Pensions sous l’Arizona, la fin des grands privilèges: «Appliquer un malus aveuglément provoquerait un mécontentement justifié»
Le régime de pensions, sous l’Arizona, subira plusieurs changements notoires: fin des systèmes avantageux, départs anticipés sanctionnés, temps de travail effectif davantage pris en compte… Avec une nouveauté: l’introduction d’un malus, qui fait déjà jaser. A raison?
La grande modernisation ou la grande austérité? Attendue par certains, redoutée par d’autres, la réforme des pensions telle que tracée dans l’accord de gouvernement de l’Arizona fait le ménage. Pour le meilleur… et parfois pour le pire. Harmonisation des régimes, fin des systèmes avantageux, et temps de travail effectif sont trois des éléments au cœur de la réflexion du nouveau gouvernement.
But affiché? Contrer l’impact croissant des dépenses sociales liées au coût du vieillissement de la population. En Belgique, ces dernières augmenteront en effet de 4,1% du PIB sur la période 2023-2070, pour atteindre 30% du produit intérieur brut à la fin de cette période. A titre de comparaison, dans un pays moyen de l’UE, ces dépenses sociales liées au vieillissement n’augmentent que de 1,2% du PIB entre 2022 et 2070 pour atteindre 25,6% du PIB en 2070. «Cette différence illustre les défis auxquels la Belgique doit faire face en ce qui concerne le coût du vieillissement», expose l’Arizona dans son accord de gouvernement.
L’Arizona insiste dès lors sur «l’urgence de procéder à des réformes efficaces», puisque les coûts budgétaires du vieillissement sont particulièrement élevés entre 2023 et 2050 (+3,8 points de pourcentage du PIB), puis ralentissent entre 2050 et 2070 (+0,3 point de pourcentage du PIB). «En l’absence de changements politiques majeurs, la viabilité financière des pensions belges est sérieusement menacée.»
Pour parvenir à réformer, le nouveau gouvernement compte mettre en place plusieurs mesures structurelles que voici.
Pensions: réduction des écarts entre statuts
Les régimes dérogatoires et les systèmes avantageux seront progressivement supprimés «pour un régime plus transparent et équitable». En revanche, le départ à 60 ans est maintenu pour les personnes qui ont commencé leur carrière jeune et qui ont accumulé 42 ans de travail (un maintien synonyme de victoire pour les socialistes de Vooruit). Il restera aussi possible de travailler à temps partiel en fin de carrière à partir de 55 ans, avec au moins 30 ans de carrière et 156 jours par an (35 ans en 2030).
«La première grande ligne directrice, c’est l’harmonisation et la réduction des écarts entre statuts, résume Jean Hindriks, professeur d’économie (UCLouvain) et fondateur d’Itinera Institute. Notamment via l’alignement des pensions de fonctionnaires statutaires avec celles des salariés.» Pour ce faire, l’Arizona compte allonger progressivement la période sur laquelle on calcule la pension des fonctionnaires, aujourd’hui basée sur les dix dernière années de carrière (avec le salaire le plus élevé, donc). «A l’horizon 2062, on retrouvera un système de calcul pour les fonctionnaires comparable à celui des salariés. On constate donc cette volonté d’harmonisation, mais qui reste longue et graduelle.»
Réduire «les écarts non justifiés entre les régimes de pension» (la péréquation, système particulier de revalorisation pour les pensionnaires statutaires au-delà de l’indexation, est par exemple supprimé) est l’une des étapes d’un traitement qui se veut «plus égalitaire, mais qui prendra du temps, observe Jean Hindriks, pour qui «la direction donnée est bonne, sans faire de massacre social. La présence modératrice des centristes a permis d’obtenir cette atténuation.»
Pour l’économiste, des formes de privilèges passés n’ont plus lieu d’être à l’heure actuelle. Il donne un exemple: «A carrière égale, l’enseignante nommée et statutaire a droit à une pension entre 60 et 70% plus élevée qu’une infirmière. Les gens comprennent de moins en moins pourquoi ces inégalités subsistent.»
Pensions: le temps de travail effectif est la nouvelle référence
La deuxième ligne directrice réside dans la prise en compte plus stricte des activités effectivement travaillées pour le calcul et l’accès à la pension. Avec une norme désormais facile à comprendre: pour avoir accès à la pension, il faudra au minimum avoir réalisé deux tiers de la carrière requise (30 ans sur les 45 ans), en ayant travaillé au moins à mi-temps (150 jours par an). Au total, donc, un tiers de la carrière effective est requise pour avoir accès à la pension minimum. «Ce n’est pas la mer à boire, commente Jean Hindriks. Au vu de ces normes-là, les femmes restent protégées. Les négociateurs ont effectivement tenu compte de la dimension de genre inhérente aux réalités du travail aujourd’hui.»
La direction globale donnée est donc bonne, estime Jean Hindriks, «dans le sens où, fondamentalement, le système belge souffre d’un problème d’incitation contraire: il encourage les gens à décrocher plus tôt. Or, le nouveau projet pousse les travailleurs à poursuivre quelques années en plus, sans pour autant les empêcher à faire du temps partiel.»
Flexibilité pour la fin de carrière
Pour justifier son projet de réforme, l’Arizona parle également du risque d’un impact négatif de la solidarité intergénérationnelle. «Les jeunes générations devraient en effet supporter une charge disproportionnée pour financer les pensions d’une population vieillissante.»
