Les contrats fixes avaient été supprimés en raison de l'instabilité du marché. © Getty

Gaz et électricité: « Il existe une marge de manœuvre pour passer à un contrat moins cher »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La crise énergétique, intensifiée par la guerre en Ukraine, fait gonfler la facture de gaz et d’électricité du consommateur belge à vue d’œil. Auprès des fournisseurs, les contrats fixes disparaissent pour laisser place à une majorité de contrats variables. Et les paramètres d’indexation des prix sont si nombreux qu’il est devenu très compliqué, pour le consommateur, de pouvoir comparer les contrats. Compliqué, mais pas (encore) impossible. Le point avec Bertrand Candelon, économiste et spécialiste de l’énergie (UCLouvain) et Julie Frère, porte-parole de Test Achats.

Pour le consommateur belge, le contexte énergétique n’a jamais été aussi défavorable. « On est extrêmement inquiets. On a analysé les cartes tarifaires du mois d’août, où l’on peut constater une augmentation encore très importante des prix de l’énergie, aussi bien du gaz que de l’électricité », se préoccupe Julie Frère, porte-parole de Test-Achats.

Facture de gaz et d’électricité: disparition des contrats fixes et flou artistique autour des contrats variables

Un rapide coup de sonde sur le marché actuel permet de constater que les contrats fixes ont quasiment disparu chez les fournisseurs d’énergie. « Il en reste uniquement chez Luminus et chez Total-Energies sous certaines conditions, confirme Julie Frère. Mais ces contrats fixes sont devenus inabordables. « C’est de la folie. On est environ à 500 euros d’acompte mensuel moyen pour le gaz et 190 pour l’électricité. Cela représente donc une facture de presque 700 euros par mois pour un ménage qui est sous contrat fixe. C’est un montant complètement hallucinant », alarme la porte-parole de l’Association des consommateurs.  

« Pour les contrats variables, la situation n’est pas plus rassurante », poursuit Julie Frère. « Il y a énormément de paramètres d’indexation qui entrent en ligne de compte. La CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz, NDLR.) en a recensé trente différents. Cela devient donc extrêmement compliqué de pouvoir comparer les contrats entre eux et d’être en mesure de déterminer le moins cher. On estime qu’en période de crise énergétique, il est totalement inadmissible de ne pas avoir les outils de comparaison nécessaires les consommateurs. On est dans une situation où les ménages essayent d’économiser à tout prix et ne parviennent même pas à choisir le contrat le moins cher », dénonce Julie Frère.

L’économiste Bertrand Candelon abonde. « Dans le groupe d’experts (qui a accompagné le gouvernement fédéral autour des questions du pouvoir d’achat, NDLR), on avait demandé qu’il y ait une obligation pour les fournisseurs de proposer à la fois des contrats fixes et variables. Cela pourrait alors donner à l’Etat un moyen d’intervenir. Le problème est que dans le cadre d’un contrat fixe, le fournisseur va pricer la prime de risque, qui sera très élevée. Malheureusement, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Si les prix augmentent, ce sera répercuté d’une façon ou d’une autre. Par contre, il faut veiller à ce que les prix ne soient pas ‘sur-répercutés’ par les distributeurs et les fournisseurs », souligne l’expert.

Il ajoute : « Il faut certainement plus de clarté dans les contrats variables. Actuellement, c’est dur pour le consommateur de pouvoir les comparer. C’est peut-être un rôle de régulation que doit avoir l’Etat. Il pourrait aussi forcer le distributeur de proposer un contrat à prix fixes et un contrat à prix variables. Car pour l’instant, la majorité ne propose plus que des contrats à prix variables. Il faudrait alors contrôler qu’une fois que les prix baisseront, cette baisse soit bien répercutée. S’il y a une intervention des pouvoirs publics, ce ne sera pas en bloquant les prix du marché, mais plutôt en intervenant sur les contrats variables », prédit l’économiste.

Comment se préparer ?

Pour Bertrand Candelon, il n’y a pas de solution miracle. Mais il faut se préparer, en deux temps. « L’Etat doit se préparer à inciter à une diminution de la consommation d’une part, et trouver d’autres approvisionnements d’autre part, afin de limiter l’impact du choc. » Pour l’économiste, le meilleur moyen d’anticiper reste donc de trouver d’autres fournisseurs. « L’Allemagne a négocié avec les Emirats. Des négociations ont lieu avec l’Algérie. Mais c’est de toute façon au niveau européen que les grandes négociations se passent », précise-t-il.

Concernant les mesures qui impactent directement le consommateur, Test Achats demande une réinstauration du filet de sécurité ou de quelque chose qui s’en rapproche. « On veut qu’il y a une diminution et une uniformisation des paramètres d’indexation. Pour que le consommateur puisse comparer et retrouver la maîtrise de son contrat », indique Julie Frère.

Problème belgo-belge supplémentaire, les différents régulateurs du pays ne sont pas d’accord entre eux. Le régulateur flamand utilise sa propre méthode de prédiction de l’évolution de prix, le régulateur fédéral en utilise une autre. Pour Julie Frère, ce flou artistique « fait peser exclusivement sur les épaules des consommateurs les risques d’une nouvelle hausse des prix. »

Oui, il existe encore des différences de prix entre fournisseurs

Si la démarche est si laborieuse, vaut-il encore la peine de tenter de comparer les offres des fournisseurs, dans un contexte d’explosion des prix généralisée ? Pour Test Achats, la réponse est oui. « Même durant cette période de prix complètement dingues, il existe une marge de manœuvre pour passer à un contrat moins cher. Il demeure bel et bien des différences de prix entre fournisseurs et contrats », assure Julie Frère. A ce propos, il existe un top 10 des contrats les moins chers sur le site de la CREG, « mais il faut prendre le temps d’établir son profil de consommation », précise la porte-parole.

Autre conseil de Test Achats : isoler sa maison, pour ceux qui peuvent se le permettre. « Si le consommateur en a les moyens, c’est le moment ou jamais de bien isoler sa maison. Il faut essayer de se prémunir au maximum. On est le deuxième pays d’Europe avec la plus grande consommation d’énergie par mètre carré, et on est le quatrième pays avec le bâti le plus vieux. C’est un combo catastrophique. Donc, on conseille vraiment aux gens d’isoler leur maison pour éviter l’effet ‘passoir énergétique’», suggère la porte-parole.

Réduire sa consommation va, selon toute vraissemblance, devenir une vraie responsabilité individuelle. « Il doit y avoir une chasse au gaspillage d’énergie à tous les niveaux. On peut tous balayer devant sa porte avec des petits gestes, -comme couper des appareils en veille-, qui peuvent faire une différence. Mais il y a aussi une vraie fracture énergétique dans la société: des gens luttent pour payer leur facture à la fin du mois, pendant que d’autres ont des voitures électriques, des pompes à chaleur et des panneaux photovoltaïques », remarque Julie Frère. « Il faut que les ménages le fassent mais aussi et surtout les entreprises. Des lumières qui restent allumées toute la nuit dans un supermarché, ce sont des choses qu’on ne peut plus voir aujourd’hui. »

Pour l’Association de consommateurs, il est plus que probable que les prix continuent à augmenter d’ici la fin de l’année et en 2023. « Le risque que de nouvelles augmentations arrivent est réel. » Test Achats craint même qu’une partie de la population ne puisse tout bonnement plus payer ses factures. « On parlait déjà de précarité énergétique en Belgique avant cette crise. Un ménage sur cinq était déjà dans cette situation, et même un sur quatre à Bruxelles. Depuis, les chiffres montrent que la situation a empiré : les demandes d’aides au CPAS explosent, tout comme les demandes de report de paiement auprès des fournisseurs ou les demandes auprès des banques alimentaires explosent. La situation est donc très préoccupante », conclut Julie Frère.

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