Le big bang wallon des droits de succession et de donation: 10 questions pour tout comprendre
C’était l’une des promesses de la coalition Azur: une grande réforme fiscale des droits de succession et de donation. Les taux seront considérablement allégés, ont assuré, mi-septembre, MR et Les Engagés. Mais pas avant 2028… Le point en dix questions.
Le processus législatif sera mené au pas de charge. Une deuxième lecture du texte présenté le mois dernier était prévue en octobre. Ensuite, le dossier sera transmis au parlement de Wallonie. L’entrée en vigueur des mesures, toutefois, ne sera pas pour tout de suite. Le citoyen devra patienter jusqu’au 1er janvier 2028 pour profiter de cette fiscalité allégée sur les droits de succession et donation.
1. De quels droits parle-t-on précisément?
Des droits de succession et de donation. Les droits de succession sont dus sur tout héritage. Les droits de donation s’appliquent sous certaines conditions lorsqu’une personne cède une partie de ses avoirs de son vivant. Les deux sont calculés sur la valeur des biens mobiliers et immobiliers.
En Belgique, les droits de succession et de donation ont été régionalisés en 2000. La Flandre, la Wallonie et Bruxelles ont donc des systèmes différents. Le domicile fiscal du défunt détermine la législation applicable.
Les taux d’imposition varient alors selon deux critères: le lien de parenté avec le défunt/donateur et le montant du patrimoine.
Lors d’une succession, le paiement doit intervenir dans les six mois après la date du décès (lorsque celui-ci a lieu en Belgique). Quatre mois sont laissés aux héritiers pour introduire une déclaration de succession qui établit, entre autres, le total des avoirs et la répartition entre légataires. Deux mois pour payer les montants dus.
2. Quels sont les objectifs poursuivis?
La coalition Azur avance deux motivations à la réforme des droits de succession et de donation. D’abord, s’adapter aux modes de vie actuels. «La composition des familles a beaucoup évolué au cours des dernières décennies», peut-on lire dans la Déclaration de politique régionale (DPR). Les ménages recomposés sont de plus en plus nombreux. Par ailleurs, comparé à auparavant, davantage de personnes vivent seules ou n’ont pas d’enfant ou souhaitent céder des avoirs à un proche sans lien de parenté. Et sont actuellement désavantagées.
Deuxième raison: Les Engagés et le MR souhaitent mettre fin à des taux considérés comme «confiscatoires», débouchant, selon eux, sur de l’injustice. «Les taux [les plus élevés] encouragent les opérations de planification patrimoniale réalisées surtout par les familles les plus fortunées, en faisant reposer injustement la charge fiscale sur les contribuables les moins bien préparés, les moins aisés et la classe moyenne.»
3. En quoi consistent les nouvelles mesures?
La réforme se traduira principalement en une baisse des taux. Quasi tous seront divisés par deux. «La mesure permettra de revenir à une forme d’imposition plus acceptable par la population, en particulier par les héritiers les plus éloignés dans l’ordre de succession, ceux soumis aux taux les plus élevés, estime Gilles de Foy, spécialiste en droit successoral et avocat associé au cabinet Bazacle & Solon. La Région pourrait donc se rapprocher de ce que l’OCDE (NDLR: l’Organisation de coopération et de développement économiques) préconise. A savoir un impôt efficace où l’on trouve un équilibre entre des recettes pour les autorités et une meilleure acceptabilité pour la population, afin de réduire le risque de fraude.»
Avec de tels abaissements, la Wallonie deviendra une des entités les plus favorables en la matière. «Après la régionalisation, la Flandre avait rapidement baissé ses taux, rappelle Martin Vanden Eynde, fondateur de Successio, un bureau d’aide à la gestion des successions. Avec la réforme Azur, le sud du pays reviendra dans la course. Ce qui pourrait convaincre certains de se domicilier en Wallonie.»
Selon ces deux intervenants, la concurrence entre Régions dans les droits de succession et de donation est une «vraie réalité». Le nouveau gouvernement flamand a d’ailleurs déjà répliqué en annonçant à son tour, le 30 septembre, une réforme. Avec des droits d’enregistrement pour le premier bien abaissés à 2%, par exemple.
4. Quels contribuables seront gagnants?
Pour les petits patrimoines, rien ne changera. Les taux pour ceux qui héritent de faibles montants et en ligne directe resteront à 3%, 4% et 5% sur les trois premières tranches allant jusqu’à 50.000 euros. Pour les gros patrimoines, les baisses seront les plus conséquentes. Au-delà de 500.000 euros, un héritage en ligne directe sera imposé à 15% au lieu de 30% (voir infographie).
Alors, qui en profitera le plus? Il y a débat. Pour certains observateurs et pour la coalition Azur, ce sera la classe moyenne. L’explication? Les petits patrimoines resteront faiblement taxés, tandis que les gros devraient continuer de recourir à de la planification successorale qui leur permet de faire baisser voire d’annuler la facture. Ce sont donc les héritiers «de l’entre-deux» qui sortiraient vainqueurs.
L’opposition wallonne, elle, a une autre lecture. «La réforme proposée sera fondamentalement injuste, juge le chef de groupe Ecolo au parlement régional, Stéphane Hazée. Les allègements seront proportionnellement les plus conséquents pour les gros patrimoines. Cela aura un effet antiredistributif. A l’arrivée, une grande partie du coût de cette réforme bénéficiera à un nombre réduit de personnes.»
Les grandes familles continueront-elles ou non à faire de la planification? La réponse n’est pas évidente. «Certains de nos clients choisissent cette voie pour des raisons fiscales, d’autres pour des raisons légales: partage complexe entre enfants, transmission d’une entreprise familiale ou encore sécurité juridique, souligne Corentin Minne, cofondateur de Pareto, une société active dans le domaine. Pour les patrimoines élevés, les familles nombreuses ou ceux pour lesquels la fiscalité joue un rôle très important, cela restera toujours intéressant.»
Une catégorie verra néanmoins sa situation s’améliorer: les personnes sans lien de parenté avec le défunt. C’est ce que pronostiquent, notamment, les notaires. «Ces gens font parfois face à des situations pénibles, témoigne Renaud Grégoire, porte-parole de Fednot, la Fédération des notaires. Les taux auxquels ils sont soumis peuvent aller jusqu’à 80%. Si un bien immobilier figure dans la succession, beaucoup décident de le revendre. Ce qui exige d’autres démarches.»
5. Succession et donation: quid des familles recomposées?
A l’heure actuelle, les enfants et les beaux-enfants d’un couple remarié ou cohabitant légal sont sur le même pied. Tous bénéficient des taux en ligne directe, les plus favorables. Idem pour les enfants adoptés –du moins si le degré d’adoption est suffisamment fort. En revanche, les enfants des beaux-enfants sont défavorisés par rapport aux enfants des enfants. La réforme changera cela.
Une autre modification concernera les enfants placés en famille d’accueil par un juge de la jeunesse. Ils pourront être assimilés aux enfants biologiques.
Enfin, une dernière mesure concernera les conjoints survivants. Actuellement, ceux-ci sont exonérés des droits de succession sur l’immeuble ayant servi de résidence, à condition que celui-ci ait été acquis plus de cinq ans avant le décès. «Or, il arrive que des couples déménagent d’une maison vers un appartement et qu’un des deux décède avant cette échéance», note Corentin Minne (Pareto). Pour leur éviter des conséquences trop lourdes, cette condition sera supprimée.
6. Pourrait-il y avoir des perdants?
Plusieurs observateurs redoutent que les legs faits en tout ou en partie à des associations caritatives deviennent moins intéressants. Pour rappel, en Wallonie et à Bruxelles, les personnes peuvent prévoir dans leur testament de laisser des biens à des institutions (qui paient alors des droits de succession de 5,5%) ou à des associations (qui paient du 7%).
Dans ces deux Régions, il existe également un système appelé le «legs en duo». Il permet à une personne de diviser son héritage entre un proche et une association. Cette dernière paiera les droits de succession tant sur sa part que sur celle de l’héritier. Ce système a été imaginé pour inciter les citoyens à soutenir le secteur caritatif.
Il est possible que ces deux options disparaissent. «On se pose la question, effectivement, commente Pauline Smal, juriste et responsable « legs » à la Croix-Rouge. On espère que le gouvernement tiendra compte de notre spécificité.» En Flandre, cette fiscalité sur les legs aux associations a été abolie en 2021.
