« Victime de sa propre stratégie »: pourquoi Colruyt est contraint de limiter certains achats
Colruyt a décidé de limiter l’achat de certains produits de base (sucre, farine) à dix pièces par client, « pour une durée indéterminée ». La cause, selon le groupe : les revendeurs qui, profitant des prix bas, achètent par gros volumes. L’enseigne est-elle victime de sa propre stratégie ? Pour Gino Van Ossel (Vlerick Business School), sépcialiste en retail, la réponse est oui. Quelles conséquences pour le consommateur?
La peur du rayon vide. Pour anticiper un début de rupture de stock, les supermarchés Colruyt ont décidé de limiter l’achat de produits de base à 10 pièces maximum par client. « Pour certains produits, les prix sont actuellement très bas sur le marché. Les revendeurs, qui achètent de gros volumes, s’en rendent compte et, par conséquent, les rayons peuvent être temporairement vides », explique Eva Biltereyst, porte-parole de Colruyt.
« Leur explication me semble assez logique. Les prix sont en baisse pour certains produits de base. Et beaucoup de commerces gérés par des indépendants, –des supérettes ou des nighshops-, utilisent Colruyt comme grossiste », avance Gino Van Ossel (Vlerick Business School), spécialiste en commerce de détail. Lorsqu’une baisse des prix survient, ces commerçants indépendants créent leur stock rapidement, ce qui peut mener à une pénurie dans les supermarchés. Colruyt veut éviter ce phénomène. Etant donné que la limitation est fixée à 10 produits, cela prouve que l’action ne vise pas vraiment les consommateurs normaux, mais plutôt professionnels », déduit-il.
Colruyt: « Aucun problème pour la grande majorité des clients »
« Nous voulons servir le plus grand nombre de clients possible et c’est pourquoi nous limitons le nombre de pièces par client. Par exemple: maximum 10 paquets de sucre Everyday d’un kilo. Cela ne posera aucun problème à la grande majorité de nos clients, car nous ne visons que ceux qui achètent de très gros volumes », veut rassurer Eva Biltereyst. La plupart des personnes qui font leurs courses hebdomadaires chez Colruyt n’achètent pas de telles quantités. Ils n’ont donc pas à s’inquiéter : il y en aura toujours assez pour tout le monde. »
« Il s’agit d’une mesure temporaire. Pour l’instant nous ne pouvons pas donner d’indication quant à la durée de cette décision », indique encore la porte-parole. « Cet incident intervient dans une période exceptionnelle mais limitée dans le temps. Je suis convaincu que ça ne va pas durer », abonde Gino Van Ossel.
Ils ne vont jamais l’avouer, mais en réalité, les magasins essayent que le consommateur n’achète pas trop les marques premiers prix. C’est pour cela qu’on les retrouve au sol, peu visibles pour l’œil du client.
Gino Van Ossel (Vlerick Business School)
Seule le marque Everyday est concernée par cette nouvelle mesure, contrairement à la marque Boni. « Ce sont des produits ultrabasiques. Avec une marque comme Everyday, le coût du marketing est très faible. Mais les marges brutes sont également beaucoup moins élevées que pour une marque de type Boni. C’est donc surtout la marque premier prix qui est concernée par cette limitation, davantage que les produits de base en général », distingue le professeur de la Vlerick Business School. Pour les supermarchés, ce sont des produits pour lesquels la rentabilité n’est pas très élevée. Ils ne vont jamais l’avouer, mais en réalité, les magasins essayent que le consommateur n’en achète pas trop. C’est pour cela qu’on retrouve les produits premiers prix au sol, peu visibles pour l’œil du client. »
Si la décision prise par Colruyt semble logique, le groupe n’est-il pas quelque peu victime de sa propre stratégie ? « De façon générale, oui, mais pas uniquement à cause de ce qu’il se passe en ce moment. Avec sa stratégie, Colruyt n’a pas de contrôle sur ses propres prix », déclare Gino Van Ossel, qui donne un exemple. « Si Carrefour décide de ne pas suivre l’inflation pour les confitures, et Delhaize pour les céréales, Colruyt est obligé de s’adapter aux prix des deux autres enseignes. Et ne peut pas compenser ces prix bas sur une autre catégorie. Ils sont victimes de façon structurelle. »
Avec sa stratégie, Colruyt n’a pas de contrôle sur ses propres prix.
Gino Van Ossel (Vlerick Business School)
L’incident actuel est donc la conséquence d’une stratégie suivie depuis toujours : Colruyt essaie de vendre en grands volumes. « Avec des caddies d’une plus grande dimension que dans les autres supermarchés, pas de caisses express et un magasin avec de larges rayons pour se déplacer ». Mais, pour Gino Van Ossel, cette mesure n’aura pas de réel impact sur le groupe. « Colruyt a surtout subi un effet négatif pendant le confinement : les magasins de nuit étaient fermés, tout comme l’Horeca. Ils étaient touchés dans leur fonction de grossiste. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici