« Ce projet sent l’improvisation, si pas pire » : les commerces belges bientôt obligés d’accepter les paiements en cash
Un nouveau projet de loi porté par le ministre de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS) vise à obliger les commerçants à accepter les paiements en espèces. Ce n’est pas du goût de Comeos et Unizo, qui dénoncent plusieurs incohérences. Et qui n’excluent pas une action en justice.
Les commerçants belges bientôt tous obligés d’accepter les paiements en cash ? C’est en tout cas l’objectif du projet de loi porté par le ministre fédéral de l’Economie Pierre-Yves Dermagne (PS). « Nous voulons nous assurer que le consommateur ait toujours le choix de payer électroniquement ou pas. Sans imposer aucun mode de paiement au détriment de l’autre », indique le cabinet du ministre socialiste. Le cash doit encore être accepté si le consommateur le souhaite. » En cas de non-respect par le commerçant, « la sanction sera de niveau 1 en cas de récidive ».
La cabinet Dermagne souligne l’importance de toujours avoir la possibilité de payer en espèces, « particulièrement pour des personnes vulnérables, comme les personnes âgées. » Et de rappeler l’existence d’une récente étude de la Banque centrale européenne qui démontre que 41% des Belges restent attachés à la possibilité de pouvoir payer en liquide. « Les habitudes des Belges sont en train de changer mais cela ne veut pas dire qu’on doit enterrer le cash trop vite », commente le cabinet, qui précise toutefois que le paiement électronique est « un bon moyen parmi d’autres pour lutter contre la fraude fiscale et sociale. »
« Les Etats-membres de l’UE restent tenus de garantir l’acceptation des espèces, ajoute enfin le porte-parole de Pierre-Yves Dermagne. Favoriser l’acceptation des espèces aide également à assurer une meilleure accessibilité du cash. »
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Paiements en cash : « Cette loi est totalement inacceptable »
Le projet de loi, qui semble faire l’unanimité au sein de la Vivaldi, doit encore être voté en plénière le 21 décembre prochain. Le fait qu’il soit selon toute vraisemblance accepté fait bondir l’Union des entrepreneurs indépendants. « Nous sommes totalement contre ce projet de loi, pour trois raisons », expose Danny Van Assche, patron d’Unizo.
- « Chez 94% des commerçants belges, il est encore possible de payer en espèces. Il n’y a donc pas de problème structurel puisque la grande majorité des commerces permet toujours de payer en cash. Obliger les 6% restants à accepter le cash signifie pour eux des coûts et des ennuis supplémentaires. »
- « En 2022, le gouvernement obligeait les commerçants à accepter les moyens de paiement électroniques. Cette mesure a été adoptée car elle fait logiquement partie de l’évolution du marché. Or, maintenant, on dit aux commerçants de faire un pas en arrière. C’est quelque chose de très contradictoire, que nous ne comprenons pas. »
- « Le gouvernement n’applique pas lui-même ce qu’il veut imposer aux autres. De fait, une grande partie des services publics communaux n’acceptent plus les paiements en cash : piscines, bibliothèques, communes, horodateurs,… : il y est souvent imposé de payer par carte. »
Pour Danny Van Assche, « ce sont trois raisons qui font que cette loi est totalement inacceptable. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit plus payer en cash, mais chaque commerçant devrait avoir la liberté de choisir le ou les moyens de paiement qu’il accepte. Le commerçant s’adapte aussi à son type de clientèle. »
Ce projet de loi est très contradictoire, nous ne le comprenons pas.
Danny Van Assche, patron d’Unizo
Le patron d’Unizo révoque enfin l’argument selon lequel ce projet est nécessaire pour les plus vulnérables. « Cela voudrait dire que nos jeunes et nos séniors ne visitent pas les infrastructures communales, là où seul le paiement électronique est d’application ? », fait-il remarquer.
L’organisation n’exclut pas une action en justice si le projet est adopté. « On ne peut pas accepter cette inégalité de traitement entre les services publics locaux et les commerçants ».
Un projet « incompréhensible » pour Comeos
La Fédération belge du commerce n’est pas moins critique. « On trouve ce projet très étonnant alors que la société et toute la fonction publique vont dans le sens inverse, relève Dominique Michel, CEO de Comeos. « C’est incompréhensible, fustige-t-il. Pourquoi les communes ou les sociétés de transport ne sont-elles pas obligées d’accepter le paiement en cash ? Et pourquoi dès lors l’imposer aux commerçants ? Si le ministre estime qu’il y a un problème avec le cash dans ce pays, il doit d’abord le régler avec les administrations. »
Ce projet de loi est incompréhensible. Si le ministre estime qu’il y a un problème avec le cash dans ce pays, il doit d’abord le régler avec les administrations.
Dominique Michel, CEO de Comeos
Pour le CEO de Comeos, l’objectif d’un tel projet de loi est donc difficilement compréhensible. « On évoque un fossé digital. Mais au lieu de faire marche arrière, il faut au contraire investir dans le formation au digital pour les personnes qui ne sont pas suffisamment aguerries ».
Dans l’absolu, « il n’y a pas de raison de ne plus accepter le cash, mais il n’y a pas non plus de raison d’imposer cette condition, prolonge Dominique Michel. Cela limiterait les innovations possibles pour les modes de paiement. Je ne sais pas d’où vient l’idée du ministre, mais elle est mauvaise », insiste-t-il.
« Cela pourrait nuire aux petits commerçants »
Selon Comeos, ce projet de loi pourrait surtout nuire aux petits commerçants. « De plus en plus de commerçants ne veulent plus de paiements en cash, car ils représentent des problèmes de sécurité, de caisse, etc., rappelle Dominique Michel. Dans le passé, on a réalisé des actions en partenariat avec le ministère de l’Economie pour encourager les gens à passer au digital, entre autres pour ces problèmes de sécurité, –plus il y a de digital, moins il y a de cambriolages ou de braquages-, et maintenant, le ministre de l’Economie voudrait favoriser le cash ? Il n’y a aucune cohérence dans la fonction publique. »
« Ce projet sent l’improvisation, si pas pire, tance-t-il enfin. Dans la plupart des commerces, la question ne se pose pas, mais on doit nous laisser la liberté de travailler comme on le souhaite. »
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