7. La donation sera-t-elle toujours intéressante?
Pour les biens mobiliers (argent, œuvres d’art, etc.), rien ne change. Pour rappel, le système est le suivant: si elle a lieu sans document, une donation n’est pas imposée (pour autant que le donateur ne décède pas dans les cinq ans). Si elle est enregistrée sur un écrit ou par un acte notarié, les taux ne bougent pas, 3,3% pour les dons faits aux enfants, époux et cohabitants légaux et 5,5% pour ceux faits à toute autre personne. Ce sont donc des tarifs doux. Pour les donations immobilières, la réforme prévoit un abaissement. Un différentiel fiscal se poursuivra donc entre donations et successions.
Les notaires avaient plaidé en ce sens. «Les donations ont plusieurs avantages, rappelle Renaud Grégoire (Fednot). Cela permet à des héritiers de bénéficier d’un coup de pouce de la part de leurs parents ou de leurs proches, sans attendre un décès. Et aux autorités de percevoir des recettes plus tôt. Enfin, une partie des biens donnés peuvent être réinvestis dans l’économie.»
8. Cette réforme est-elle complète?
Des points pourraient être améliorés. C’est ce que relève Gilles de Foy (Bazacle & Solon): «La manière dont la Région reprendra la perception de ces impôts n’est pas encore très claire. Or, cela sera déterminant pour l’efficacité de la réforme. De même, une simplification administrative sera-t-elle décidée pour les citoyens? Instaurera-t-on, par exemple, un formulaire type qui tiendrait lieu de déclaration de succession? Ce dernier pourrait-il être rempli en ligne, comme en Flandre?»
Autre inconnue: le traitement fiscal des donations qui suivent immédiatement une succession. Exemple: une fille hérite de ses parents et cède, dans la foulée, ce patrimoine à ses propres enfants. «En Flandre, cette donation ne donne lieu à aucun impôt supplémentaire. Le but est de favoriser une transmission plus rapide de moyens aux jeunes générations. La Wallonie a, elle aussi, voté une mesure similaire, mais les arrêtés d’application n’ont jamais été pris. Cela sera-t-il réglé?»
Dernier point soulevé par l’expert: les barèmes de patrimoine. «Ils n’ont été ni adaptés ni indexés depuis des décennies. Cela pose surtout question pour les immeubles. Car les prix ont considérablement augmenté.»
9. Succession et donation: pourquoi une entrée en vigueur en 2028?
L’horizon du 1er janvier 2028 interpelle plusieurs observateurs. La coalition MR-Les Engagés avance une raison principale. Pour le moment, la Wallonie ne procède pas elle-même à la perception de ces droits de succession et de donation. Elle passe par l’Etat fédéral (SPF Finances), qui lui rétrocède les recettes. La Flandre, en revanche, les lève elle-même.
«Un processus a été lancé auprès de l’administration fédérale afin de transférer cette perception à notre niveau», affirme le cabinet du ministre-président wallon Adrien Dolimont (MR). Cette reprise démarrera le 1er janvier 2025 et durera trois ans. C’est que l’affaire est complexe. A côté de la perception, il faudra aussi régler le contentieux, le recouvrement en cas de non-paiement, les interactions avec les redevables… De plus, la Wallonie entend mettre au point un outil informatique qui lui permettra d’analyser statistiquement les recettes.
10. Succession et donation: quel sera l’impact budgétaire?
Le délai de 2028 présente néanmoins deux avantages pour la coalition Azur. L’un est politique:le MR et Les Engagés pourront se présenter à l’élection régionale de juin 2029 avec l’argument d’une baisse fiscale. L’autre est budgétaire: la Région ne devra pas combler tout de suite le manque de recettes. Car cette réforme aura un coût…
En Wallonie, les droits de succession ont rapporté 758 millions d’euros en 2023 (montant hors droits payés par les asbl). Selon le cabinet Dolimont, la réforme devrait coûter quelque 375 millions d’euros pour l’année 2028. Ce n’est pas rien. Et ce, alors que la Wallonie traîne déjà un endettement colossal: 40 milliards d’euros à la fin 2024 (dette brute consolidée).
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