Selon l’économiste, «il faut ainsi tenir compte du décrochage entre les cotisations, qui augmentent, mais beaucoup moins vite que les dépenses de pension.» Il convient donc «de maintenir plus longtemps à l’emploi, tout en introduisant plus de flexibilité, surtout sur les fins de carrière», plaide-t-il. Par exemple, une personne en fin de carrière qui revient de maladie à mi-temps verra son année de travail effectivement comptabilisée dans le calcul de sa retraite. «Cette attention mise sur la flexibilité est assez intelligente, car un système rigide est contre-productif: il fait basculer trop de personnes en maladie longue durée (500.000 personnes en Belgique).»
Pensions: bonus et malus?
Pour les RCC, soit les sorties anticipées dans le secteur public, le serrage de vis est plus marqué: le régime n’acceptera plus de nouveaux entrants à partir de la date de l’accord de gouvernement.
Concrètement, à partir de 2026, le montant de la pension est réduit d’un malus de 2% (jusqu’en 2030), de 4% (jusqu’en 2040), de 5% (à partir de 2040) par année d’anticipation avant l’âge légal «si le retraité remplit la condition de carrière pour la retraite anticipée mais pas celle liée aux 35 années de carrière de 156 jours avec prestations de travail effectives et 7.020 jours de travail effectifs.»
Le bonus pension actuel est remplacé par un montant de la pension majoré d’un bonus de 2% (jusqu’en 2030), de 4% (jusqu’en 2040), de 5% (à partir de 2040) par année qui suit l’âge légal de la retraite si le retraité comptabilise 35 années de carrière de 156 jours avec prestations de travail effectives et 7.020 jours de travail effectifs.
«La possibilité d’une coexistence entre un bonus et un malus de pension est un élément surréaliste à la belge, s’étonne Jean Hindriks. Le bonus pension actuel donne un supplément de pension si vous travaillez jusqu’à l’âge légal. Donc, la personne qui prend sa pension à 62 ans devrait aussi avoir le bonus. En cela, la mouture actuelle est bizarre, puisqu’on aurait la possibilité d’avoir à la fois un bonus et un malus, dont l’effet s’annulerait.»
Des «demi-solutions qui deviennent des problèmes au carré, critique l’économiste. D’autant plus que le remplacement pur et dur du bonus n’est pas explicite: il se pourrait qu’il intervienne après l’âge légal de la pension.»
L’introduction d’un malus sans distinction entre les métiers pourrait en outre provoquer un mécontentement social «très justifié», estime Jean Hindriks. «On pénaliserait la personne qui commence tôt sa carrière et qui ne peut plus travailler physiquement au-delà de 60 ans, à hauteur de 2% pendant six ans, calcule-t-il. Ce système de malus ne doit pas être appliqué de manière aveugle. Il faut un ajustement et une différenciation qui tienne compte de la pénibilité d’une manière ou d’une autre.»
Périodes assimilées: le gros ménage
Les périodes de congé de maternité et les interruptions/réductions de carrière pour motif de soins restent assimilées à des prestations de travail effectives.
En revanche, l’Arizona insiste sur le fait qu’environ un tiers des droits actuels à la pension se fonde sur des périodes non travaillées en ce qui concerne les salariés. «Nous ne conservons cette équivalence que lorsqu’elle est socialement justifiée, par exemple pour les périodes de maladie, de congé de maternité et de congé parental ainsi que pour les divers congés de soins, mais nous la supprimons progressivement pour les périodes de préretraite (RCC), de chômage de longue durée et d’emplois de fin de carrière, par exemple.»
Concrètement,
• A partir du 01/01/2027, les périodes assimilées qui représentent plus de 40% de la carrière ne seront plus prises en compte pour le calcul de la pension des salariés et indépendants. Cette limite de 40% diminue chaque année de 5 points de pourcentage pour atteindre 20% en 2031, comme c’est le cas aujourd’hui pour les fonctionnaires. Les périodes de maladie et les congés thématiques seront exclus de cette mesure.
• Toutes les périodes de chômage, de RCC, de pseudo-prépensions et d’emplois de fin de carrière seront assimilées à un salaire fictif limité à compter de la date de l’accord de gouvernement.
L’âge de la retraite des militaires (56 ans) et du personnel de la SNCB (55 ans) est progressivement porté à l’âge légal de la retraite des autres salariés et fonctionnaires. A partir du 01/01/2027, «l’âge de la retraite sera progressivement relevé de 1 an par an».
Pension minimum et pension complémentaire
La condition d’éligibilité à la pension minimum sera basée sur les prestations de travail effectives et les années de carrière effectuées dans les trois régimes combinés (pour les salariés, les fonctionnaires et les indépendants).
Quant à la pension complémentaire, elle sera solidifiée. «En plus d’une pension légale solide du premier pilier, nous voulons également offrir à tous les salariés, y compris les contractuels du secteur public, une pension complémentaire solide pour laquelle une contribution patronale d’au moins 3% est prévue au plus tard d’ici 2035.»
Fin de la pension pour inaptitude physique
Autre victime de l’accord Arizona, la pension pour inaptitude physique. «Nous clôturons les entrées dans ce régime à partir du 01/01/2026, ce qui entraînera l’extinction complète de ce régime aux niveaux fédéral, régional et local.» A la place, une assurance incapacité et invalidité sera mise en place pour les fonctionnaires fédéraux, comme pour le secteur privé. Il ne sera en outre plus possible d’épargner des jours de maladie.
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