Vincent Van Peteghem. Belga

Le bon d’État relancera-t-il la course à l’épargne ? « Le client doit se réveiller »

Le Vif

Et de trois pour Vincent Van Peteghem : le ministre des Finances a lancé sa troisième émission de bons d’État en seulement six mois. Avec ces nouveaux petits papiers du Trésor, le ministre fédéral remet une pièce dans la machine d’une mesure très populaire, mais qui ne plaît pas à tout le monde au gouvernement, et pas du tout au secteur bancaire. Reste à voir si le succès sera encore au rendez-vous, auprès du public comme pour raviver la concurrence sur le marché. Car celui-ci a changé. Et l’outil utilisé n’est pas forcément le plus efficace.

Le ministre fédéral des Finances a encore réussi son coup médiatique : sa nouvelle émission de bons
d’État
est à nouveau dans tous les esprits, tant chez les particuliers soucieux de leurs économies que
chez les banquiers. Les deux nouveaux bons ont été présentés le 20 février par l’Agence fédérale de
la Dette
: il s’agira donc d’un bon à un an et d’un autre à trois ans, assortis de taux bruts respectifs de
3 % et de 2,5%.

Par contre, Vincent Van Peteghem n’a pas su transformer l’essai comme en septembre dernier, et
accompagner à nouveau son bon d’État à un an d’un taux de précompte mobilier exceptionnel de
15%. L’idée a divisé le monde politique, le ministre des Finances se heurtant à la secrétaire d’État
au Budget Alexia Bertrand (Open Vld) et, par extension, au Premier ministre Alexander De Croo. Il
bénéficiait toutefois d’un soutien sur son aile gauche avec les écologistes, ainsi que le secrétaire
d’État à la Relance Thomas Dermine (PS), qui avait estimé que le le bon d’État était un outil
légitime de l’autorité publique, qui permettait de peser sur « un problème de concurrence sur le
marché bancaire belge. » Mais c’est finalement le précompte ordinaire à 30% qui l’a emporté en
comité ministériel restreint. Ces bons du Trésor rapporteront donc un rendement net de 2,10% pour celui à un an, et celui à trois ans 1,75 %.

La concurrence bancaire, le véritable enjeu des bons d’État

Si le ministre des Finances avait pu imposer ses vues, le bon à un an aurait rapporté un bénéfice net
de 2,55 %. La différence n’est pas négligeable, mais elle n’aurait sans doute pas suffit à remplir
l’objectif affiché de Van Peteghem : continuer à faire pression sur les banques en offrant une option
d’épargne susceptible de leur faire concurrence.

Petit flashback : l’été dernier, le ministre a présenté son idée pour offrir une alternative aux
Belges en terme d’épargne, alors que l’inflation faisait fondre leurs économies mais que les taux des
banques restaient désespérément bas. Un bon d’État d’un an, présenté alors comme
exceptionnel, et accompagné d’un précompte mobilier réduit à 15% au lieu des 30% habituels. Une
manière de rappeler aux Belges que leur argent qui dormait sur des comptes ne rapportant presque
rien pouvait bien se trouver un nid plus rentable ailleurs, et de leur en proposer un sur un plateau.
Alors que les épargnants belges ne pouvaient espérer beaucoup plus que le taux minimum légal de
0,11% dans la majorité des banques, ce fut un immense succès, qui a permis de ramener près de 22
milliards d’euros dans les caisses du pays, tout en assurant à plus de 600.000 Belges un rendement
brut de 3,30% – soit 2,81% de revenus nets au bout d’un an. Et, au passage, un coup de pouce non
négligeable à la popularité du ministre Van Peteghem.

« On ne change pas une recette qui marche » s’était donc dit le ministre fédéral, d’autant plus que
l’émission précédente, celles de bons à cinq et huit ans en décembre dernier, n’avait pas obtenu le
succès escompté (environ 5,3 millions d’euros seulement). Sauf que les passes d’armes politiques
sur le prélèvement à la source au sein d’une Vivaldi déjà à moitié en affaires courantes ont quelque
peu refroidi les effets d’annonce. Et une telle incertitude sur la rentabilité réelle de l’offre, alors que
les épargnants peuvent y souscrire dès le 22 février, et ce jusqu’au 29 seulement via le service des
Grands-Livres, ou au 1er mars via les établissements financiers agréés, ce n’est pas là un très bon
message à leur renvoyer. « 15 ou de 30% de précompte mobilier c’est quand même une différence
énorme,
et c’est ce qui influencera le succès de ce bon d’État, convenait Jean Deboutte, le directeur
de la stratégie de l’Agence de la dette, le mardi 21 au soir. Pour l’instant, on ne peut pas avancer une
estimation du montant récolté, et on ne peut pas non plus se prononcer sur les réactions du secteur
privé. »

Un charme qui risque de ne plus opérer

C’est là tout l’enjeu du coup de poker ministériel : contraindre les banques à relever à nouveau les
taux de leurs offres d’épargne
en leur imposant une concurrence d’État. Sauf que le marché n’est
plus du tout le même que l’année dernière. A l’époque, un rendement net de 2,81% sur un an avait
tout d’une aubaine, quand la majorité des offres d’épargne des banques belges frôlaient le taux
minimum légal.
Mais maintenant, un petit tour sur guide-épargne.be suffit pour constater que les
formules à 3% d’intérêt ou même plus ne sont pas rares, y compris chez de grands acteurs bancaires
belges, et ce justement car les banques ont bien dû suivre la concurrence créée par le Trésor en août.
« Avec ou sans précompte réduit, le produit reste bon, transparent et sûr », a tenu à rappeler le
directeur de la stratégie de l’Agence de la dette. Certes, mais le charme risque de ne plus opérer de
la même manière.

Mikael Petitjean, professeur d’économie financière à la Louvain School of Management de l’UCL,
estime, lui que ce n’est pas comme ça qu’il faudrait s’y prendre : « Je n’ai jamais compris cette idée
qu’il y avait là un outil d’accélération de la concurrence bancaire : on perd de l’énergie à déplacer
l’argent des épargnants d’un coffre ultra-sécurisé à un autre coffre ultra-sécurisé
. Le ministre utilise
un outil inefficace. Il faudrait plutôt supprimer les primes de fidélité, qui freinent la mobilité des
clients en créant une sorte d’inertie sur le marché de l’épargne. »

Pour toucher l’entièreté du pactole dans une grande banque du pays, il faut immobiliser son argent pendant au moins un an, car sous le taux affiché se cache la division entre un taux de base et une prime de fidélité, cette dernière représentant souvent la plus grosse part du gâteau. De quoi décourager l’épargnant tenté d’aller voir ailleurs, mais qui perdrait sa prime dans l’affaire. Un système à deux faces qui crée de la confusion, estime l’Autorité belge de concurrence (ABC), et qui décourage donc les épargnant de faire déménager leur argent. Un premier pas vers un taux unique, clair et précis ? L’idée est dans l’air ; la Banque Nationale de Belgique et la FSMA, l’Autorité des services et marchés financiers, ont déjà
précisé qu’elles ne s’y opposeraient pas.

Cela dit, si les bons du Trésors sont sans risque, ce n’est pas pour autant qu’ils rapportent réellement
dans le contexte actuel, rappelle l’universitaire. « C’est un placement sûr, mais qui se fait grignoter,
car il ne faut pas oublier que l’inflation reste d’au moins 2,5%. Avec un précompte mobilier divisé
par deux, on arriverait à peine à l’équilibre face à cette perte de pouvoir d’achat. L‘épargnant n’est
pas gagnant, et le dindon de la farce c’est le contribuable,
car avec des taux réduits, l’État va encore
s’endetter d’avantage. »

« On perd de l’énergie à déplacer l’argent des épargnants d’un coffre ultra-sécurisé à un autre coffre ultra-sécurisé »

Les banques, elles, s’estiment lésées. La fédération bancaire Febelfin est ainsi montée au créneau au début du mois, et Peter Adams, PDG d’ING pour la Belgique, clamait que « Le gouvernement se
comporte à la fois comme un acteur du marché et comme un arbitre, qui applique également des
règles différentes pour lui-même et pour les autres acteurs. » Il considère qu’une nouvelle émission
de ce genre pourrait déstabiliser le système bancaire belge, en accaparant ses réserves de liquidités.
« Avant l’émission, il y avait un excédent de dépôts de 50 milliards d’euros, sur la base desquels des
crédits pouvaient être accordés » insistait Peter Adams. « Cet excédent a désormais été réduit de
moitié. Cela signifie que les banques disposent de 25 milliards d’euros de moins pour investir dans
l’économie réelle. »

Une concurrence déloyale, vraiment ?

A pointer quand même que, même avec un taux préférentiel de 15%, ce bon à un an n’aurait pas offert
un meilleur rendement que certaines formules d’épargne,
ce qui limiterait de toute manière son
attractivité. Argenta ou ING proposent des taux de 3%, et VDK monte même jusqu’à 3,15%. Mais
pour toucher ce pactole entièrement, il faut immobiliser son argent pendant au moins un an, car un
sous un tel taux se cache la division entre taux de base et prime de fidélité, cette dernière
représentant souvent la plus grosse part du gâteau. Un système à deux faces qui crée de la
confusion, estime l’Autorité belge de concurrence (ABC), et qui décourage donc les épargnant de
faire déménager leur argent. Un premier pas vers un taux unique, clair et précis ? Ça serait dans les
cartons du gouvernement ; la Banque Nationale de Belgique et la FSMA, l’Autorité des services et
marchés financiers, ont déjà précisé qu’elles ne s’y opposeraient pas.

Les banques estiment toutefois que c’est le gouvernement qui se livre à une concurrence déloyale,
qu’il triche en jouant des curseurs fiscaux, ce qu’il est le seul à pouvoir faire. Pourtant, c’est oublier
un peu vite que le régime fiscal accorde aux grandes institutions bancaires belges un véritable
avantage concurrentiel sur les plus petites structures et les officines étrangères, et qui pourrait aussi
être qualifié de déloyal : le système des comptes réglementés. Les grandes banques belges
proposent toutes des formules d’épargne partiellement exonérées d’impôt ; il n’y a pas de précompte
mobilier jusqu’à 1020 euros d’intérêt par personne et par an, soit une première tranche absolument
nette de retenue à la source. Celle-ci n’est ensuite que de 15% sur le montant dépassant ce plafond.
Un mécanisme qui, de facto, offre aux grandes banques belges un avantage concurrentiel sur les
petits acteurs du secteur et les banques étrangères
qui proposent des comptes épargne aux taux parfois plus élevés, mais non réglementés, et qui doivent donc s’acquitter d’une taxation à la source de 30% sur l’ensemble des bénéfices annuels. Une taxation donc similaire à celle qui s’applique pour les bons d’État.

« Je comprends qu’on tape sur les banques, mais j’estime qu’il n’y a pas de pire implication
que celle du monde politique dans la finance, et vice-versa » nuance M. Petitjean. « Toutefois si on
veut stimuler la concurrence, il faut aussi une volonté en ce sens de la part des clients. Il y a encore
une grande fidélité culturelle envers sa banque en Belgique, et celle-ci ne va bien sûr pas faire la
publicité des comptes non-réglementés. Mais on n’est plus au XIXe siècle : l’information est là. Le
client doit se réveiller et aller voir ce que proposent ces offres. »

par Matthias Bertrand

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