« Le Bel20, c’est la Champions League » : les grands patrons gagnent-ils réellement 50 fois le salaire belge médian ?
Le 9 janvier, un CEO du Bel20 a déjà gagné autant qu’un travailleur belge en un an, ressort-il d’un rapport publié par la CNE. Ces grands patrons empocheraient ainsi environ 50 fois le salaire médian en Belgique, selon le syndicat chrétien. Des calculs valables, mais qu’il convient toutefois de nuancer.
Le « CEO Jackpot Day », c’est ce 9 janvier. Ce mardi matin, les patrons du Bel20 – les 20 principales entreprises cotées à la Bourse de Bruxelles – ont déjà gagné autant que le salaire annuel médian des travailleurs belges. Le tout en seulement 5,2 jours de travail effectif, le 1er janvier étant férié et le 6 et le 7 tombant un week-end.
Ce calcul, effectué chaque année par la Centrale Nationale des Employés (CNE), vise à mettre en lumière les inégalités entre les rémunérations en Belgique. Pour établir la date de ce jour symbolique en 2024, le syndicat chrétien s’est basé sur deux données de 2022, les plus récentes à ce jour : le salaire annuel médian des CEO du Bel20, qui s’élève à 2,7 millions d’euros, et le salaire annuel médian des travailleurs belges, estimé à 53.992 euros*, soit environ 50 fois moins. « Cet écart flagrant montre que tous les salaires ne sont pas logés à la même enseigne en Belgique, s’indigne Clarisse Van Tichelen, coordinatrice du service d’études de la CNE. Alors que la loi de 1996 sur les salaires cadenasse la majorité des augmentations collectives pour ceux qui en ont besoin, les rémunérations des CEO du Bel20 s’envolent. »
120 fois le salaire minimum
La différence est encore plus flagrante avec le salaire minimum, fustige le syndicat. « En 2022, le salaire minimum (revenu minimum mensuel moyen garanti) était de 1.879,13 euros. Soit 120 fois moins que la rémunération d’un CEO du Bel20, qui a gagné cette somme en moins de 2,2 jours de travail effectif. »
Au fil des années, cet écart s’accroit ou se réduit légèrement, en fonction de l’évolution de la médiane de rémunération des patrons du Bel20. Selon les données compilées par la Vlerick Business School, cette dernière est passée de 2,25 millions € par an en 2018 à 2,23 millions en 2019, puis à 1,93 millions en 2020, une année économique plombée par la pandémie de Covid-19. Elle a ensuite connu une forte hausse en 2021 (2,43 millions), avant de se stabiliser en 2022 (2,7 millions).
La croissance apparente des rémunérations des grands patrons ces deux dernières années est à nuancer, estime Xavier Baeten, professeur en rémunération et durabilité à la Vlerick Business School. « Les calculs de la CNE se basent sur une médiane, pas sur une moyenne, qui cache en réalité de nombreuses disparités. On pourrait croire que l’ensemble des rémunérations des CEO du Bel20 a augmenté de plus de 10% entre 2021 et 2022, mais ce serait faire fausse route : dans les faits, 41% des grands patrons ont vu leur rémunération diminuer cette année-là, contre seulement 34% pour le reste des PDG européens. » D’autant que la composition du Bel20 est revue chaque année, ce qui peut avoir une influence indirecte sur l’évolution de la médiane des salaires. Les sociétés qui ne satisfont plus aux critères quittent l’indice et sont remplacées par d’autres, qui disposent parfois de systèmes de rémunérations différents.
Rémunération fixe ou variable?
Le salaire des CEO dépend majoritairement de la performance de l’entreprise, rappelle Xavier Baeten. « Plus la société est rentable et le cash-flow est élevé, plus grand sera le bonus du patron. Outre ces primes, il existe également d’autres types d’incitants comme des options d’achats sur actions, qui sont autant d’éléments d’incertitude pour la rémunération des dirigeants. » Environ 50% de la rémunération totale des CEO du Bel20 est ainsi variable, contrairement à celle d’un travailleur belge lambda dont la part de « fixe » est bien plus élevée. « Pour obtenir un ordre de grandeur plus réaliste, il vaudrait mieux comparer les rémunérations fixes entre elles », insiste Xavier Baeten.
Enfin, les calculs de la CNE ne se basent que sur la rémunération de 20 chefs d’entreprise, ce qui est loin d’être représentatif du système global. « Il ne faut pas oublier que les entreprises du Bel20, c’est la Champions League du monde entrepreneurial en Belgique, rappelle Xavier Baeten. Tous les CEO ne gagnent pas 2,7 millions d’euros par an, loin de là. » Les patrons du Bel Mid ou du Bel Small (des sociétés également cotées en bourse mais légèrement moins performantes) ne sont pas logées à la même enseigne. Selon les données de la Vlerick Business School, la rémunération médiane annuelle des CEO du Bel Mid s’élevait ainsi à quelque 868.000€ en 2022, contre 579.000€ pour les CEO du Bel Small. Des montants certes inférieurs à leurs homologues du Bel20. Mais un beau petit pactole, tout de même.
*Estimation basée sur le salaire médian de 2021 publié par Statbel.
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