Charlotte de Montpellier, économiste chez ING, décrypte les avantages et inconvénients du crédit bullet.

Le crédit bullet, bingo méconnu pour rembourser son prêt immobilier? «Il est réservé à certains profils»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Impopulaire et risqué, le crédit bullet permet de rembourser son crédit immobilier d’une manière très spécifique. Il est principalement destiné à certains (riches) profils. Opportunité méconnue ou danger à fuir?

Ne payer que les intérêts mensuels de son prêt immobilier, sans payer le capital chaque mois. C’est le principe du crédit bullet, formule relativement peu connue et surtout très peu utilisée en Belgique. Elle diffère fortement du crédit classique, puisque le bullet, qui semble attractif sur papier, impose le paiement intégral du prêt, en une fois, à la fin de celui-ci.

Crédit bullet : à qui s’adresse-t-il?

Le fonctionnement est surtout destiné à un public spécifique. Très peu pour Monsieur et Madame Tout-le-monde. Car celui qui achète un bien à 300.000 euros devra donc rembourser cette somme totale, en une fois, à la fin de son crédit. Un fonctionnement très éloigné de l’emprunt classique.

Différents types de profils utilisent ce crédit bullet. «Les personnes très riches, avec beaucoup de patrimoine, sont les premières potentielles concernées, pointe Charlotte de Montpellier, économiste chez ING. Dans le cas où elles ont de toute façon de quoi rembourser la somme totale en un coup, ce fonctionnement pourrait leur convenir. Le crédit bullet, pour elles, est une façon d’optimiser leur patrimoine.»

De fait, il permet de ne pas trop puiser dans l’épargne et de la faire fructifier pendant plusieurs années. Par des investissements en Bourse, par exemple. «Typiquement, des anciens cadres d’entreprise, qui toucheront une épargne-pension en pilier deux, sont des clients potentiels du crédit bullet», remarque la spécialiste. Avec leur pension complémentaire, ces personnes touchent en effet un capital à un moment déterminé, à la fin de leur carrière. Leur réflexion est donc la suivante: opter pour le crédit bullet permet d’acheter un bien à 300.000 euros, par exemple, sachant qu’elles toucheront 500.000 euros en fin de carrière via l’épargne-pension en pilier deux. «En clair, cela leur permet de ne payer que les intérêts, et de payer la somme finale via leur pension complémentaire.»

Le crédit bullet: un risque à calculer

L’option bullet paraît parfois attractive. Ses avantages permettent d’emprunter plus, de diminuer les charges mensuelles, d’optimiser la déduction d’intérêts, ou encore d’activer un effet levier à l’achat. Mais dans les faits, très peu de monde franchit le pas du crédit bullet sans un patrimoine garni et solidement assuré. Logiquement, peu d’organismes octroient un crédit bullet pour un jeune qui souhaite se lancer dans l’immobilier. «Au total, la part de gens qui se lancent dans l’immobilier via un crédit bullet est très faible, confirme Charlotte de Montpellier. Dans le milieu bancaire, il n’est d’ailleurs pas considéré comme un « grand » produit et seulement destiné à des cas spécifiques. Par exemple, quelqu’un qui fonde une société à haute valeur potentielle pourrait y voir de l’intérêt, en misant sur le fait qu’il détiendra ensuite la valeur de sa société, lors de sa pension, pour payer son crédit.»

Plus cher qu’un crédit traditionnel?

Un crédit bullet est-il plus cher qu’un crédit traditionnel? En général, oui. Simplement parce que l’opération est plus risquée pour l’organisme qui octroie le crédit. Il n’est jamais certain que le capital nécessaire soit intact à la fin du crédit. C’est surtout le cas lorsque l’argent est investi en Bourse. Celle-ci reste volatile et exposée au risque de krach. Idem pour le dirigeant d’entreprise qui espère revendre sa boîte à haute valeur.

Le crédit bullet repose donc entièrement sur le profil de la personne et la conjoncture économique. Ainsi, le produit engrange peu de concurrence entre les institutions bancaires. «En revanche, poursuit Charlotte de Montpellier, les crédits bullet sont davantage rentrés dans les habitudes aux Pays-Bas. Les salariés néerlandais contribuent à un fonds de pension de façon automatique, et peuvent l’utiliser comme garantie pour obtenir un crédit bullet. Une grande partie des ménages hollandais ne paient donc que les intérêts lors de leurs crédits, et pas la mensualité complète.»

Comment rembourser le capital?

En résumé, soit la personne dispose d’une épargne très importante, soit elle a l’assurance d’un deuxième pilier de pension, soit elle revend son entreprise, soit elle revend un bien immobilier. Peu d’autres options existent. «Le principe du bullet est juste qu’on rembourse le capital à la fin du crédit et pas en cours de route. Dans certains pays nordiques, où les crédits sur 60 ans sont généralisés, le principe est d’ailleurs très utilisé.»

Le crédit bullet pour un salarié classique?

L’idée qu’un crédit bullet puisse permettre à la classe moyenne de souscrire un crédit sans devoir débourser une mensualité élevée en début de carrière «est une possibilité, mais à nouveau, elle est risquée. Il faut être absolument sûr que l’épargne emmagasinée en cours de route sera suffisante. Aussi bien pour la personne qui le fait que pour celle qui octroie le crédit. Pour un salarié classique, il est donc difficile de justifier le choix du crédit bullet auprès de sa banque. Il faut que le risque en vaille la peine, aussi bien pour l’emprunteur que pour le prêteur», juge Charlotte de Montpellier.

D’autres possibilités flexibles et moins risquées

Avant d’arriver à la solution «radicale» du crédit bullet, les crédits dits classiques offrent déjà plusieurs façons de répartir son paiement. Le crédit à la mensualité stable est le plus utilisé. «Mais il existe également des crédits progressifs où il est possible de payer peu au début et plus à la fin, et inversement, rappelle l’économiste d’ING. Par exemple, des jeunes qui ont peu de charges financières décideront peut-être de rembourser davantage sur le début du crédit. Il y a donc différentes options qui font partie du crédit classique et qui permettent de faire face à différentes situations. Typiquement lorsque l’épargne disponible en début de crédit est à flux tendu.»

Dans le passé, le crédit bullet était souvent synonyme de bingo grâce à la plus-value réalisée sur le marché immobilier: en vendant votre bien plus cher, vous pouvez rembourser votre crédit. «Aujourd’hui, ce raisonnement devient risqué car il est impossible de définir comment se comportera le marché immobilier dans 20 ans, met en garde l’économiste. Il n’est pas certain que votre bien prennent automatiquement de la valeur.» Ainsi, vous pourriez finalement devoir vendre votre bien en-deçà de la valeur du crédit. «Dans ce cas-là, il faudra une autre source de revenu pour pouvoir rembourser la somme totale du jour au lendemain.» Au risque de voir votre banquier tirer à boulets rouges…

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