Vols annulés ou retardés: quand les compagnies aériennes s’assoient sur les règles d’indemnisation
Les associations de consommateurs et les autorités de contrôle planchent sur des moyens de faire respecter la loi européenne, non sans difficultés.
«Merci d’avoir contacté le service clientèle de Wizz Air. Nous vous prions de bien vouloir nous excuser pour les désagréments causés par l’interruption de votre vol. […] Etant donné que cet incident ne pouvait pas être prévu par notre compagnie, malgré nos efforts pour l’éviter, le point 14 et l’article 7 du règlement européen 261/2004 exonèrent le transporteur aérien de l’obligation de verser une indemnisation lorsque l’interruption du vol est due à une circonstance exceptionnelle. […] Nous avons donc le regret de vous informer qu’aucune compensation n’est due.»
C’est par ces mots que, le 9 octobre dernier, Paula et Jean(*) ont appris par le service client de la compagnie aérienne hongroise qu’ils ne recevraient aucune indemnisation après l’annulation de leur vol début septembre. Une demi-surprise, eux qui avaient déjà constaté que l’outil dédié aux réclamations sur le site ne fonctionnait pas, et à qui le service client avait indiqué qu’il fallait dès lors s’adresser directement à eux. Malgré leurs efforts et leur connaissance des règles en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol dans l’UE (le fameux règlement 261/2004), ils ne toucheront pas l’indemnisation prévue –400 euros– valable pour tous les vols intracommunautaires de plus de 1.500 kilomètres et pour tous les autres vols de 1.500 à 3.500 kilomètres.
Interprétation unilatérale
Un rapide coup d’œil aux articles du règlement mentionnés par la compagnie laisse planer le doute sur le fondement de ce refus d’indemnisation. En effet, si Wizz Air se retranche derrière «des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises», à aucun moment la compagnie n’en précise la nature exacte. Or, l’article du règlement est justement assez clair sur les «circonstances» pouvant justifier une telle exonération, citant «en particulier», les «cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, les risques liés à la sécurité, les défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol» ou les «grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif»…
«Les informations relatives à l’exploitation et aux inspections de nos avions ou/et les rapports d’aéroport sont considérés comme des secrets commerciaux […] ces documents peuvent contenir des données personnelles concernant notre personnel et ne sont pas, en tant que tels, accessibles au public.»
Wizz Air, justifiant le secret entourant les circonstances exceptionnelles empêchant l’indemnisation.
De toute façon, il ne faut même pas chercher à savoir, poursuit en substance la compagnie, précisant que «les informations relatives à l’exploitation et aux inspections de [ses] avions ou/et les rapports d’aéroport sont considérées comme des secrets commerciaux et que ces documents peuvent contenir des données personnelles concernant [son] personnel et ne sont pas, en tant que tels, accessibles au public». Mais que le couple ne désespère pas pour autant: «En ce qui concerne les raisons du retard/de l’annulation», Wizz Air s’engage «à fournir les documents pertinents sur demande des autorités chargées du contrôle des compagnies aériennes…» Ne reste plus qu’à «déposer une plainte sur la plateforme de règlement des litiges de la Commission européenne», suggère par la suite Wizz Air, sûre de son fait…
Règlement connu, et alors?
Jean et Paula ne sont pas les seuls à citer –sans succès– le règlement en vigueur pour se faire indemniser à la suite d’un retard ou d’un vol annulé. Sur le site de l’association de défense des consommateurs testachats, les plaintes de passagers s’en référant au document européen s’amoncellent, mais se heurtent bien souvent à un mur, quelle que soit la compagnie impliquée. Avec plus d’un demi-million de passagers attendus rien qu’à l’aéroport de Charleroi pour cette première période de congés scolaires, le risque de mauvaise surprise en cas d’annulation ou de retard est démultiplié (NDLR: ce mardi, un mouvement social à l’aéroport entraînait d’ailleurs l’annulation de tous les vols au départ de Charleroi –pour le coup, une circonstance vraiment exceptionnelle pour les compagnies aériennes, qui n’y peuvent rien).
