guerre argent
Boycotter les produits américains? Une majorité de Belges n’y est pas favorable. Normaliser les relations commerciales avec la Russie, en cas de cessez-le-feu durable? Les sondés n’y sont pas majoritairement favorables non plus.
(cette photo date de 2019)
© Metzel Mikhail/Tass/ABACA

La moitié des Belges sont prêts à boycotter les produits américains: «Des entreprises tomberont chez nous aussi»

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Trois quarts des Belges estiment que la menace de guerre leur fera perdre de l’argent. Davantage encore craignent que le contexte international va faire grimper les prix. Dans ce contexte de menace de guerre, l’esprit n’est guère à l’optimisme.

La situation géopolitique génère des craintes auprès des Belges, quant au maintien de la paix. Mais d’autres préoccupations apparaissent en corollaire, liées aux conséquences de ces crispations internationales. En l’occurrence, il s’agit des répercussions sur le portefeuille de tout un chacun. La menace de guerre ambiante risque de coûter de l’argent.

En effet, selon le sondage réalisé par l’institut Kantar pour Le Vif, lorsqu’il est demandé aux Belges s’ils pensent que la menace de guerre aura un impact sur leur argent, une importante majorité considère que l’influence sera négative. Précisément, 75,3% considèrent que cette conjoncture va leur coûter de l’argent, alors que 11,9% pensent qu’elle ne changera rien et une petite proportion de 2% pensent qu’il y gagneront de l’argent. Au sein de cette dernière catégorie, on retrouve une proportion un peu plus importante au sein des indépendants (6,7% répondent qu’ils y gagneront et 22,2% n’en savent rien) que parmi les autres catégories socioprofessionnelles.

Pécuniairement parlant, l’ambiance n’est visiblement guère à l’optimisme. Cette préoccupation traverse l’ensemble de la société, même si la crainte est plus sensible au sein de certaines catégories. Les néerlandophones (79,4%) sont un peu plus nombreux que les francophones (70,5%) à craindre un effet négatif.

Mais les différences les plus perceptibles sont d’ordre générationnel, les tranches d’âge les plus élevées craignant davantage pour leur portefeuille que les plus jeunes. De fait, les 65 ans et plus sont 81,9% à penser que le contexte leur fera perdre de l’argent. La tranche des 55-64 ans se situe même à 90,2%, alors que la proportion est moindre auprès des 35-54 ans (73,6%) et des 18-34 ans (62%).

Il s’agit ici d’un ressenti, qui repose probablement sur une série d’observations objectives, au moins partiellement. La guerre et les revirements américains quant au soutien à apporter à l’Ukraine peuvent mécaniquement conduire à une augmentation des dépenses d’argent public pour les pays européens, qui peut se répercuter en bout de course sur le portefeuille des citoyens. Il en va de même des dépenses de défense que le gouvernement fédéral belge s’engage à rehausser à court terme, de manière à atteindre les fameux 2% du PIB.

Inflation redoutée

Comme un chat échaudé qui craint l’eau froide, le Belge se souvient très probablement de la poussée inflationniste qu’avait occasionnée l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022. L’augmentation des velléités de guerre et a fortiori la guerre en tant que telle sont de nature à faire gonfler les prix, et donc faire perdre de l’argent.

Justement, le sondage a aussi interrogé les Belges sur leurs prédictions en matière d’évolution des prix, cette année, toujours en lien avec ce contexte de menace de guerre.

Assez logiquement, les craintes s’expriment dans des proportions similaires à la première question, à savoir que 81,4% estiment que les prix vont augmenter. Une fois encore, les néerlandophones (85,3%) sont un peu plus nombreux à le penser que les francophones (76,9%). C’est également le cas des générations plus avancées: 86,2% des 55-64 ans et 87,2% des 65 ans et plus, alors que les 18-34 ans ne sont «que» 70,9% à le penser.

Pas touche à la TVA

A côté des impacts subis sur le portefeuille ou sur les prix, se pose aussi la question des dépenses que les Belges seraient prêts à consentir. La moitié (51,9%) des sondés estime que la Belgique doit augmenter ses dépenses de défense, un quart (24,9%) considérant qu’il convient de les maintenir en l’état.

En revanche, peu de citoyens semblent disposés à accepter une augmentation de la fiscalité pour y parvenir. En l’occurrence, l’augmentation de la TVA pour contribuer aux investissements dans la défense. Le refus est plutôt clair, dans l’ensemble: 70,2% ne sont pas d’accord, 16,9% sont d’accord, 12,9% ne savent pas. La personnalité politique qui s’aventurerait à mettre cette idée sur la table ne gagnerait certainement pas en popularité, sauf à mettre en œuvre un habile plan de communication.

70,2% des Belges ne veulent pas d’une TVA augmentée pour soutenir les dépenses de défense.

La question d’une espèce de bon d’Etat consacré aux dépenses de défense, le «bon de défense», a aussi circulé parmi les responsables politiques. Il s’agit de cette bonne vieille recette consistant à mobiliser l’épargne des Belges, pourquoi pas dans une forme d’élan patriotique.

Là, les réponses sont moins tranchées, sans doute parce que le rendement d’un éventuel bon de défense rend l’idée plus attractive (ou moins rédhibitoire) qu’une augmentation de l’impôt sur la consommation. Néanmoins, un Belge sur deux (51,2%) n’est pas d’accord, donc n’est pas prêt à souscrire une telle obligation pour la cause. A l’inverse, un peu plus d’un quart (27,9%) serait disposé à le faire. Avec, en l’espèce, une nette différence en fonction du genre: 36,3% des hommes pourraient y consentir, contre 19,9% des femmes.

Au moment de réaliser le sondage, le président américain n’avait pas encore proclamé son Liberation Day, en faisant exploser les droits de douane, y compris sur les importations européennes. Mais la menace planait bel et bien. Sur le plan de la guerre en Ukraine, en revanche, chacun avait bien en tête les soubresauts de Donald Trump et de son administration. Pour autant, au regard de cette augmentation des droits d’importation, les Belges sont-ils disposés à boycotter les produits et services américains tels que Tesla, Coca-Cola ou Facebook? La réponse est half en half, si l’on veut: 45,7% répondent par l’affirmative. Les générations plus âgées sont davantage disposées à boycotter que les plus jeunes. Et les urbains, un peu plus que les ruraux. Mais dans l’ensemble, la population semble divisée sur la question. «Je peux comprendre que l’on souhaite boycotter les produits américains, c’est un réflexe naturel, commente l’économiste Bertrand Candelon (UCLouvain) à nos collègues de Tendances. si l’on arrête de consommer du Coca-Cola, il faut savoir que 70% des bouteilles sont produites en Europe, ce qui signifie que des entreprises vont tomber chez nous. Si l’on fait de même avec Tesla, il faut savoir que des entreprises belges fournissent des composantes à l’entreprise, cela fera aussi des dégâts. On pourrait aussi parler des réexportations: on peut boycotter des pistaches américaines, mais les Etats-Unis pourront les vendre à l’Inde qui les vendront chez nous. C’est ce que l’on a vu avec la Russie: nous en sommes au seizième paquet de sanctions… et nous achetons toujours russe. Tout est imbriqué.»

Enfin, d’aucuns s’interrogent sur les relations commerciales à entretenir avec une autre puissance, la Russie, du moins en cas de cessez-le-feu prolongé. Faudrait-il les normaliser? Le «non» l’emporte avec 57,2% – mais 67,2% dans la tranche d’âge la plus élevée -, ce qui ne ressemble pas à un rejet massif de cette normalisation éventuelle.

Cette enquête a été réalisée en ligne par Kantar Insights Belgium du 22 au 28 mars 2025, à la demande de Knack, Le Vif, Trends, Kanaal Z et De Zondag, auprès de 1.060 Belges âgés de 18 ans ou plus, représentatifs en termes de sexe, d’âge, de région, de niveau d’études et de situation professionnelle, avec une marge d’erreur de 3,1%.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire