L’indexation des salaires vidée de sa substance? La composante énergie met (presque) tout le monde mal à l’aise
Exclure l’énergie du calcul de l’indice pourrait avoir des conséquences directes sur l’indexation des salaires. L’option est encouragée par le patronat, exclue par les syndicats, négociée par les politiques, débattue par les économistes. Mais surtout: elle met presque tout le monde mal à l’aise.
L’indexation automatique des salaires, système singulier à la Belgique, s’est érigée comme véritable pilier du pouvoir d’achat. Son mantra, selon lequel les revenus des travailleurs suivent l’inflation, a permis à la Belgique de traverser les crises du Covid et de l’énergie tout en préservant le pouvoir d’achat des consommateurs. Un «petit bijou» de cohésion sociale reconnu de tous. Mais le système, malgré toutes ses qualités, fait porter un coût important aux entreprises, qui voient leur compétitivité mise à mal face aux pays exportateurs voisins.
C’est dans cette optique que les futurs partenaires de l’Arizona, son formateur Bart De Wever en tête, examinent les diverses possibilités pour remanier un système devenu presque sacré. Plus encore, son noyau dur serait attaqué, à savoir la composition même de l’indice sur lequel est basé l’indexation salariale. Au centre, la prise en compte des prix de l’énergie dérange. Cet élément, singulièrement, avait conduit à une indexation record des salaires (+11%) en janvier 2023. Un emballement «presque incontrôlable» dont le patronat se serait bien passé.
Sur le sujet, les politiques tempèrent ou se taisent (négociations fédérales en cours obligent), les partenaires sociaux tranchent, les économistes nuancent. Tour d’horizon des conséquences d’une mesure qui, si elle est adoptée, pourrait provoquer un chamboulement majeur sur la façon dont les salaires sont calculés. Et, cela tombe sous le sens, diminuerait la protection des consommateurs en cas de nouvelle crise énergétique.
Indexation des salaires: mieux inclure le logement, lisser l’énergie
«En Belgique, le maintien de l’indexation résulte d’un équilibre subtil», contextualise l’économiste Philippe Defeyt. Et s’il n’est pas question de toucher à l’existence même de ce mécanisme, discuter de l’instrument de mesure de l’index «est plutôt souhaitable».
D’après le spécialiste, deux grandes réformes sont envisageables. Un: augmenter la part du logement dans le calcul de l’indice (autour de 7% chez nous contre 25% aux Etats-Unis). Deux: prendre en compte la facture d’énergie annuelle, au détriment des factures intermédiaires. «Il s’agit ici de lisser l’impact du prix du gaz et de l’électricité sur l’index en fonction de la facture finale. Ce n’est pas un chipotage, cette réforme est essentielle, insiste Philippe Defeyt. On peut et on doit ouvrir un débat ce qu’on inclut dans l’indice santé.»
Faut-il, par exemple, y retirer le carburant qui permet d’aller au travail? «La composante coût de déplacement doit en faire partie. Mais on pourrait dissocier cet indice de celui qui sert au calcul des allocations sociales», propose Philippe Defeyt.
Il rappelle que l’indexation est liée à une vision traditionnelle des salaires. Elle ne tient pas compte des nombreuses composantes actuelles, comme les déséquilibres croissants amenés par les avantages extra salariaux. «Il ne serait pas normal de limiter l’indexation, tout en laissant celui qui bénéficie d’une carte carburant voir son avantage augmenter en fonction du prix de l’essence.»
Indexation des salaires: les politiques prudents
Chez les politiques, la question est épineuse. Sondé, Vooruit affirme «ne pas souhaiter répondre aux questions liées à des sujets actuellement sur la table des négociations fédérales.»
Même son de cloche chez les Engagés, qui précisent toutefois (sans surprise) «être totalement favorables au maintien du concept même de l’indexation.» Et concernant la révision des composants de l’index? La question met mal à l’aise. «Nous ne nous exprimons pas car il s’agit d’un élément discuté autour de la table.»
Le MR se positionne plus clairement. Son chef de groupe à la Chambre, Benoît Piedboeuf, rappelle ne pas vouloir remettre en cause le mécanisme dans la mesure où il est lié au maintien de la loi de 1996. «Nous pouvons accepter une indexation, quelle qu’elle soit, à condition de travailler à la réduction des charges qui pèsent sur les employeurs et impactent leur compétitivité. Le système est cependant un facteur de cohésion et de paix sociale», reconnaît-il.
Le libéral se montre même curieusement favorable au maintien de la composante énergie dans le calcul de l’indice. «Conserver l’indexation mais la rendre inopérante par rapport à l’objectif recherché, à savoir maintenir le pouvoir d’achat, n’aurait pas de sens. Ce serait vider le processus de sa substance, à partir du moment où les charges énergétiques pèsent énormément sur les revenus des ménages.»
Et les partenaires sociaux?
Qu’en pense le plus grand employeur du pays (550.000 personnes), à savoir la fédération belge du commerce, Comeos? «Supprimer la composante énergie de l’indice est une option tout à envisageable, avance Dominique Michel, CEO. Sur les deux dernières années, poursuit-il, les explosions de l’inflation ont été guidées par l’impact considérable des prix de l’énergie. Les systèmes d’index ne sont plus contrôlés. Pour les travailleurs, un instrument plus lissé serait bénéfique.»
De son côté, la Fédération Horeca (120.000 travailleurs) ne remet pas en question le mécanisme de l’indexation, mais prône la mise en place de mesures structurelles. «Nous pensons qu’il est nécessaire d’alléger les charges sociales qui pèsent sur les employeurs et qui avoisinent 50% de l’ensemble de leurs coûts.»
Dominique Michel (Comeos) se plaît à rappeler qu’en France, c’est le président socialiste François Mitterrand qui a mis fin au système d’indexation automatique des salaires en 1983. «Il estimait que ce système était contre-productif pour tous.» Comeos n’insinue pas qu’il faut supprimer l’indexation, «mais plutôt faire en sorte qu’elle ne se retourne pas contre l’ensemble acteurs économiques, et donc, contre le consommateur lui-même.»
« Si les thermomètres ne mesurent plus correctement la température… »
La fédération des entreprises de Belgique (FEB) n’en pense pas moins. Elle invite à «travailler sur des pistes pour que l’indexation automatique des salaires ne provoque plus de dérapages à l’avenir». Parmi ses priorités… la fameuse réforme de l’indice, «par exemple l’exclusion des composantes énergétiques et/ou des impôts indirects», mais aussi la «valorisation de la masse d’indexation prévue par le dialogue social» et les «accords all-in sur les augmentations des salaires nominaux». La FEB va même plus loin: «Une solution plus fondamentale pourrait consister à abolir à la fois l’indexation automatique des salaires et la loi sur les normes salariales.»
C’est tout le contraire de ce que pense le syndicat chrétien CSC. Supprimer l’indexation automatique est inconcevable, revoir la composante énergie de l’index intolérable. «Si les thermomètres ne mesurent plus correctement la température, nous allons connaître des difficultés collectives», craint Marie-Hélène Ska, secrétaire générale.
A l’instar de Philippe Defeyt, le syndicat plaide pour une meilleure intégration du logement dans les futurs calculs. «Sur dix ans, les prix de l’immobilier ont bondi 30%. Le droit au logement est donc en net recul. Le fait que les revenus du citoyen progressent moins vite que les coûts d’un bien aussi élémentaire que l’habitation est problématique. Nous demandons donc l’intégration de cette composante à la corbeille de l’index», plaide enfin Marie-Hélène Ska.
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