
Déshériter un enfant, c’est (presque) possible: voici comment
En Belgique, déshériter un de ses enfants est interdit. Mais certaines techniques permettent de favoriser l’un au détriment des autres. A utiliser, en s’entourant bien.
Non, ce n’est pas seulement destiné au chouchou. Cet enfant-là n’a peut-être pas trouvé sa voie, ou vient de divorcer, ou est handicapé, ou s’occupe beaucoup de sa mère malade. Pour l’une ou l’autre de ces raisons, ses parents veulent l’avantager. Comment faire?
Aujourd’hui, le code civil belge interdit de déshériter un enfant. Une part des biens –la «réserve héréditaire»– lui est toujours due. Cette réserve correspond toujours à la moitié du patrimoine à se partager équitablement et varie donc selon la taille de la fratrie (1). S’ils sont deux, les enfants recevront chacun au moins un quart de l’héritage, s’ils sont trois, au moins un sixième. «La réserve conserve son sens, soutient Renaud Grégoire, notaire et porte-parole de la Fédération du notariat (Fednot). Elle garantit un certain ordre, elle interdit de donner tout à l’aîné, au garçon ou à l’enfant de la dernière union. En cela, elle a une vertu pacificatrice.»
En résumé, la réserve demeure intouchable, sauf si elle est dilapidée de telle sorte que l’héritage soit réduit à néant. Cependant, rogner la part de certains descendants est possible. Des dispositifs permettent en effet de favoriser un enfant, au détriment des autres. Car l’autre moitié du patrimoine, appelée «quotité disponible», peut être attribuée librement pour avantager un enfant, mais aussi un conjoint, un petit-enfant, un ami, une association…
Le testament, la formule la plus simple pour déshériter un enfant
«Un parent veuf ou divorcé peut désigner par testament l’un de ses enfants légataire universel. Cette personne hérite de tout. Elle a la haute main: c’est elle qui détient les cordons de la bourse et le pouvoir de décision», stipule Renaud Grégoire. Ainsi, un père peut léguer son patrimoine à sa fille –un appartement d’une valeur de 400.000 euros, par exemple– et rien à son fils. Au décès, ce dernier, privé de sa part minimale d’héritage, peut la réclamer en justice par le mécanisme de la «réduction». Ce legs universel, portant sur 400.000 euros, sera réduit d’un quart pour que le fils récupère sa partie, en l’occurrence 100.000 euros. «La fille, qui est légataire universelle et pleine et unique propriétaire, peut vendre le bien, détaille le notaire. Elle devra délivrer les droits réservataires à son frère en valeur (en argent), et plus « en nature ». Les deux enfants n’entrent donc pas en indivision dans l’appartement.»
Privilégier un enfant peut également se faire en lui léguant par testament l’intégralité de la quotité disponible, c’est-à-dire la moitié du patrimoine. S’il y a deux enfants, chacun reçoit le jour de la succession un quart de l’héritage. Mais, grâce au testament, celui qui sera avantagé bénéficiera de la deuxième moitié, soit jusqu’à 75% de l’héritage, sans que l’autre enfant ne puisse y trouver à redire. Impossible d’aller au-delà. «Attention dans ce cas, la personne qui rédige le testament ne pourra pas donner plus à son conjoint ou cohabitant légal survivant, puisque c’est l’enfant préféré, en quelque sorte, qui recueillera la part supplémentaire», précise Renaud Grégoire.
Le testament est l’outil le plus courant, le plus efficace et le moins coûteux. Par ailleurs, il présente l’avantage d’être souple, puisqu’il est modifiable à tout moment. Selon Renaud Grégoire, le testament authentique établi par un notaire «offre une garantie supplémentaire de validité et évite les contestations (d’écriture, de signature, de capacité…), en assurant qu’aucune ambiguïté ne subsiste». Il est en outre conservé par le notaire, «ce qui empêche toute perte ou destruction volontaire». Son rôle est aussi tout simplement de conseiller. «Avec lui, on est sûr d’atteindre le résultat souhaité.»
