Faut-il craquer pour le nouveau bon d’Etat? «Le timing est très troublant»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Un nouveau bon d’Etat, le dernier de l’ère Vivaldi, sera émis le 4 juin. Mais entre timing «troublant», maturité aux antipodes et taux a priori sans surprise, la fournée estivale ne devrait pas déchaîner les foules. Pire, elle pourrait simplement servir l’Etat à se protéger en cas de blocage post-électroral.

Alors qu’elle se prépare à ranger ses instruments, la Vivaldi jouera un dernier bon d’Etat, in extremis, le 4 juin prochain. D’abord un hit-parade, le placement sonne désormais comme un refrain creux, devant un public blasé par la répétition des basses. Si les taux d’intérêt seront connus dans quelques jours (le 22 mai), deux éléments sont déjà acquis: les maturités font le grand écart (1 ou 8 ans) et le précompte (30%) reste sur ses bases.

Peu de surprises, donc, pour une dernière partition qui devrait connaître un succès modéré. Très éloigné de la haute fréquence historique (21 milliards d’euros) atteinte lors de la première émission, ce bon d’Etat rapportera «entre 500 millions et un milliard maximum», estime l’économiste Bruno Colmant (ULB et Académie Royale de Belgique).

Bon d’Etat: un timing troublant

En marge de ce contenu quelque peu flétri, le timing de ce dernier lancement, lui, interpelle. «Il aurait été plus opportun de proposer un nouveau bon d’Etat au mois de septembre. De cette manière, les épargnants qui récupèrent leur produit de l’année passée auraient pu le réinvestir. Choisir le mois de juin est donc décalé dans le temps», critique Bruno Colmant.

Outre cet aspect peu pratique, l’économiste voit aussi dans ce choix de calendrier -quelques jours à peine avant les élections- une décision plutôt étrange. «Lancer ce bon d’Etat au moment des élections, moment de grand questionnement institutionnel, c’est troublant. Soit il s’agit d’une erreur de timing, soit l’Etat se protège contre lui-même en prévision d’un long blocage post-électoral. Ce qui relèverait d’un cynisme absolu.» Et de se rappeler un exemple pas si lointain: «En 2011, quand Elio Di Rupo est devenu premier ministre après un blocage de 541 jours, il a fallu lancer le bon Leterme. L’Etat avait alors besoin d’argent: en raison de l’incertitude sur le futur du pays, les taux d’intérêt avaient grimpé.»

Bon d’Etat à 8 ans: nouveau flop en vue?

Aujourd’hui, ces mêmes incertitudes semblent ressurgir. Elles sont aggravées par une instabilité géopolitique générale. Ainsi, «devoir choisir entre 1 ou 8 ans est une décision très étrange, juge Bruno Colmant. Les incertitudes géopolitiques et institutionnelles ne jouent pas en faveur de la maturité à 8 ans, qui est une proposition beaucoup trop longue. Si le taux d’intérêt est acceptable, le bon d’Etat à un an devrait recueillir la majorité des souscriptions.»

La Belgique n’est pas le seul pays à relancer le bon d’Etat actuellement. L’Italie le fait avec beaucoup de succès. Mais le dicton boursier timing is everything prend tout son sens. «Un bon d’Etat est pertinent si et seulement s’il est émis au bon moment, avec les bonnes maturités. Conditions qui ne sont pas réunies pour l’émission du 4 juin.»

La maturité à huit ans présente-t-elle toutefois des timides avantages? Dans l’optique où les taux d’intérêt baissent à l’avenir (la BCE diminuera ses taux en juin), il serait tentant de le penser. Mais cette vision demeure très court-termiste. Et il est impossible de prédire l’évolution sur le long terme. «Il suffit d’une vague inflationniste, avec une changement de politique monétaire aux Etats-Unis, pour ‘manger’ le taux d’intérêt bloqué sur les huit années. Cette longue maturité pourrait à nouveau être un flop, tout comme le précédent bon d’Etat, tranche le professeur de l’ULB. D’autant plus que la BCE devrait baisser ses taux de façon très légère. Ce ne sont pas 25 points de base qui marqueront une nette différence.»

La réaction des banques attendue

Concernant les taux, qui seront annoncés le 22 mai, l’épargnant ne doit pas s’attendre à de véritables surprises. «On se situera probablement aux alentours des 2% net, voire un peu moins». La réaction des banques, elle, sera par contre très scrutée. «Elles ne seront peut-être pas très sportives face à ce bon d’Etat, en proposant, par exemple, des dépôts à terme d’un an pour contrer l’offre gouvernementale.»

A l’inverse du premier bon d’Etat, dont le succès avait été soutenu par un précompte réduit à 15%, le produit du 4 juin gardera donc un prélèvement classique de 30%. «Le taux était très élevé. On avait alors assisté à un effet d’aubaine. Cette fois-ci, tout semble beaucoup plus hasardeux», juge Bruno Colmant.

Le passé récent montre que sans un avantage fiscal, ni un taux anormalement élevé, l’épargnant réalise alors un arbitrage entre le placement bancaire et le bon d’Etat.

Bruno Colmant

Economiste

Dans sa fin de législature, la Vivladi aura en tout cas multiplié le recours au bon d’Etat, sous l’impulsion du ministre des Finances Vincent Van Peteghem. «L’Etat veut reprendre une place dans le circuit de l’épargne des Belges. Cette volonté n’est pas illégitime en soi. Auparavant, on pouvait souscrire des obligations d’Etat, qui rencontraient un certain succès. On peut donc comprendre que l’Etat veuille rejouer ce rôle et s’assurer une base captive d’épargne, au vu de la dette publique très importante. Mais le passé récent démontre que sans un avantage fiscal, ni un taux anormalement élevé, l’épargnant réalise alors un arbitrage entre le placement bancaire et le bon d’Etat.»

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