Des accords secrets entre les banques belges au détriment du client? « C’est parfois très subtil »
Le succès retentissant du bon d’Etat n’a pas suffi à provoquer le sursaut espéré des banques. Les taux d’intérêt sur l’épargne restent modérés. Le législatif s’active : au parlement fédéral, diverses propositions de loi sont débattues dans l’optique de mieux rémunérer l’épargnant. Avec une question centrale : le marché bancaire belge est-il en carence de concurrence ? Si plusieurs éléments tendent à le confirmer, les preuves matérielles font défaut. Mais une large enquête est en cours…
Les banques belges ont-elles conclu une entente informelle pour ne pas augmenter leurs taux d’intérêt sur l’épargne lors de l’émission du dernier bon d’Etat ? L’Autorité belge de la concurrence s’est penchée sur la question. A l’occasion d’une pré-enquête, elle n’est pas parvenue à trouver «d’éléments préoccupants quant à un possible accord entre entreprises », rapporte l’ABC au Soir. « Mais il y a des incohérences majeures dans ce dossier que nous ne pouvons pas éluder », ajoute-t-elle.
On parle notamment ici de l’utilisation d’un « gentlemen’s agreement » entre BNP Paribas Fortis et Belfius, qui stipulerait une pause de la concurrence sur les produits d’épargne. Les deux banques démentent auprès du quotidien. Belfius évoque « une erreur de communication, un malentendu ».
« Généralement, lors d’une campagne de bon d’Etat, les banques s’engageaient à ne pas proposer des bons de caisse concurrentiels, à des taux plus élevés », rappelle Nicolas Claeys, expert financier chez Test-Achats. Des interprétations élargies de cette pratique ont été évoquées, comme l’instauration d’un statu quo sur les taux d’intérêt pour l’épargne. Ce sont deux choses différentes. Mais à défaut d’investigation, il demeure compliquer de prouver ce qu’il s’est réellement passé. De façon globale, poursuit-il, plusieurs éléments démontrent toutefois que les banques ne sont pas encouragées à se concurrencer entre elles. »
Plusieurs éléments démontrent que les banques ne sont pas encouragées à se concurrencer entre elles.
Nicolas Claeys (Test-Achats)
L’Autorité belge de la concurrence ne se contente pas de cette pré-enquête. D’ici la fin du mois d’octobre, elle rendra un avis plus large, commandé par le fédéral, sur l’état de la concurrence dans le marché bancaire belge. Et ce dernier pourrait donner le ton de la future action politique.
Banques: des arrangements implicites?
Alors, la Belgique fait-elle vraiment face à un problème majeur de concurrence entre banques ? « On ne peut rien prouver, car ce ne sont pas des arrangements explicites », expose l’économiste Paul De Grauwe (London School of Economics). Les banques ne vont pas s’installer dans le lobby d’un hôtel pour en discuter ouvertement. On fait parfois face à des accord implicites, informels et subtils, auxquels on n’est pas invité à participer », illustre-t-il cyniquement, convaincu de l’existence de ces derniers.
Pour l’économiste à la riche carrière (FMI, BCE, Open Vld, professeur universitaire…), il demeure très étonnant qu’au moment où les taux d’intérêt de la BCE augmentent, et ce alors que les banques font des profits records, ces dernières refusent d’augmenter les taux pour les épargnants. « C’est incompréhensible. On peut uniquement l’expliquer par un manque de concurrence manifeste entre les grandes banques belges. »
Pour Paul De Grauwe, ce manque de compétition est accentué par « la concentration élevée de banques belges dans un marché réduit. Cet élément pénalise directement le consommateur-épargnant, puisqu’il devrait avoir droit à un taux d’intérêt sur l’épargne plus élevé, et donc un bien-être plus élevé. »
Il y a un manque de concurrence manifeste entre les grandes banques belges.
Paul De Grauwe (économiste)
Un taux d’intérêt minimum sur l’épargne: l’idée fait son chemin
La solution doit venir du politique, pour l’économiste, « puisque les banques ne veulent pas bouger ». Il évoque plusieurs moyens. « Le bon d’Etat en est un, mais il doit être répété pour avoir une vraie influence ». Le législatif en est un autre. « Des débats ont eu lieu la semaine passée au parlement. Plusieurs propositions de loi visent à instaurer un taux d’intérêt minimum sur l’épargne. Cela existe déjà dans certains pays comme la France, avec le livret A. »
Pour Nicolas Claeys (Test-Achats), « imposer un taux minimum, -non pas sur tous les comptes d’épargne, cela n’aurait pas de sens-, mais sur un montant délimité -10.000 euros par exemple- est une solution intéressante. Cela représenterait un petit risque pour les banques qui supportent beaucoup de prêts hypothécaires, mais pour la grande majorité, leur santé financière ne serait pas mise en danger. Au contraire, elles continueraient à réaliser des profits importants »
Alors pourquoi les banques sont-elles si réticentes à cette idée ? Pour Nicolas Claeys, la raison est toute trouvée. « Elles ne le font pas car elles sont déjà assises sur un matelas de liquidités très important. Si important qu’elles en prêtent même une partie à la BCE à un taux de 4%. Près de 300 milliards sur les comptes d’épargne, c’est beaucoup trop. Cela conduit à une situation malsaine dans laquelle l’épargnant n’est plus rémunéré à une juste valeur. »
Les banques sont assises sur un matelas de liquidités très important. Une situation malsaine dans laquelle l’épargnant n’est plus rémunéré à une juste valeur.
Nicolas Claeys (Test-Achats)
Le pouvoir de fixer les prix: la situation de force des banques
La structure du marché bancaire belge est souvent pointé du doigt. Quatre gros acteurs (BNP, ING, Belfius, KBC) accaparent 80% du marché. « C’est une sorte d’oligopole », commente Nicolas Claeys. Ainsi, selon lui, si le rapport final de l’Autorité belge de la concurrence estime qu’il y a un manque, alors le politique n’aura plus le choix, il devra réagir. « En principe, dans un marché concurrentiel, le pouvoir de fixer les prix est très faible pour les entreprises. En Belgique, trois secteurs ont vu ce pouvoir augmenter: les télécoms, l’énergie, et les banques & assurances. Cela signifie que les banques peuvent imposer à leurs clients des prix plus élevés, des rendements plus faibles, et moins de services, car elles sont dans une situation de force », pointe le spécialiste.
L’impossibilité de garder le même numéro de compte en changeant de banque, par exemple, est également « un frein à la mobilité bancaire, et donc à la concurrence », estime l’expert Test-Achats.
L’organisation de défense des consommateurs plaide par ailleurs pour une fiscalité identique pour toutes les sortes de placements, ce qui n’est pas le cas actuellement. « Cela diminuerait l’attrait du compte d’épargne et relancerait la concurrence », précise enfin Nicolas Claeys.
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