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Pourquoi sommes-nous obsédés par notre pension? Les raisons derrière cette angoisse collective
Tout le monde se rue sur mypension.be, constate le sociologue Ignace Glorieux (VUB), en oubliant que nous devons collectivement faire face au vieillissement de la population. «Mais la panique autour des pensions que l’on observe aujourd’hui est aussi le résultat de quarante ans d’alarmisme».
Pourquoi cette obsession pour notre pension? Le 13 février dernier, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté, probablement pas pour la dernière fois, contre les mesures socio-économiques du gouvernement De Wever, dont la très controversée réforme des pensions. De nombreux experts considèrent ces projets de réforme comme prudents et mis en œuvre de manière progressive. Pourtant, ils suscitent une colère intense, comme un drap rouge agité devant un taureau. Les articles traitant des pensions sur le site du Vif sont souvent plus lus que ceux consacrés à Gaza ou Donald Trump.
Dans les médias, des jeunes dans la vingtaine, la trentaine et la quarantaine témoignent de leur crainte de devoir travailler plus longtemps. Ils présentent des calculs précis – comme si leur carrière et leur avenir étaient déjà figés – sur la perte de pension attendue. Ces préoccupations sont compréhensibles pour ceux qui approchent de la retraite et veulent savoir à quoi s’attendre. Elles le sont aussi pour ceux qui aspirent à la pension parce qu’ils exercent un travail physiquement éprouvant ou souffrent de problèmes de santé.
Pourquoi les jeunes s’inquiètent-ils autant pour leur retraite? Pourquoi le financement de la vieillesse est-il devenu une obsession collective, y compris pour des jeunes en pleine force de l’âge? Ont-ils peur de finir leurs dernières années dans la pauvreté? L’attention politique et médiatique portée au vieillissement de la population, ainsi que la pression sur les services de soins, nourrissent-elles une angoisse collective? Ou bien sommes-nous tous en train de compter les années jusqu’à notre retraite, simplement parce que la charge de travail est souvent trop lourde et les emplois ennuyeux?
Moi contre l’Etat
«Quand j’étais jeune, dans les années 1980 – une période de crise marquée par un chômage de masse et de lourdes restrictions budgétaires – nous pensions: d’ici à ce que nous atteignions l’âge de la retraite, il n’y aura plus d’argent de toute façon. Nous ressentions plutôt une forme de résignation qu’une véritable inquiétude.» C’est ce que raconte Ignace Glorieux, professeur de sociologie à la VUB.
Le vieillissement est une évolution démographique à laquelle nous devons faire face collectivement.
Ignace Glorieux
professeur de sociologie
«C’est une grande différence avec les gens d’aujourd’hui, qui réfléchissent consciemment et en détail à leur vieillesse. Ils connaissent le prix d’une maison de repos. Ils se demandent s’ils devront puiser dans leur épargne pour y faire face. Ce qui, en soi, n’est pas un problème pour beaucoup, car ils possèdent une maison, un petit pécule pour plus tard. Pourtant, beaucoup semblent penser que l’Etat doit tout financer. J’ai récemment eu une discussion avec un ami qui ne réalisait même pas que la moitié du coût d’une maison de repos est déjà prise en charge collectivement.»
Pour Ignace Glorieux, le vrai problème dans le débat sur les pensions est que les gens l’analysent quasiment uniquement sous un prisme individuel. Tout le monde se rue sur mypension.be, où l’on peut consulter son dossier de pension en ligne, mais oublie que le vieillissement est une évolution démographique à laquelle nous devons faire face collectivement. «Cette idée domine: moi contre l’Etat. Je suis un client de l’Etat et j’ai droit à une bonne pension. Mais en réalité, nous sommes l’Etat. »
Un enrichissement
Une grande différence avec les générations précédentes est que les gens vivent plus longtemps aujourd’hui et ont des attentes plus élevées concernant leur retraite. «Les générations précédentes n’attendaient pas grand-chose de leur vieillesse. Aujourd’hui, lorsque les gens prennent enfin leur retraite, ils veulent être actifs, aller au restaurant, voyager… Mais une pension de 1.800 euros suffit à peine pour vivre, encore moins pour se permettre des extras. Cela génère de l’angoisse et de la frustration.»
Ignace Glorieux a également mené des recherches sur l’usage du temps chez les personnes âgées. Prendre sa retraite peut être un choc pour certaines personnes, en particulier pour les hommes, car la disparition du travail entraîne une perte de sens. De plus, le taux de divorce chez les plus de 70 ans augmente rapidement. Cependant, les premières années de la retraite sont, en moyenne, une période heureuse et «enrichissante», affirme le sociologue.
«Dans cette perspective, il est tout à fait rationnel que les gens attendent leur retraite avec impatience et préfèrent partir plus tôt que tard. Durant les premières années de la retraite, les gens passent plus de temps à l’extérieur, jardinent, s’intéressent à la musique, entretiennent davantage de contacts sociaux avec leurs amis et leur famille, bougent plus et, s’ils en ont les moyens, voyagent fréquemment. Autour de 75 ans, cela change progressivement en raison de la santé physique. Le champ d’activités se rétrécit, les gens restent davantage chez eux et des choses comme la télévision prennent plus d’importance. »
Epargne-pension
«Il s’agit bien sûr de votre revenu futur», déclare Jozef Pacolet, professeur émérite d’économie à la KU Leuven. Dans cette perspective, il comprend que les gens s’inquiètent de ce qui les attend dans 30 ou 40 ans. «Mais la panique autour des pensions que l’on observe aujourd’hui est aussi le résultat de quarante ans d’alarmisme, depuis les années 1980 en réalité. J’utilise pour cela l’expression FUD : Fear, Uncertainty and Doubt (Peur, Incertitude et Doute).» Selon Jozef Pacolet, cela revient à semer la peur, l’incertitude et le doute dans l’opinion publique quant à la viabilité et à la soutenabilité du système de pension. «Surtout depuis que l’Etat et le secteur financier ont commencé à promouvoir activement le deuxième pilier des pensions pour les salariés et les indépendants.»
«Pensez aussi à l’épargne-pension, qui n’est en réalité qu’un produit d’épargne subventionné, grâce auquel les banques ont remporté un véritable ticket gagnant à la loterie. Il y a dix ans, un nouveau collaborateur de seulement 23 ans est venu me demander quelle formule d’épargne-pension il devait choisir. On peut dire que l’épargne-pension est la meilleure campagne de marketing financier de tous les temps!»
Augmenter l’âge de la retraite, ce n’est pas une réforme, c’est une mesure d’austérité.
Jozef Pacolet
professeur émérite d’économie
Jozef Pacolet comprend que les réformes des pensions du gouvernement De Wever suscitent des inquiétudes. D’une part, parce qu’elles manquent de transparence selon lui, et d’autre part, parce qu’elles reposent sur des choix discutables. «Il est écrit dans les étoiles que l’âge légal de la retraite devra encore être relevé après 2030, au-delà de 67 ans.» «Ce point n’est pas mentionné dans l’accord de gouvernement, mais les citoyens ne sont pas dupes. De plus, la novlangue utilisée dans cet accord devrait être abandonnée. Augmenter l’âge de la retraite – c’est-à-dire exiger des travailleurs qu’ils travaillent plus longtemps pour percevoir leur pension – ce n’est pas une réforme, c’est une mesure d’austérité.»
Jozef Pacolet défend un système de pension légal robuste. «Avec le vieillissement de la population, cela nous coûtera quelques points de pourcentage supplémentaires de notre produit intérieur brut, mais ce n’est absolument pas impayable. C’est même logique, puisque la part des plus de 65 ans dans la population passera de 20% aujourd’hui à 28% d’ici 2070.» Plutôt que de mettre encore plus d’œufs dans le panier du deuxième pilier des pensions, comme le prévoit le gouvernement De Wever, il met en garde: «Si les employeurs doivent y consacrer davantage de moyens, ils remettront en question l’indexation des salaires. Vous pouvez en être sûr.»
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