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L’Arizona veut taxer l’épargne, mais ce n’est pas une mauvaise nouvelle: «Le rendement primera»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Dans son projet fiscal, la N-VA souhaiterait établir un précompte sur l’épargne. En contrepartie, elle supprimerait la prime de fidélité – souvent trompeuse pour le client – et instaurerait un taux de base minimum. Mettre l’épargne et les produits d’investissement dans un même panier fiscal pourrait s’avérer bénéfique pour l’épargnant. Mais le secteur bancaire agite la menace du financement des crédits hypothécaires…

Un précompte de 30% sur l’épargne? Voilà une petite révolution proposée par la N-VA, et dont discute l’Arizona. Toujours exonéré d’impôts en Belgique, le compte d’épargne pourrait être quelque peu trituré par l’éventuel futur gouvernement fédéral. Avec l’arrivée d’un précompte (mais pas que), l’épargne se retrouverait dès lors dans le même panier fiscal que les autres produits d’investissement, tels que les comptes à terme. Une mauvaise nouvelle? De prime abord, oui. Pour les banques, surtout. Pour l’épargnant, le changement pourrait en réalité s’avérer positif. Voici en quoi.

Epargne: l’exonération fiscale guide les choix

L’Arizona s’attaque à la sacro-sainte fiscalité nulle sur le compte d’épargne, poussée par quatre condamnations européennes reprochant à la Belgique une exonération fiscale déloyales avec les autres membres de l’UE.

L’avantage fiscal, pour l’instant, était principalement réservé au compte d’épargne, ce qui le rend populaire. Mais la N-VA veut aujourd’hui égaliser les conditions entre tous les produits financiers. «En Belgique, on constate que la fiscalité guide les choix des gens dans leurs placements, observe Nicolas Claeys, analyste financier chez Test-achats. Or, cette logique peut poser des problèmes.»

A l’heure actuelle, la somme qui «dort» sur les comptes d’épargne 275 milliards d’euros est colossale. «Il faut traiter tous les produits d’investissement sur un même pied d’égalité. Sans le déséquilibre fiscal, une partie de cette épargne pourrait être affectée à d’autres placements plus intéressants sur le long terme. Actuellement, elle est maintenue sur les livrets d’épargne par le seul argument fiscal, pas pour ses atouts.»

Epargne: harmoniser pour mieux comparer

Test-achats a constaté ce même attrait lié à la fiscalité avec le premier bon d’Etat émis en septembre 2023, qui avait amassé 22 milliards d’euros. «Ce produit avait été accueilli favorablement surtout parce que le précompte sur les intérêts était réduit à 15% au lieu de 30. Les gens se dirigent donc naturellement vers une option lorsque la fiscalité de celle-ci est réduite. En mettant sur le même pied d’égalité le compte d’épargne et d’autres produits d’investissement, il sera plus aisé pour l’épargnant de déterminer dans quoi il est plus avantageux d’investir.» Autrement dit, le compte d’épargne serait alors taxé de la même façon que les comptes à terme, les bons de caisse, ou les autres placements bancaires comme les obligations ou les actions.

En contrepartie de cette possible application du précompte à 30%, la N-VA souhaiterait augmenter le montant exonéré par l’impôt (les 2.000 premiers euros d’intérêts, contre 1.020 euros actuellement), tout en incluant les autres produits financiers dans ce panier fiscal. En clair: on passerait de deux paniers fiscaux distincts (épargne/investissements), à un panier fiscal unique. Par ailleurs, les négociateurs fédéraux envisageraient également d’imposer aux banques un taux d’intérêt minimum sur l’épargne, et de supprimer la prime de fidélité (voir plus bas).

Les banques agitent la menace des crédits hypothécaires

Un triturage qui ne plaît pas au secteur bancaire. Dans De Standaard, le directeur général de Febelfin, Karel Baert, estime que cette fusion n’est pas une bonne idée. Elle pourrait selon lui complexifier la déclaration fiscale de chaque épargnant, mais aussi mettre en péril le mécanisme de financement des crédits hypothécaires. «Les gens parlent toujours d’épargne dormante, mais cela n’existe pas. 97% de l’argent du compte d’épargne est converti en prêts. Si on manipule le compte d’épargne, cela risque de compliquer la conversion de cette épargne en prêts immobiliers à long terme avec un taux d’intérêt fixe», met-il en garde.

Pour les banques, évidemment, retirer l’avantage majeur du compte d’épargne signifie un risque de fuite de l’argent vers d’autres produits. «Pour elles, le compte d’épargne reste un moyen de financement très bon marché, rappelle Nicolas Claeys. Or, s’il rentre en concurrence égale avec d’autres produits, les gens se dirigeront plus facilement ailleurs.» Le secteur bancaire verrait certainement d’un mauvais œil que les clients se tournent vers des obligations ou des ETF, par exemple, qui deviennent de plus en plus populaires. «Le secteur se défend au maximum, mais ce n’est pas forcément dans l’intérêt des épargnants.» 

Une offre claire, harmonisée fiscalement, permettra aux gens de mieux comparer les produits entre eux. De ne plus choisir une stratégie d’investissement ou d’épargne basée selon sa fiscalité, mais selon les atouts du produit, son rendement, son risque et sa liquidité.

Nicolas Claeys (Test-Achats)

Quant au risque qui plane sur l’octroi de crédits hypothécaires, l’analyste financier reste dubitatif. D’abord parce que si les gens vont vers les comptes à terme, l’argent ne sort pas des banques. Il transite simplement vers d’autres produits. Ensuite parce que les banques détiennent d’autres moyens pour financer leurs crédits hypothécaires. «Il y a un peu plus d’un an, les banques versaient des milliards vers la Banque centrale européenne pour bénéficier du taux de refinancement à 4%, sans toutefois augmenter en conséquence les taux d’intérêt sur leurs livrets d’épargne», rappelle Nicolas Claeys.

L’épargnant toujours comme variable d’ajustement

Selon le spécialiste, cela démontre que les banques avaient déjà beaucoup trop d’argent à leur disposition. «Dès qu’on touche au compte d’épargne, les instituions bancaires mettent le holà en disant que le crédit hypothécaire sera menacé. Ce qui n’est surtout pas normal aujourd’hui, c’est que les comptes d’épargne soient si faiblement rémunérés.» Pour Nicolas Claeys, il est donc «un peu ironique que le secteur bancaire dise craindre pour le petit épargnant alors qu’il n’a rien fait en sa faveur, et ce alors que les taux directeurs étaient très élevés depuis deux ans.»  

Dans le grandes banques, le taux d’épargne tourne autour de 1%. «Le message est clair: si on fixe un taux à 1% alors que les taux du marché sont à 4 ou 3%, cela veut dire qu’on a trop d’argent en compte. Si elles en manquaient, elles se battraient en offrant des taux plus élevés. Deuxièmement, cela sous-entend, pour ceux qui comprennent le message, que le produit n’est pas intéressant, si ce n’est pour l’épargne de précaution.» Pour l’expert Test-Achats, donc, si la taxation sur l’épargne menaçait l’octroi de crédits, les banques augmenteraient leurs taux. «Si on perçoit une menace, on fait tout pour garder l’argent.» 

Il est un peu ironique que le secteur bancaire dise craindre pour le petit épargnant aujourd’hui. Depuis deux ans, il n’a rien fait en sa faveur alors que les taux directeurs étaient très élevés.

Nicolas Claeys (Test-Achats)

Test-Achats regrette ainsi de voir l’épargnant être toujours utilisé comme la variable d’ajustement. «Une offre claire, harmonisée fiscalement, permettra aux gens de mieux comparer les produits entre eux. De ne plus choisir une stratégie d’investissement ou d’épargne basée selon sa fiscalité, mais selon les atouts du produit, son rendement, son risque et sa liquidité», explique Nicolas Claeys.

Un taux d’intérêt minimum imposé aux banques?

La possibilité d’instaurer au taux d’intérêt minimum sur l’épargne est plus sensible. «Il y a des banques pour qui cela poserait plus problème que d’autres. Certaines pourraient subir ce taux minimum selon les conditions du marché. Cette mesure serait un petit plus, mais elle n’est pas celle que tout le monde attend.»

Avant d’arriver à cette option délicate à instaurer, d’autres solutions existent, rappelle Nicolas Claeys, «comme la suppression de la prime de fidélité (NDLR: également sur la table de l’Arizona), qui obligerait les banques à afficher le taux réel sur l’épargne. Pour elles, les primes de fidélité ne coûtent pas cher car elles sont exonérées de précompte, ce qui leur permet de baisser le pourcentage final du client. Il faut un seul taux, à savoir ‘le taux vérité’.»

Il faut un seul taux, à savoir ‘le taux vérité’. Supprimer la prime de fidélité est souhaitable.

Nicolas Claeys (Test-Achats)

Ces propositions de changements font aussi suite aux multiples rappels à l’ordre de l’Europe, qui a condamné à quatre reprises la Belgique pour son exonération fiscale sur l’épargne. «Ce que l’Europe reproche, c’est la mise en place d’un système trop complexe lié à l’exonération de précompte. Cela ne place pas la Belgique sur un même pied d’égalité avec ses voisins. Quelque part, la Belgique freine la mobilité de l’épargne en Europe», analyse Nicolas Claeys.

Exemple: si vous ouvrez un livret A en France, les intérêts sont taxés à 30%. En Belgique, ils ne le sont pas. Or, aucune raison valable n’existe pour justifier cette différence: la philosophie du livret A en France est la même que celle du compte d’épargne en Belgique: l’argent est disponible, avec un taux sans risque. «L’exonération sur l’épargne est une sorte de carapace créée par la Belgique face à la concurrence étrangère. Supprimer la prime de fidélité et découpler l’avantage fiscal du compte d’épargne permettra ne plus s’exposer à la vindicte européenne.»

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