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« Le bon d’Etat ouvre une boîte de Pandore »: pourquoi le gouvernement a-t-il voulu absorber votre épargne?

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Avec plus de 20 milliards récoltés, le bon d’Etat et ses 2.81% de taux d’intérêt ont massivement séduit les Belges, déçus par l’immobilisme des banques, qui « cachent désormais leur nervosité », estime l’économiste Geert Noels. Ce succès, qui « profitera surtout au gouvernement », ouvre également « une boîte de Pandore ». Avec « l’énormité » de la dette belge au centre des maux.

Il a dépassé toutes les espérances, pulvérisé tous les records. Avec plus de 20 milliards d’euros récoltés en quelques jours, le nouveau bon d’Etat et son taux d’intérêt à 2,81% ont convaincu de nombreux Belges de sortir (une partie de) leur argent des comptes d’épargne.

Si certaines banques ont tenté de s’aligner sur l’offre gouvernementale, cela n’a pas suffi pour freiner l’élan des épargnants, bien décidés, cette fois, à se diriger vers un taux d’intérêt plus élevé. « Ce montant de 20 milliards est énorme dans le cadre d’un bon d’Etat », reconnaît l’économiste Geert Noels (Econopolis). Il est même historique, puisqu’il bat le précédent record établi pour le bon d’Etat émis par Yves Leterme, en 2011, qui avait récolté quelque 5,7 milliards d’euros.

Bon d’Etat : un choc qui peut perturber la stabilité bancaire

Ces 20 milliards (dont le décompte final, lundi, risque d’être encore gonflé) représentent à peu près 6% du carnet d’épargne des Belges. Un mouvement non négligeable pour les banques, qui « cachent leur nervosité », avance Geert Noels. « C’est effectivement un choc qui peut perturber la stabilité bancaire. Au vu du montant récolté, mais aussi au vu des avantages fiscaux et administratifs que le gouvernement s’est octroyé. Il faut donc rester prudent : ce bon d’Etat est un succès, mais aussi un risque », prévient-il.

D’après l’expert financier, les banques n’ont pas spécialement peur de perdre leurs clients face à l’ampleur du succès du bon d’Etat. Le bât blesse surtout au niveau du financement des institutions bancaires, qui est « dépendant de l’épargne et surtout des taux hypothécaires octroyés à des taux fixes très bas. Ces derniers courent sur le long terme et portent toujours le risque de déstabiliser cet équilibre fragile, aussi bien pour les petites et les grandes banques. La probabilité qu’elles perdent leur rentabilité est bien réelle. »

Les banques cachent leur nervosité. Le bon d’Etat est un choc qui pourrait perturber leur stabilité.

Geert Noels

Pour Geert Noels, il reste peu de marge aux banques dans l’optique d’une opération de « re-séduction ». « Elles essaient d’augmenter leurs taux d’intérêt mais font face à des soucis de rentabilité », insisite-t-il.

Pour la première fois « depuis une décennie », les obligations constituent ainsi une alternative intéressante à d’autres placements. « On peut désormais se constituer un portefeuille avec des obligations à rendement acceptable », note le PDG d’Econopolis. Ce n’est pas suffisant pour neutraliser l’effet de l’inflation instantanément, mais ça pourrait certainement l’être dans un horizon de trois à cinq ans. »

Geert Noels, bon d'Etat
L’économiste Geert Noels craint que l’Etat absorbe encore davantage l’épargne des Belges, ce qui pourrait perturber la stabilité bancaire.

Une bonne affaire « surtout pour le gouvernement »

Ce montant de 20 milliards est équivalent à 3,5% de la dette belge actuelle. « Cette opération est surtout une bonne affaire pour le gouvernement. Actuellement, seuls 13.5% de l’Etat sont financés par le Belge particulier. Plus de 60% sont financés par des fonds étrangers. Avec le bon d’Etat, le gouvernement veut ainsi montrer qu’il sait financer sa dette en Belgique », analyse Geert Noels.

« D’un autre côté, prolonge-t-il, cela ouvre une boîte de Pandore. Car il reste à voir comment le gouvernement va gérer le risque existant du crowding out, c’est-à-dire le fait que l’Etat commence à absorber l’épargne -cela s’est déjà produit dans les années 70 et 80- et tout ce qui est disponible sur le marché interne, souligne-t-il. Ce faisant, il risque de déstabiliser les banques. »

L’économiste est catégorique : il faut se rendre compte de « l’énormité » de la dette belge. « Avec plus de 500 milliards d’euros, c’est un énorme tank à manœuvrer. Avec cette montagne de dettes sur le dos, on doit toujours veiller à ne pas déstabiliser le système financier. »

Le bon d’Etat ouvre une boîte de Pandore. La dette belge, de 500 milliards d’euros, est un énorme tank à manoeuvrer.

Geert Noels

Reste à savoir comment l’Etat belge se servira ce montant record. Pour Geert Noels, la nature de leur utilisation ne fait pas l’ombre d’un doute. « Avec 20 milliards, on ne finance même pas le déficit de cette année-ci, estimé à 27 milliards. Cet argent ne servira qu’au financement de la dette, et rien d’autre. »

De quoi tenter le ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, à renouveler cette formule dans un futur proche ? « L’Etat va d’abord évaluer l’impact de ce placement sur le système bancaire. Le fait qu’il se soit donné des avantages fiscaux est quelque chose qui va probablement être examiné par certains juristes », prédit-il enfin.

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