sont guère bonnes à cet égard. Peu avant l’annonce de la réduction des taux de la BCE, Eurostat faisait état d’une croissance nulle à l’échelle de la zone euro au quatrième trimestre 2024, marquée par un recul du PIB de la France et de l’Allemagne. Les marchés s’inquiètent en outre de l’endettement des pouvoirs publics, qui continue de se creuser à travers l’Europe. Mais aussi de certaines mesures annoncées par Donald Trump. En prévoyant une hausse des droits de douane, le président américain laisse entrevoir une guerre économique contre l’Europe, dont l’industrie déjà en difficulté ne sortirait pas gagnante. Cette manœuvre protectionniste pourrait également entraîner un retour de l’inflation aux Etats-Unis et, par effet de contagion, en Europe.
Les taux d’intérêts moyens sur les crédits hypothécaires sont loin d’être homogènes entre les pays européens. «Le taux long de référence en Belgique est celui auquel l’Etat emprunte à dix ans, précise Philippe Ledent. Il dépend des anticipations de taux, mais aussi de la prime de risque du marché associée à la Belgique. Pour le moment, celle-ci a légèrement augmenté, du fait de la situation politique et de l’état des finances publiques. Mais ce n’est rien par rapport à ce qu’il arriverait si le marché n’avait plus confiance en l’Etat belge.» En novembre dernier, le pays affichait l’un des taux les plus faibles (2,97%) de la zone euro pour les crédits immobiliers assortis d’une période initiale de fixité du taux de plus de 10 ans. Bien qu’il porte sur les crédits à taux variable, cet indicateur offre un bon aperçu des tendances du marché.
«Il y a peut-être un effet de rattrapage et de précaution derrière les hausses de taux observées aujourd’hui.»
Bruno Colmant
Economiste et membre de l’Académie royale de Belgique
A quoi s’attendre dans les prochains mois?
En 2025, «la rémunération de l’épargne devrait continuer à fléchir, avance Bruno Colmant. Les taux hypothécaires, eux, ne devraient ni descendre ni augmenter de manière conséquente. Mon sentiment très personnel, c’est que les banques ont trop longtemps octroyé des crédits à des taux d’intérêt trop bas, sans s’apercevoir que l’économie allait se détériorer. Il y a peut-être un effet de rattrapage et de précaution derrière les hausses de taux observées aujourd’hui.» D’après Philippe Ledent, le potentiel de baisse des taux longs s’annonce très limité par rapport aux niveaux de novembre dernier. «Pour qu’ils diminuent plus fortement que les fluctuations standard, il faudrait que le marché anticipe des baisses de taux très fortes de la banque centrale. Or, je crains que la seule raison qui puisse justifier cela, ce soit une récession. Ce n’est toutefois pas notre scénario. L’anormalité de la situation actuelle ne signifie rien de catastrophique.»
Même si elle est loin de renouer avec les sommets de 2023, la remontée des taux d’intérêt de ce début d’année vient doucher les espoirs des ménages qui espéraient une baisse plus conséquente que celle engrangée en 2024. Dans un contexte économique et politique empreint d’incertitudes, l’époque de taux planchers de 2020 à 2022 semble plus que jamais révolue.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici