Pourquoi les Suédois veulent aller en maison de retraite: « C’est comme vivre dans un hôtel de luxe »
L’essentiel
– En Suède, les personnes âgées ne craignent pas de devoir aller vivre en maison de retraite.
– Les résidents de centres de soins résidentiels ont un contrôle étendu sur leur vie quotidienne et leur lieu de vie.
– La prévention et les soins à domicile sont privilégiés afin de permettre aux personnes âgées de rester chez elles le plus longtemps possible.
– Les maisons de retraite suédoises accordent une grande importance à la qualité de l’alimentation, au rythme individuel et aux choix des résidents.
– Elles bénéficient de ressources financières plus importantes que leurs homologues belges.
Alors que la plupart des Belges sont mal à l’aise à l’idée de devoir déménager dans une maison de retraite, les personnes âgées suédoises, elles, ne sont pas du tout effrayées. Les soins aux personnes âgées sont-ils tellement meilleurs dans le Grand Nord? Et quelles leçons les centres de soins résidentiels belges peuvent-ils en tirer? Reportage en Suède pour le découvrir.
« J’étais aux anges lorsque j’ai appris que je pouvais venir vivre ici », déclare Anna-Greta Anglund (89 ans). Il y a un an, elle a emménagé à Lilldal, une maison de retraite située à Kållekärr, sur l’île suédoise de Tjörn: « La nourriture est excellente, je reçois les meilleurs soins et je peux faire tout ce que je veux. C’est comme vivre dans un hôtel de luxe. »
Pourtant, ce n’est pas la première chose qui vient à l’esprit en arrivant à Lilldal. De l’extérieur, le bâtiment semble plutôt délabré: pas de réception, et la minuscule entrée est bloquée par une femme appuyée sur son déambulateur qui hurle dans un téléphone.
Anglund n’est pas la seule à se réjouir de son lieu de résidence. Contrairement à ce qui se passe en Belgique, la plupart des personnes âgées en Suède ont une image plutôt positive des centres de soins résidentiels. Lorsqu’elles ne parviennent plus à vivre seules, elles se rendent en toute confiance dans une maison de retraite.
C’est le cas des résidents de Tjörn, le berceau du modèle Tubbe. Cela signifie que les résidents des centres de soins résidentiels ont un contrôle étendu sur leur vie quotidienne et sur leur lieu de vie. Depuis cinq ans, la Fondation Roi Baudouin tente d’introduire le modèle Tubbe en Belgique. Tandis que 91 centres de soins résidentiels flamands appliquent ce modèle.
Mieux chez soi
En Suède, la politique du troisième âge est organisée de manière tout à fait différente. Le gouvernement national a tracé les grandes lignes, mais ce sont les conseils municipaux qui sont chargés de les compléter. Ils peuvent ainsi adapter l’offre et les prix aux besoins de la population locale. Et ceux-ci sont très différents dans la campagne de Tjörn et à 60 kilomètres de là, à Göteborg. La seule constante, comme en Belgique, est que tout est mis en œuvre pour permettre aux personnes âgées de vivre à domicile le plus longtemps possible. « Il est beaucoup moins coûteux pour les pouvoirs publics d’entourer les gens de soins à domicile que de les envoyer dans un centre de soins résidentiels », répète-t-on sans cesse.
Beaucoup de temps et d’argent sont donc investis dans la prévention. « Chaque fois qu’un habitant de Tjörn atteint l’âge de 80 ans, nous proposons d’envoyer une infirmière lui rendre visite », explique Lilian Hansson, responsable de la santé et de l’aide sociale à la municipalité de Tjörn. S’il s’avère qu’ils ont besoin de quelqu’un pour aller chercher les courses ou faire les tâches ménagères, par exemple, l’infirmière s’en chargera ».
En surveillant correctement les personnes âgées de plus de 80 ans, Mme Hansson affirme qu’elles peuvent rester chez elles plus longtemps. « En général, les gens ne s’installent dans l’un de nos centres de soins résidentiels qu’à l’âge de 84 ans ou plus, dit-elle. S’ils arrivent ici plus tôt, je pense que nous n’avons pas été à la hauteur.«
Plus de temps
Récemment, cinq résidents du réseau de soins résidentiels de Flandre occidentale BEN, travaillant avec le modèle Tubbe depuis des années, se sont rendus en Suède avec un groupe de membres du personnel. Au cours de la même période, une douzaine de soignants flamands en formation y ont également effectué un stage. « La plus grande différence avec les centres de soins résidentiels flamands, c’est qu’ici, on consacre beaucoup plus de temps aux résidents », explique Myrthe Vanhee, étudiante en septième année de soins à domicile et aux personnes âgées à MMI Kortemark. « Chez nous, si vous devez habiller quelqu’un, vous sortez rapidement quelques vêtements de l’armoire. Ici, on attend d’un résident qu’il choisisse parmi cinq ou six tenues ».
Pour les soignants habitués à travailler sous pression constante, il faut s’habituer à cette situation. « Lors de notre première journée de stage, nous voulions nous retrousser les manches tout de suite, mais ce n’est pas comme ça que les choses se passent ici, explique Anouck Spruytte, stagiaire. D’abord, l’équipe de nuit et l’équipe de jour boivent une tasse de café ensemble tout en discutant du travail et des résidents. Je n’avais jamais vécu cela auparavant. »
Maison de retraite en Suède: rythme individuel et nourriture de qualité
À Lilldal, qui peut accueillir 29 résidents permanents et six résidents temporaires, le personnel soignant ne reçoit pas non plus le matin une liste des noms des personnes qu’il doit laver et habiller dans les heures qui suivent. « Cela ne fonctionnerait pas, car chacun vit à son propre rythme. Certains résidents se lèvent à l’aube, tandis que d’autres préfèrent se doucher le soir pour pouvoir dormir tranquillement le matin. Pour faciliter cela, le buffet du petit-déjeuner est servi entre 7h30 et 10h30. Le choix est vaste: du pain au fromage, en passant par les œufs, les légumes et le poisson », explique M. Spruytte. Si les résidents veulent quelque chose d’autre, ils n’ont qu’à le demander.
Sture Bohlin (96 ans), qui vit à Lilldal depuis moins d’un an, trouve que sa vie n’a guère changé depuis qu’il y a emménagé. Tout au long de l’année, il fait une longue promenade dans le quartier de la maison de retraite après le petit-déjeuner, en s’appuyant sur son déambulateur. Régulièrement, il se rend ensuite au supermarché local pour acheter des pepparkokar, des biscuits suédois typiques à base de pain d’épices. « Je les préviens toujours de mon départ, pour qu’ils ne s’inquiètent pas, dit-il. Mais je ne dis jamais où je vais, car cela ne regarde personne.«
« Je les préviens toujours de mon départ, pour qu’ils ne s’inquiètent pas, dit-il. Mais je ne dis jamais où je vais, car cela ne regarde personne.«
Sture Bohlin veille à être de retour à temps pour le déjeuner, qui est servi dans la salle à manger commune à 13 heures. Les résidents n’ont pas d’assiette pleine devant eux, mais peuvent se servir – ou sont aidés à le faire – dans des bols placés sur la table. Comme à la maison. Ce qui enthousiasme les résidents de Lilldal et leurs visiteurs flamands. « Non seulement il y a beaucoup de choix, mais tous les plats sont préparés sur place. J’apprécie chaque repas, mais il y en a beaucoup, s’amuse Anna-Greta Anglund. Le matin et l’après-midi, il y a le fika (NDLR: une coutume suédoise qui consiste à se retrouver autour d’un café et d’un gâteau) avec différentes sucreries, comme les gâteaux à la crème ou les roulés à la cannelle. Et le soir, nous prenons également un en-cas avant d’aller nous coucher ». Ceux qui auraient encore faim entre-temps, peuvent simplement entrer dans la cuisine et de demander à un membre du personnel de leur faire cuire un œuf. « Dans la plupart des centres de soins résidentiels belges, la cuisine est complètement fermée la nuit, expliquent les stagiaires. Si un résident a faim à dix heures du soir, nous ne pouvons même pas lui donner un sandwich ou un yaourt. »
Si tant de repas sont organisés, ce n’est pas parce que les personnes âgées suédoises auraient un appétit supérieur à la moyenne. « En invitant nos pensionnaires plusieurs fois par jour – ce n’est pas une obligation – à s’asseoir ensemble à table, ils sortent ainsi plus facilement de leur appartement et se font plus rapidement des amis », explique Sara Johansson, directrice des centres de soins résidentiels de Lilldal et Tubberödshus. Les résidents sont autorisés à rester à table aussi longtemps qu’ils le souhaitent et leur assiette n’est pas emportée dès qu’ils ont avalé la dernière bouchée, comme c’est le cas dans de nombreux centres de soins résidentiels belges. Mais la plus grande différence réside peut-être dans le fait que le personnel se joint tout simplement à eux. « Pendant les repas, nous attendons du personnel soignant qu’il reste à table avec les résidents pendant au moins une heure, explique Mme Johansson. C’est la meilleure façon d’apprendre à les connaître. De plus, les aides-soignants aident à maintenir la conversation, car pour beaucoup de résidents, elle n’est plus aussi naturelle. »
Une maison de retraite décorée de bougies et de tapis
De la salle à manger aux appartements des résidents, en passant par les salles de séjour et les nombreux coins salons, tout a l’air tout aussi accueillant. Pas d’ustensiles de nettoyage dans les couloirs, ni de chariots de soins contenant des médicaments et du matériel médical. Les résidents les conservent simplement dans leur propre appartement, comme on appelle les chambres à Lilldal. Les aides-soignants, quant à eux, portent simplement leur chemise de travail bleue ou violette sur un jean ou un pantalon de jogging. Certains se promènent dans les couloirs en tongs. « Tout cela fait que l’on n’a absolument pas l’impression de se trouver dans un établissement de soins. Les règles sont moins strictes qu’en Belgique à tous les égards, explique Anna Sap, stagiaire. Par conséquent, on se sent beaucoup plus à l’aise ici, mais c’est aussi plus désordonné et moins hygiénique. On voit parfois une épaisse couche de poussière sur une armoire, mais cela ne semble poser de problème à personne ».
Est-ce que je peux décorer mon appartement comme je l’entends? C’est une drôle de question. Bien sûr que je peux. Je paie un loyer, non?
Certains appartements ont l’air très sobres et ordonnés, tandis que d’autres sont remplis de meubles, de livres, de photos ou autres souvenirs. Dans la caverne de Sture Bohlin, il y a des magazines, des cahiers et des ustensiles d’écriture partout. « Est-ce que je peux décorer mon appartement comme je l’entends? C’est une drôle de question, répond-il. Bien sûr que je peux. Je paie un loyer, non? » En effet, à Lilldal, les « locataires » décident eux-mêmes de la décoration de leur chambre. Seuls le lit surélevé et l’élévateur de plafond ne sont pas négociables. Mais un tapis au sol? Pas de problème. Des bougies pour le confort? Bien sûr.
Mais c’est surtout le solarium qui suscite l’envie des visiteurs belges. Dans cette petite pièce, où quelques chaises de jardin et un bar à cocktails ont été installés, les résidents peuvent se réchauffer sur des panneaux lumineux spéciaux qui les aident à maintenir leur taux de vitamine D sans être exposés aux rayons UV. Très utile durant les longs et sombres hivers suédois.
Une pression de travail plus faible
Une autre différence notable avec la Belgique est que les centres de soins résidentiels de Tjörn comptent en moyenne 0,6 employé à temps plein par résident, contre 0,4 en plat pays. La pénurie de personnel n’est pas non plus aussi aiguë: la plupart des postes vacants peuvent être pourvus relativement rapidement. Non que les jeunes Suédois soient plus nombreux à choisir des professions de soins, mais les départs sont par contre moins nombreux. « Dans nos centres de soins résidentiels, il arrive régulièrement que le personnel soignant reste en poste jusqu’à l’âge de 67 ans, de son propre chef », explique Lilian Hansson. Le travail serait beaucoup moins exigeant. « En Belgique, nous sommes habitués à travailler vite et bien. Nous n’avons jamais le temps de nous asseoir, explique Anna Sap. Ici, s’asseoir et parler aux résidents fait partie de nos tâches. »
Les établissements de santé suédois investissent également beaucoup dans l’ergonomie, afin de rendre le travail moins exigeant physiquement. À Lilldal, presque toutes les chaises ont des roulettes, de nombreuses tables sont réglables en hauteur et les pieds des tables à manger sont placés au milieu, de sorte que les fauteuils roulants peuvent facilement être glissés dessous. Il s’agit non seulement de ménager le personnel, mais aussi de permettre aux résidents de continuer à faire le plus de choses possible par eux-mêmes.
Tous ces résidents satisfaits et ces travailleurs motivés coûtent cher à la société suédoise. Les personnes âgées elles-mêmes paient moins pour leur séjour dans un centre de soins résidentiels qu’en Belgique, mais le gouvernement contribue beaucoup plus par résident. Par conséquent, les centres de soins résidentiels disposent de beaucoup plus de moyens de fonctionnement qu’en Flandre ou en Wallonie. Autre raison pour laquelle il n’est pas évident d’offrir aux résidents belges autant de liberté et de confort qu’en Suède: les réglementations rigides en matière de sécurité, d’hygiène et de personnel. Ou comme le résume un soignant flamand : « Pour que nos résidents aient vraiment leur mot à dire, nous devons nous aussi bénéficier d’une liberté et d’une confiance suffisantes. Sinon, je crains que ce que nous avons vu en Suède ne reste un rêve lointain pour de nombreux Belges. »
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