Pour le reste, la galère pour se faire informer et indemniser correctement pourrait être vouée à perdurer. «C’est déjà la croix et la bannière pour trouver l’endroit où vous pouvez introduire votre demande. Et ce qu’on voit de plus en plus, c’est que certaines compagnies décident unilatéralement de considérer que tel vol a été annulé parce que c’est un cas de force majeure, et tel vol pas, abonde Julie Frère, porte-parole de testachats. Donc elles décident toutes seules. Concernant Ryanair, pour ne pas la citer, si vous trouvez le formulaire (NDLR: d’indemnisation), vous verrez que si la compagnie considère que le vol a été annulé pour un cas de force majeure, vous ne trouverez même pas votre vol dans la liste que vous pourriez sélectionner»…
Un cas de figure qui ressemble à la mésaventure rencontrée par Jean et Paula, soit «une interprétation unilatérale qui se résume par: ce vol n’est pas éligible à une compensation, poursuit la porte-parole. Cela nous pose évidemment problème: on essaie d’ailleurs d’interpeller Ryanair et les autres compagnies pour que le système soit automatisé. Ces compagnies ont les datas de leurs clients, ce serait assez facile à mettre en œuvre. Mais on sent qu’il n’y a pas vraiment de répondant à l’échelon européen et les compagnies sont évidemment sur les barricades pour empêcher que cela arrive. On ne risque pas de l’obtenir demain, malheureusement, mais cela aurait du sens.»
Surtout, ne pas informer
«Dans le même ordre d’idée, il y a la problématique des intermédiaires, poursuit Julie Frère. Imaginons qu’un client a réservé sur une autre plateforme que celle de la compagnie, son vol est annulé, il essaie de joindre la compagnie qui le renvoie vers la plateforme, et vice versa: c’est l’enfer. Dans les projets de textes, il y a quelques dispositions allant dans le bon sens par rapport à la clarification des obligations des intermédiaires. C’est pour nous une grande priorité, parce que c’est toujours compliqué.»
«Les compagnies aériennes tentent de ne pas informer pour que vous ne sachiez pas ce à quoi vous avez droit, pour que vous ne le réclamiez pas.»
Julie Frère, porte-parole de testachats.
Plus généralement, le nœud du problème se situe en matière d’information délivrée aux passagers, souvent peu au fait de leurs droits élémentaires. «Les compagnies aériennes, qui ont un devoir d’information, sont censées les informer correctement de leurs droits en cas de retard ou d’annulation, ce qu’elles ne font pas, regrette Julie Frère. Elles tentent de ne pas communiquer pour qu’ils ne sachent pas ce à quoi ils ont droit et ne le réclament pas. Ça, c’est la première stratégie: ne pas informer correctement, alors qu’il y a une obligation prévue dans le règlement. Ce qui est selon nous insuffisamment contrôlé par nos autorités.»
Il est vrai que cela fait des années que les associations de consommateurs européennes, regroupées sous la coupole du BEUC (Bureau européen des unions de consommateurs), veulent améliorer le système de demandes de remboursement et d’indemnisation, notamment «en obligeant les transporteurs à fournir le formulaire aux consommateurs en cas de perturbation du voyage, et en mettant toujours à la disposition des passagers une adresse électronique valide et fonctionnelle, même si d’autres moyens de communication électronique permettant d’accéder à l’information sont utilisés», fait valoir le BEUC. Qui a également constaté que «les passagers ne sont souvent pas informés des raisons exactes de l’interruption de leur voyage, même si ces informations sont cruciales pour qu’ils puissent évaluer quels droits des passagers aériens s’appliquent dans leur cas précis. De plus, les demandes d’indemnisation des passagers sont parfois rejetées sur la base de l’exception pour circonstances extraordinaires (notamment dans le domaine aérien), sans que l’opérateur précise la raison exacte de l’annulation ou du retard de son voyage…»
Consensus généralisé
«Il existe une sorte de consensus généralisé aussi bien du côté des organisations de consommateurs que des autorités de contrôle sur le fait qu’il y a beaucoup de violations de la réglementation, du devoir d’information, y compris sur la question de la définition du cas de force majeure. Ce sont des questions qui se posent dans tous les pays de l’UE», ajoute Julie Frère, alors même qu’une réunion vient de se tenir sur le sujet entre testachats et l’inspection économique belge, l’autorité de contrôle.
Mais alors, est-il possible de faire respecter, pour soi-même, le fameux règlement européen? D’une certaine façon, oui. Première étape: la connaissance du règlement européen et ce qu’il recouvre en matière de droits. Le règlement est évidemment consultable sur le site de l’Union européenne, mais il est aussi synthétisé précisément par le service public fédéral Mobilité et Transports, ainsi que par testachats, qui liste les différents cas de figure auxquels les passagers peuvent être exposés en cas de retard ou d’annulation.
Ensuite –outre le dernier recours qu’est la voie judiciaire– il reste… la pugnacité, ainsi que la patience. Des armes plus redoutables qu’on le croit. «Moi, je conseille toujours, et ça fonctionne, de rappeler ou renvoyer un e-mail toutes les deux ou trois semaines. En général, quand la compagnie comprend qu’elle a affaire à quelqu’un qui connaît ses droits et ne va rien lâcher, cela donne des résultats», conclut malicieusement Julie Frère.
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