L’argent accordé pour un anniversaire, des étrennes ou un mariage n’est pas considéré comme une donation.
La donation, la plus intéressante fiscalement
Généralement, une donation est considérée comme une «avance sur l’héritage», appelée dans le jargon «donation en avancement d’hoirie». Elle doit alors être ajoutée («rapportée») ensuite à la succession. En revanche, si le but est de clairement avantager un enfant, il existe la donation «hors part successorale» («donation hors préciput et hors part»). Elle sera alors décomptée de l’héritage mais le donateur doit préciser par acte notarié que le cadeau est «préciputaire». Dans ce cas, les notaires se bornent à vérifier que la part réservataire à laquelle d’autres enfants ont droit n’a pas été affectée.
La donation est évidemment la plus intéressante fiscalement pour celui ou celle qui veut déshériter un enfant, puisque les taux des droits de donation demeurent moins élevés que ceux de succession: jusqu’à 3,3% pour les biens meubles (avoirs bancaires, bijoux, œuvres…) et jusqu’à 27% pour les biens immobiliers au-delà de 450.000 euros.
Seul hic: elle est définitive. En effet, hors donations entre époux et hors cas d’une éventuelle clause de «retour conventionnel» prévoyant que si le donataire décède avant le donateur, le bien donné revient de manière conventionnelle à ce dernier, le dispositif est irrévocable. Donner, c’est donner. Dès lors, «la seule possibilité de corriger le tir ultérieurement, si les relations avec le moins loti venaient à s’améliorer par exemple, serait de conclure un pacte successoral (NDLR: lire par ailleurs) pour signifier que la donation faite au préféré n’est pas hors part mais en avancement d’hoirie et qu’il s’agit donc d’une avance sur héritage. Cela nécessitera évidemment l’accord du donataire, ce qui n’est pas forcément gagné…», souligne Renaud Grégoire.
Il est évidemment possible de tenter une stratégie moins fair-play, en faisant des donations d’argent dont le bénéficiaire omettra de signaler l’existence lors de la succession. Il sera sans doute difficile de retrouver la trace de dons faits des années avant le décès à un enfant sans que l’autre n’en sache rien. Car encore faut-il qu’il soit au courant que les donations ont été faites… «Or, la charge de la preuve incombe à l’héritier réservataire lésé, rappelle le porte-parole. Et si une requête de réduction peut être introduite jusqu’à 30 ans après le décès, les banques, elles, ne conservent les extraits de compte que pendant dix ans, voire cinq.»
Autre piste: les cadeaux d’usage, c’est-à-dire des présents ou des sommes d’argent accordés à des occasions comme les anniversaires, les étrennes, un mariage, etc. Ils ne sont pas considérés comme des donations. Ils ne sont donc pas «rapportables» à la succession, à condition de rester raisonnables. «Il peut s’agir d’un don de 500 euros mensuels ou encore d’un cadeau de 2.000 euros à Noël, précise le notaire. Mais ce dispositif ne doit pas se faire n’importe comment: le présent d’usage doit être proportionné aux revenus, au niveau de vie, au patrimoine.» Sur ce point, il n’existe aucune jurisprudence renseignant un montant ou une proportion irréprochable. Mais pas question de faire un virement de 20.000 euros si les revenus ou la pension n’excèdent pas 2.500 euros, car le geste risque d’être requalifié en donation. Ainsi, la trop grande générosité d’un grand-père à l’égard de sa petite-fille a été retoquée et a été considérée comme une donation déguisée. Le papy, qui vivait alors très chichement, l’a gratifiée de trois virements d’une valeur totale de plus de 15.000 euros. Ce cadeau a été jugé trop gros comparé à son mode de vie et le montant est entré dans le calcul de la succession.
Les Belges expatriés au Royaume-Uni, à Dubaï ou en Israël pourront déshériter un enfant en toute légalité.
