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Epargne: l’Arizona ignore une mesure essentielle pour votre portefeuille et sort un non-sens absolu

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’Arizona veut s’attaquer à l’harmonisation de l’épargne avec les autres produits financiers. Sans le dire, elle pourrait davantage la taxer pour répondre à la pression européenne. Une mesure essentielle espérée pour le consommateur ne figure cependant pas dans l’accord de gouvernement. Une autre, encore, n’a que peu de sens. Mais tout n’est pas négatif…

Que prévoit l’Arizona pour votre épargne? La question est vague, tout autant que certaines réponses apportées par l’accord de gouvernement. L’épluchage des chapitres «pouvoir d’achat» et «fiscalité» du document ne donne que peu de perspectives concrètes aux épargnants. Mais il permet de cerner certaines directions.

Globalement, d’abord, l’Arizona s’engage «à prendre des mesures pour renforcer le pouvoir d’achat», en rétablissant «la compétitivité de la Belgique, (…) l’un des plus grands défis résidant dans les coûts salariaux trop élevés.» Un objectif somme toute vague. Il sera agrémenté d’une «fiscalité boursière attractive, une réduction des charges cachées lors de diverses démarches obligatoires, d’un soutien aux entreprises qui débutent, ou encore d’un maintien de nos régimes fiscalement avantageux, reconnus internationalement (NDLR: cette dernière phrase est contradictoire à plus d’un titre, voir plus bas).»

Pour l’épargnant, le gouvernement assure aussi vouloir mettre à disposition de meilleurs outils de comparaison pour les consommateurs, notamment en renforçant «l’Autorité belge de la concurrence.» Aussi, l’inspection économique aura la possibilité de prononcer des avertissements lorsque des pratiques déloyales ou trompeuses à grande échelle sont identifiées, et la politique en vigueur «visera à prévenir les défaillances du marché, à lutter contre les abus de position dominante ou encore à garantir des conditions de concurrence équitables.»

Epargne: une fausse bonne idée

Parmi les nouvelles idées qui concernent directement l’épargnant, on peut noter «qu’en cas d’écart déraisonnablement important entre les taux d’intérêt sur les comptes d’épargne, le gouvernement examinera à court terme des mesures permettant de réduire cet écart (…) suite à la procédure en cours devant la Cour de Justice de l’Union européenne contre l’Etat belge concernant les dépôts d’épargne réglementés, le gouvernement mettra en œuvre une réforme respectant le principe européen de libre circulation des services.»

«Quelle est la définition d’un écart déraisonnablement important?, se questionne Nicolas Claeys, expert financier chez Testachats. On parle ici de taxes réglementaires… le gouvernement ne peut pas s’appuyer sur de l’à-peu-près. De plus, parler d’un écart entre les comptes d’épargne n’a pas sens. Il serait plus judicieux de parler d’un écart avec les taux directeurs des banques centrales», souligne-t-il. De fait, si tous les taux des banques sont bas par manque de concurrence, prouver un écart déraisonnable entre les comptes relève d’un non-sens absolu. «Ceci ressemble donc à une fausse mesure pour booster la concurrence entre les institutions bancaires.»

Epargne: une décision de justice pourrait tout changer

Le destin de l’épargne belge sera aussi et surtout dicté par une décision de justice européenne. La Belgique a en effet été plusieurs fois épinglée par l’Europe pour son exonération fiscale sur l’épargne. «Le ministre des Finances fera, en cas de condamnation par la Cour de Justice de l’UE, dans un délai de trois mois, une proposition au gouvernement pour une solution budgétairement neutre concernant le régime d’exonération des revenus provenant des dépôts d’épargne, dans laquelle les réductions et exonérations fiscales en vigueur seront harmonisées, offrant ainsi plus de liberté au contribuable», peut-on lire dans l’accord. En d’autres termes, le gouvernement pourrait (sans le dire explicitement) taxer l’épargne pour la placer au même niveau de taxation que les autres produits financiers.

Le gouvernement semble toutefois prendre en compte le fait que les placements sont soumis à des régimes fiscaux différents. «A cet égard, l’idée de mettre en place un cadre fiscal harmonisé et transparent est bonne», salue Nicolas Claeys.

L’exonération fiscale aimante les choix… parfois à tort

Selon le spécialiste, la variation de la fiscalité entre les produits oriente encore trop le choix des gens, qui n’optent pas toujours pour la meilleure option. «Une optimisation fiscale sur un produit ne signifie pas nécessairement qu’il est le plus intéressant. La fiscalité favorable agit comme un aimant pour les épargnants, ce qui explique pourquoi il reste tant d’argent sur les comptes d’épargne, insuffisamment investi ailleurs.»

Une optimisation fiscale sur un produit ne signifie pas nécessairement qu’il est le plus intéressant.

Nicolas Claeys

Testachats

Concrètement, une harmonisation fiscale entre l’épargne et les autres produits financiers reviendrait à taxer tous les revenus mobiliersintérêts et dividendes    à 30%, avec une exonération ne pouvant pas dépasser un certain plafond (on parle d’une fourchette entre 18.000 ou 20.000 euros).

La portabilité du numéro de compte: une possibilité «examinée»

D’autres mesures sont encore annoncées, surtout en lien avec le manque de concurrence bancaire. Par exemple, pour renforcer la transparence à l’égard des clients ainsi que leur mobilité dans le secteur bancaire, le gouvernement «examine la faisabilité de la portabilité des numéros de compte», c’est-à-dire la possibilité de changer de banque tout en gardant le même numéro de compte.

«La portabilité des comptes en banque serait une mesure très favorable pour la mobilité de l’épargne. Le nombre de Belges qui changent de compte en banque reste très faible», commente le responsable de Testachats Invest.

Epargne: investissements et épargne-pension

Le gouvernement compte réduire les obstacles fiscaux qui favorisent ou désavantagent inutilement certains investissements. Il s’efforcera, dit-il, de mettre en place un cadre fiscal transparent «qui traite tous les types d’investissements de la même manière et qui part du principe de la neutralité fiscale afin que les investisseurs puissent opérer en toute confiance et clarté.»

Ainsi, les problèmes liés aux investissements en actions pour certains types d’investisseurs (fonds de pension, assureurs, etc.) seront réduits pour permettre d’investir davantage dans l’économie réelle. «Nous prenons des mesures pour augmenter le rendement net pour les épargnants (pour la pension) en limitant à la fois les coûts d’entrée et de gestion de l’épargne (pension).» (NDLR: ici, les parenthèses ont toute leur importance…).

Beaucoup de placements sont honteusement chers en termes de frais de gestion et peuvent peser lourd sur le rendement à long terme.

Nicolas Claeys

Testachats

Les frais sur les fonds de placement et les produits d’assurance devraient aussi faire l’objet d’une analyse plus approfondie, afin de déterminer s’ils sont justifiés. «Beaucoup de placements sont honteusement chers en termes de frais de gestion et peuvent peser lourd sur le rendement à long terme», remarque Nicolas Claeys. 

Le gouvernement souhaite aussi que l’épargne des citoyens soit mobilisée et à nouveau investie dans l’économie. «L’inflation est aujourd’hui supérieure aux taux de l’épargne. Pour le bien de son propre patrimoine, à long terme, il est préférable d’aller vers des placements boursiers diversifiés, juge l’expert. Des règles fiscales communes faciliteraient cette transition.»

Suppression de la prime de fidélité pour l’épargne: la grande absente 

Fusionner le taux de base et la prime de fidélité en un seul taux, le taux vérité, aurait dû être une mesure phare pour l’épargnant, estime Nicolas Claeys. La mesure a été maintes fois demandée par l’organisation de défense des consommateurs. «Or, elle ne figure pas dans l’accord de gouvernement. Aujourd’hui, l’addition des deux taux ne débouche en réalité pas sur le taux total réel, puisque la prime de fidélité s’applique uniquement sur les montants restés au minium un an sur le compte.» Cette impression trompeuse quant au rendement réel a été démontrée ici.

Les banques abusent de cette prime de fidélité, elles en font un élément essentiel de la rémunération, alors qu’elle devrait être l’élément accessoire.

Nicolas Claeys

Testachats

«Si on lit entre les lignes de l’accord, on comprend que le gouvernement ne réalisera peut-être pas cette fusion, regrette Nicolas Claeys. Les banques abusent de cette prime de fidélité, elles en font un élément essentiel de la rémunération, alors qu’elle devrait être l’élément accessoire. Ce système met en avant un taux élevé alors que le taux réellement consenti aux épargnants est plus faible. Si on maintient ce système, il faudrait alors obliger les banques à déclarer le rendement moyen réel qu’elles offrent sur le compte d’épargne.»

Sans fusion, la Belgique resterait alors une exception en la matière, puisque dans la plupart des pays européens, le compte d’épargne ne prend en compte qu’un seul taux. «L’offre y est plus transparente.» En matière d’épargne, les intentions de l’Arizona restent donc vagues, déplore Nicolas Claeys. «Aucun élément ne pousse réellement les banques à relever leurs taux.»

Plus-values: une couche de plus sur la lasagne

L’exonération jusqu’à 10.000 euros sur les plus-values est une bonne nouvelle pour les petits investisseurs. Mais on «rajoute tout de même une couche de taxation.»

Ces dernières années ont vu s’amonceler plusieurs taxes sur l’investissement: la taxe sur les opérations de bourse (TOB), le précompte mobilier (de 15 à 30%), la taxe sur les comptes-titres, la taxe sur les produits d’assurance, la taxe Reynders, et désormais la taxe sur les plus-values. «Tout ceci crée une lasagne épaisse de taxation. Pour l’investisseur, il devient très compliqué de s’y retrouver. Il manque clairement une simplification des règles fiscales», insiste Nicolas Claeys.

La taxe sur les plus-values ajoute une couche à une lasagne de taxation déjà complexe pour l’investisseur.

Nicolas Claeys

Testachats

Cette taxe sur les plus-values amène par ailleurs beaucoup de questions techniques: quand entrera-t-elle exactement en vigueur, quels seront les produits concernés (les assurances-vie également?), la taxe Reynders est-elle ou non maintenue? «La taxe sur les plus-values ne doit pas non plus devenir la nouvelle variable d’ajustement. Lorsqu’on investit, on le fait sur le long terme. Il est nécessaire d’avoir une certaine visibilité.»

D’autant plus qu’avec l’ajout de cette nouvelle taxe, le gouvernement risque de compromettre ses objectifs de compétitivité. Il ne favorise en effet pas son attractivité envers les entreprises étrangères, qui, lorsqu’elles investissent dans un pays, ont besoin d’un cadre fiscal clair et stable dans le temps. «Or, en Belgique, les règles du jeu changent tous les cinq ans.»

Education financière et épargne pour le financement durable

Le gouvernement soutiendra les initiatives de la FSMA en matière d’éducation financière des citoyens, en leur permettant de vérifier facilement les avantages et les inconvénients de différents instruments. «Trop de citoyens se réfugient dans des produits d’épargne ou des produits sans risque qui donnent des rendements fixes à long terme alors qu’une bonne diversification des produits d’investissement permet d’obtenir des rendements plus élevés avec un risque relativement plus faible», incite l’accord de l’Arizona.

Le gouvernement fédéral mettra en place des mesures visant à mobiliser l’épargne pour financer des projets dans la transition durable. «Nous déployons également une stratégie de « Sustainable finance » afin de soutenir nos entreprises et PME dans leur transition durable.»

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