Le compte d’épargne, nouveau terrain de jeu des riches? « Les politiciens ont peur des banques »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Un taux d’intérêt bonifié sur les 10.000 premiers euros du livret d’épargne ? C’est non, pour la BNB, qui rejette ainsi une proposition formulée par Ecolo. « La banque nationale défend les intérêts des actionnaires au lieu de défendre l’intérêt public », critique l’économiste Paul De Grauwe.

Favoriser les épargnants grâce à un taux d’intérêt bonifié sur les 10.000 premiers euros déposés sur le livret d’épargne : telle était l’idée soumise par Ecolo, qui entendait ainsi mieux rémunérer les « petits déposants ». La proposition a été recalée par la Banque nationale de Belgique (BNB), selon le journal Le Soir.

Pour l’économiste Paul De Grauwe, cette décision n’est en rien justifiée. « Il faut intervenir. Les banques font des profits exceptionnels, sans concurrence. La BNB leur fournit des subsides incroyables et elle refuse de rémunérer les dépôts d’épargne de façon équitable. La banque nationale défend toujours les profits des banques, au lieu de défendre l’intérêt général. »

Dans les explications de ce refus, que Le Soir a pu consulter, la BNB estime que la proposition des Verts « amputerait les profits du secteur bancaire d’un cinquième », voire plus pour certaines institutions. Ce qui pourrait « inciter les banques à rehausser le coût et durcir les conditions du crédit aux entreprises et aux ménages. »

Livret d’épargne: « Faut-il rémunérer les actionnaires des banques à la place des petits épargnants? » 

« Les banques évoquent toujours le risque d’instabilité financière, mais c’est de la foutaise, fustige Paul De Grauwe. Si leurs profits sont amputés d’un cinquième avec cette proposition, cela ne leur portera pas préjudice parce qu’elles ont justement engrangé des profits de plus de 20% l’année dernière. Ce serait donc une façon de les redistribuer aux épargnants. »  

Pour l’économiste, qui est également professeur (London School of Economics & KU Leuven), les banques font des profits qui n’ont jamais été aussi élevés. « Et la BNB nous dit qu’il faut encore les augmenter… ? De plus, ces performances ne sont pas le résultat de la concurrence, mais d’un quasi-monopole », avance-t-il.

La banque nationale défend toujours les profits des banques, au lieu de défendre l’intérêt général.

Paul De Grauwe

Celui qui était également sénateur (Open Vld) soutient donc la proposition d’Ecolo. « Il est évident que c’est une bonne solution. Pourquoi faudrait-il rémunérer les actionnaires des banques à la place des petits épargnants ? », pointe-t-il.

Afin d’estimer l’impact de la proposition d’Ecolo sur le secteur, la BNB a demandé aux banques de lui fournir des données « désagrégées », qui quantifient le nombre de déposants selon le montant sur le livret, « en huit catégories, de moins de 1.000 euros à plus de 100.000 euros; et la masse d’épargne dans chacune de ces catégories », rapporte Le Soir.

Grande conclusion de cette échantillonnage : le livret n’est pas seulement le lieu de la petite épargne, au contraire. Pas moins de 12 % des épargnants qui ont déposé plus de 75.000 euros détiennent la moitié des 300 milliards que contiennent tous les livrets. Les 41 % des « petits » déposants (1.000 à 10.000 euros chacun) ne possèdent, collectivement, que… 5 % du total.

« La BNB montre avec ces chiffres que les petits épargnants n’ont que très peu d’influence. Dès lors, pourquoi ne pas accepter de les aider ? C’est une contradiction », commente Paul De Grauwe. La BNB est une institution publique, qui doit représenter l’intérêt général, et pas celui des actionnaires des banques. »

L’économiste également passé par le FMI rappelle que « l’inégalité des richesses à tendance à augmenter en Belgique. Mais on n’est pas encore au niveau des Etats-Unis, par exemple, où cette différence est sensationnelle. »

Les bons d’Etat, la bonne alternative

L’alternative à cette faible incitation à l’épargne pourrait se trouver dans les bons d’Etat, estime Paul De Grauwe. « La décision du ministre des Finances d’introduire des bons d’Etat -avec un taux d’intérêt brut à 3%- est une bonne chose. Cela pousse les banques à hausser les taux d’intérêt. Mais il faut que Van Peteghem en fasse suffisamment la publicité afin de montrer qu’il existe cette autre solution, avec un rendement élevé, et de la sûreté. »

Les politiciens ont peur des banques.

Paul De Grauwe

« Le gouvernement doit investiguer sur ce manque de concurrence dans le secteur bancaire. Les politiciens ont peur des banques, tance enfin Paul De Grauwe. Elles sortent toujours le même argument ‘Ne nous touchez pas, sinon on subira une grande crise financière, une explosion’. Elles entretiennent la peur et le mystère ».

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