Pourquoi de plus en plus de Belges refusent leur héritage : « Certains ignorent le potentiel à la clé »
Refuser son héritage devient monnaie courante en Belgique. La procédure a le vent en poupe, et s’explique par diverses raisons. Mais elle ne règle pas tous les problèmes. « On reporte juste la dette sur la tête de quelqu’un d’autre. »
La tendance est sans équivoque. Les Belges rejettent de plus en plus leur héritage. L’année passée, près de 52.000 personnes ont y ont renoncé, selon les chiffre de la Fédération du notariat (Fednot), contre 49.532 en 2021. Depuis 2018, ce nombre a augmenté de 44%. Il y a cinq ans, les renonciations (qui sont gratuites) s’élevaient à 35.992. Ce chiffre est passé de 45.505 à 46.165 entre 2019 et 2020. Pour l’année 2023, la fédération a déjà recensé 38.632 refus de succession jusqu’en septembre.
Héritage refusé : comment expliquer la tendance à la hausse?
Dès lors, comment peut-on expliquer cette tendance à la hausse ? Les causes sont triples, expose Me Sylvain Bavier, porte-parole de notaire.be.
- « Le premier facteur s’explique par la meilleure sensibilisation de tout un chacun au droit successoral. Avant, il s’agissait d’une compétence relative aux tribunaux, assez opaque. Il y avait donc peu de publicité à cet égard. Les gens sont aujourd’hui plus sensibilisés au fait qu’il y a la possibilité de renoncer à une succession. »
- « Deuxième élément : on constate un nombre croissant de familles « éclatées ». Autrement dit, les membre ne se connaissent ou ne se côtoient plus et renoncent donc à la succession pour éviter les ennuis ou les contacts. »
- « Troisième élément : la paupérisation de la société. Les héritiers ne veulent pas avoir les dettes et/ou les difficultés administratives qui vont avec. »
« Les gens sont de plus en plus endettés« , abonde Etienne Vandendael (Successions Wallonie), avocat honoraire au Barreau de Liège et spécialiste du droit à la succession. « Dans l’inconscient collectif en Wallonie, poursuit-il, les gens pensent qu’ils doivent aller chez un notaire en cas de succession, ce qui n’est absolument pas obligatoire. En réalité, beaucoup ignorent quelles sont leurs obligations légales ou fiscales de façon générale. »
Certains héritiers préfèrent ne pas faire ces démarches, indépendamment du fait qu’il y ait un intérêt financier intéressant à la clé ou pas. Il y a souvent une ignorance de l’actif successoral potentiel.
Benoît Braive
Cette « méconnaissance des implications qu’un refus peut engendrer ou de la possibilité de faire une acceptation sous bénéfice d’inventaire (voir explications ci-dessous) est flagrante », estime pour sa part Benoît Braive, spécialiste de planification patrimoniale et successorale (Sogef).
Selon lui, « certains héritiers préfèrent ne pas faire ces démarches, indépendamment du fait qu’il y ait un intérêt financier intéressant à la clé ou pas. Il y a souvent une ignorance de l’actif successoral potentiel. Même si, dans la majorité des cas, la succession est planifiée à l’avance. Les successions litigieuses ou délicates concernent donc surtout ceux qui n’ont pas anticipé. »
Que se passe-t-il en cas de refus de l’héritage ?
Depuis 2013, la renonciation à succession est substitutive. « C’est-à-dire qu’en cas de refus, la succession passe à la génération d’après. Avant, la renonciation ne faisait qu’accroître la part/dette des autres héritiers, explique Sylvain Bavier. Ce changement est en soi est une bonne idée en matière de planification successorale, mais il peut aussi causer des problèmes administratifs plus importants, avec l’implications de davantage de personnes, et parfois l’intervention d’un juge de paix si un enfant mineur est impliqué. »
« Si vous renoncez à une succession, elle retombe sur vos héritiers, résume Etienne Vandendael. Cela ne règle donc pas rien de manière miraculeuse. On reporte juste le problème sur la tête de quelqu’un d’autre. »
Si vous renoncez à une succession, elle retombe sur vos héritiers. On reporte juste le problème sur la tête de quelqu’un d’autre.
Etienne Vandendael, avocat
En cas de refus, il ne se passe donc « rien » : vous ne payez rien, vous ne recevez rien, et, en cas de dettes, vous la reportez à la génération suivante. Au contraire, si on prend l’héritage, « on pose un acte d’héritier, de ‘disposition’, qu’on est censé avoir accepté, même tacitement. Il faut être très prudent par rapport à ça, raison pour laquelle on conseille de renoncer le plus rapidement possible, même si, théoriquement, on a 30 ans pour le faire », rappelle Sylvain Bavier.
La procédure de refus est gratuite pour autant que l’actif de la succession ne dépasse pas 6.090 euros. « Le côté gratuit englobe donc toutes les situations ‘sociales’, c’est-à-dire pour lesquelles la succession est très faible ou déficitaire. Par contre, si vous voulez renoncer au profit de vos enfants, on parle alors de renonciation de complaisance et dans ce cas-là, elle est payante », indique encore Sylvain Bavier.
Accepter sous bénéfice d’inventaire
Une autre manière, beaucoup plus lourde d’un point de vue administratif et financier, est d’accepter la succession sous bénéfice d’inventaire. « Dans ce cas, l’héritage est accepté par l’héritier si et seulement si les actifs sont supérieurs aux passifs. L’acceptation sous bénéfice d’inventaire est payante (1.500 euros de frais). Il faut donc déterminer avant si la démarche vaut la peine ou non », relève Sylvain Bavier.
Financièrement, le seul intérêt de renoncer à une succession est donc qu’elle soit déficitaire. « Les héritiers ne sont in fine tenus à rien, si ce n’est de faire connaître leur choix », résume Benoît Braive. « De façon générale, ces démarches sont complexes à réaliser en amont, car on ne les fait pas fréquemment. Malheureusement, les héritiers qui ont les moyens et/ou qui ont un intérêt important vont se faire conseiller par les bonnes personnes. A l’inverse, ceux qui n’ont pas les moyens ont davantage tendance à dire non pour éviter les ennuis, alors qu’il n’y en a peut-être pas, bien au contraire. »
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