prêt à taux zéro
La France offre des prêts à taux zéro à destination des revenus les plus modestes pour les encourager à investir dans l’immobilier. Une véritable aubaine? © imageBROKER/Dzinnik Darius

Le prêt à taux zéro, la panacée pour favoriser l’accès à la propriété? «Il y a une grosse réserve»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Dès le 1er avril, la France étend son dispositif de prêt à taux zéro (PTZ) pour faciliter l’accès à la propriété. Une aide inexistante en Belgique, qui mise plutôt sur la réduction des droits d’enregistrement. Mais, dans un cas comme dans l’autre, ce type de subsides finit parfois par atterrir dans la poche du vendeur.

Il aura fallu six mois, mais la France a finalement un budget. Début février, le Premier ministre François Bayrou a réussi, contre vents et marées, à faire adopter son projet de loi de finances pour l’année 2025. Parmi les mesures phares du texte: l’extension du prêt à taux zéro (PTZ), censé favoriser l’achat d’un bien immobilier pour les primo-accédants.

Mis sur pied en 1995, le PTZ est un prêt hypothécaire sans intérêts ni frais de dossiers, qui vise à soutenir les ménages aux revenus modestes dans leur projet d’achat d’une habitation unique. Dans sa première mouture, il était uniquement destiné aux acquéreurs d’un logement ancien (construit il y a plus de cinq ans) en zone dite «détendue» (peu de pression entre offre et demande), sous condition de travaux de rénovation énergétique. Mais dès le 1er avril prochain, le PTZ pourra également être octroyé pour l’achat d’un logement neuf, sur tout le territoire français sans distinction de zone. L’élargissement de ce dispositif pourrait redynamiser un marché immobilier en berne, qui sort de deux années de crise.

Un mécanisme de soutien dont pourrait s’inspirer la Belgique? Actuellement, la gratuité n’est pas légion sur le marché immobilier. Les taux zéro sont plus fréquents pour les crédits à la consommation, notamment dans le secteur de l’électroménager ou de l’automobile. Lors du Salon de l’Auto, par exemple, nombreux sont les constructeurs à proposer des prêts à taux zéro pour financer l’acquisition d’un véhicule. «Il faut néanmoins faire attention aux frais cachés ou à certaines dispositions dans le contrat qui pourraient faire augmenter les coûts finaux, avertit Brecht Coene, responsable de guide-epargne.be. Le prêt n’est réellement gratuit que si le TAEG (taux annuel effectif global) est de 0.»

Tout sur la rénovation énergétique

Dans le secteur du logement, seuls certains crédits à la rénovation bénéficent du taux zéro. Au sud du pays, la Société wallonne du crédit social (SWCS) offrait ainsi des prêts d’une valeur de 1.000 à 60.000 euros sans intérêt pour des travaux de rénovation énergétique (Renopack, Renoprêt) sous strictes conditions. Mais le Gouvernement wallon ayant mis fin à ces avantages depuis le 14 février 2025, seules les demandes introduites avant cette date pourront encore profiter du taux de 0%. A Bruxelles, le Fonds de logement bruxellois propose également des crédits ECORENO, mais à des taux oscillant entre 1,50% et 2,50%. Encore loin, donc, de la gratuité française. Enfin, la Région flamande, via MijnVerbouwLening, accorde elle aussi des prêts pour financer des travaux de rénovation énergétique, mais à des taux à hauteur de 1,5%.

Concernant les crédits hypothécaires au sens strict du terme, la gratuité n’existe pas en Belgique. Si certaines institutions publiques (SWCS en Wallonie, Sociaal Woonkredit en Flandre) ou semi-publiques de crédit social offrent aux acquéreurs aux revenus modestes des taux avantageux, ceux-ci sont en général à peine inférieurs aux prix du marché, qui tournent aujourd’hui autour des 3%. «Cela reste malgré tout un véritable coup de pouce pour ces ménages qui ne remplissent pas les conditions financières pour obtenir un prêt classique auprès des institutions bancaires, note Brecht Coene. Ou, du moins, jamais à des taux si bas.»

Réduire la pression sur le marché locatif

Pour favoriser l’accès à la propriété, la Belgique mise davantage sur la réduction des droits d’enregistrement, qui est un «instrument parmi d’autres pour soulager la charge d’achat», note Philippe Ledent, économiste chez ING. Depuis le 1er janvier 2025, les primo-acquéreurs wallons bénéficient ainsi de droits fixés à 3%, contre 12% auparavant. Pareil en Flandre, où ces frais sont récemment passés de 3 à 2%. Un levier d’actions qui porte ses fruits et donne un nouvel élan au marché immobilier, en témoignent les longues files d’attente chez les notaires ces dernières semaines. Mais, contrairement au PTZ français, cette réduction vise toutes les bourses, qu’elles soient plus ou moins garnies.

La mesure française comprend ainsi une dimension plus sociale, qui permet réellement d’augmenter le pouvoir d’achat des classes moins aisées. «Alors que le ménage belge moyen a perdu 17 m² de pouvoir d’achat entre début 2022 et fin 2023, ce genre de dispositions serait la bienvenue, estime Jonathan Frisch, économiste chez Immoweb. Notamment car une grande partie de cette baisse est justement liée à la flambée des taux d’intérêt, qui a fait diminuer la capacité d’emprunt des ménages et augmenter leur mensualité à payer.» En permettant à une plus large frange de la population d’accéder au marché de l’achat, cette mesure permettrait en outre de réduire la pression sur le marché locatif, ajoute l’économiste.

«Alors que le ménage belge moyen a perdu 17 m² de pouvoir d’achat entre début 2022 et fin 2023, ce genre de dispositions serait la bienvenue.»

Jonathan Frisch

Economiste chez Immoweb

Le PTZ français ne couvre toutefois qu’une partie du projet d’achat immobilier, rappelle Jonathan Frisch. Le candidat-acquéreur ne pourra bénéficier de ce crédit «gratuit» que sur une tranche allant de 20 à 50% du coût total du projet, selon ses revenus plus ou moins importants. «Le reste de l’acquisition reste conditionné à un apport personnel ou à l’octroi d’un crédit conventionnel auprès d’une banque», note l’économiste.

Gare aux effets pervers

De son côté, Philippe Ledent pointe également une «grosse réserve» à ces facilitateurs d’accès à la propriété: sur la durée, ces instruments ont tendance à atterrir dans la poche du vendeur. «En augmentant la capacité d’emprunt ou d’achat d’une large partie des candidats acquéreurs, la demande augmente, observe l’économiste d’ING. Si l’offre ne s’aligne pas, cela résulte en une hausse des prix. Et, in fine, celui qui avait une moindre capacité d’achat initialement se retrouvera lésé par rapport à celui qui a le portefeuille le plus rempli.»

Un constat qui se vérifie quel que soit le type d’aide (subsides, primes, réduction des droits d’enregistrement), et même en cas de baisse ciblée des taux hypothécaires. «Avec le PTZ, les revenus modestes ont certes l’occasion d’accéder au marché et de bénéficier d’un léger avantage par rapport à certains concurrents directs, reconnaît Philippe Ledent. Mais généralement, le candidat qui était déjà sur le marché auparavant aura la possibilité de mettre les 5.000 euros de plus, qui lui permettra d’éliminer les autres et d’acquérir le logement convoité.»

Pour minimiser cet effet pervers, la seule solution est d’améliorer l’offre de logements, estime Philippe Ledent. «La meilleure chose à faire pour les autorités, c’est d’octroyer plus de permis et de travailler main dans la main avec les promoteurs pour qu’ils puissent développer davantage de projets, correspondant aux besoins et au budget de chacun, assure l’économiste. Les prix du marché se calmeraient ainsi d’eux-mêmes. Plus la politique de logements sera ambitieuse, plus les subsides auront la capacité d’avoir des effets positifs.»

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