S’expatrier, vraiment et loin
Une autre méthode est l’expatriation dans un pays qui ne connaît pas la réserve héréditaire, à l’instar du Royaume-Uni, de Dubaï ou encore d’Israël. Les expatriés fâchés avec l’un de leurs enfants pourront les déshériter, en toute légalité. La Belgique a ratifié un règlement européen sur les successions, entré en application en 2015. Le texte va bien au-delà des successions européennes ou intra-européennes, puisqu’il s’applique à toutes les successions internationales. L’un de ses articles précise que «sauf indications contraires, la loi applicable à l’ensemble de la succession est celle de l’Etat dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès»: la durée et la régularité du séjour du défunt, le pays dans lequel il avait la plupart de son patrimoine, celui dans lequel se trouvait sa vie familiale et sociale…
Vendre un bien immobilier en viager: une solution pour déshériter un enfant
Vendre son habitation en rente viagère, qui, dans la plupart des familles, représente souvent la majeure partie du patrimoine, peut être une solution. Dans ce cas, le bien disparaît définitivement du patrimoine, l’argent dépensé n’est plus récupérable par les héritiers et la réserve s’applique sur la masse restante au moment du décès.
En présence d’un seul enfant, le procédé sera efficace pour le déshériter. Si vous en avez plusieurs et que vous ne souhaitez qu’en désavantager un, il sera sans effet.
De même, vendre en viager à un enfant, au détriment des autres, est trop risqué. L’opération n’est pas interdite par la loi mais le fisc soupçonnera toujours une donation déguisée. Le jour du décès, il y aura donc d’office une présomption de fraude aux droits de donation. Vendre en dessous de la valeur réelle du marché ou de l’espérance de vie, baisser le montant et/ou la durée de la rente, la tentation est grande en effet de vouloir faire une fleur à son petit préféré. Rien ne prouve, d’ailleurs, que les rentes n’aient pas été rétrocédées secrètement en cash. Bref, au moment de la succession, il sera difficile de prouver sa bonne foi. L’héritier devra alors payer des droits de succession et une amende pour fraude. Sans oublier, évidemment, le risque que le bien soit rapporté à la succession.
Une option plus avantageuse peut être de vendre son bien immobilier à son chouchou, puis l’occuper en tant que locataire, bail dûment signé à l’appui. Une telle opération nécessite de fixer un prix de vente et un loyer en phase avec les prix du marché, même s’ils ne correspondent pas au haut de la fourchette. Pour l’acheteur, les loyers sont payés par ses parents et lui permettent d’obtenir un crédit plus facilement. Pour les vendeurs, le montant de la vente leur permet de dépenser, d’investir, de faire des donations.
Le pacte global successoral, le plus commode
Reste l’ultime voie, celle du dialogue, pour éviter au mieux doté d’avoir à se justifier seul, lors de la succession, face à ses frères et sœurs blessés. Certains optent alors pour le pacte global successoral, scellé devant notaire, qui reprend l’attribution et le partage de la succession future. Il peut ainsi favoriser une sœur souffrant d’un handicap l’empêchant de subvenir à ses besoins ou de déshériter complètement un frère parce qu’il est déjà très à l’aise financièrement. Un tel pacte implique tous les enfants et tous doivent être d’accord.
Si tout le monde s’entend, le pacte est signé. Le moins favorisé dans l’héritage peut ainsi accepter que les donations précédentes n’entrent plus dans la succession et renoncer anticipativement à une réduction à la succession. Autre exemple: au sein d’une famille recomposée, des enfants pourraient admettre à l’avance que leur parent accorde, via une donation, une part à son beau-fils ou sa belle-fille même si cela affecte leur part réservataire lors du décès.
Le pacte global est lui aussi irrévocable, à moins de réunir à nouveau toute la famille chez le notaire…
(1) En principe, le conjoint hérite de l’usufruit sur l’ensemble de la succession, les enfants héritent de la nue-propriété. Ces derniers auront la pleine propriété au décès du conjoint survivant.Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici